Environnement et Forêts: Pour des coupes raisonnables
L’abandon total de ces coupes, fustigées par certaines associations environnementales, pourrait réduire notablement la richesse spécifique de certains massifs forestiers. Par Amélie Castro, ingénieur au Centre National de la Propriété Forestière Nouvelle Aquitaine.( la Tribune)
Les Français s’intéressent à la conservation des forêts et s’interrogent sur leur avenir dans un contexte climatique qui évolue. Une opération forestière, la « coupe rase », focalise les craintes et suscite des critiques parfois véhémentes. La façon dont certaines associations les présentent peut laisser penser que la forêt sera « rasée de façon définitive » et que le phénomène s’aggrave. Le parallèle avec le déboisement des forêts tropicales est constant. Mais qu’en est-il vraiment ?
Cette coupe, où l’on prélève tous les arbres d’une parcelle lorsqu’ils sont suffisamment âgés, existe depuis longtemps pour certains types de boisements. C’est une étape incontournable pour le renouvellement des taillis et une technique adaptée pour les forêts d’essences qui ont besoin de beaucoup de lumière pour pousser, comme les pins, les peupliers, les bouleaux…
Quand la forêt est attaquée par une maladie ou un insecte et que les arbres dépérissent, en l’absence de traitement sanitaire, la coupe rase est le seul moyen pour enrayer la propagation en supprimant les parcelles atteintes.
L’Inventaire Forestier National suit l’évolution des forêts depuis 1958 et évalue la durabilité de leur gestion tous les cinq ans depuis 1990. Il fournit des statistiques sur les coupes, dont les coupes rases. Chaque année, moins de 1% de la surface forestière est concernée et la taille moyenne est faible (inférieure à 4 ha en général ; 5 à 6 ha dans les forêts de pin maritime des Landes de Gascogne). Ces chiffres sont restés stables et on ne détecte pas de tendance à l’augmentation de la taille des coupes décidées par le forestier. La très grande majorité des coupes de bois faites en France (hors catastrophes naturelles) ne sont donc pas des coupes rases mais des coupes partielles.
La suppression des arbres est souvent présentée comme défavorable pour les espèces forestières. C’est vrai pour celles qui ont besoin d’ombre et d’humidité. Mais, en supprimant transitoirement le couvert des arbres, la coupe crée une ouverture temporaire favorable à de nombreuses espèces, avides de lumière et de chaleur. Ces espèces occuperont cette ouverture pendant plusieurs années après la coupe et jusqu’à son occupation par la nouvelle génération d’arbres. Parmi elles, il y a des espèces rares et protégées : insectes, reptiles et oiseaux. L’un des plus connus est l’engoulevent d’Europe, assez fréquent dans la forêt des Landes de Gascogne.
Les ouvertures faites par les coupes rases créent une mosaïque diversifiée au sein des forêts, surtout dans les grands massifs : les jeunes boisements succèdent aux coupes, à côté de boisements plus âgés voire très vieux. La forêt française a doublé de surface en deux siècles. Sur les anciens terroirs agricoles devenus forestiers, la mosaïque des coupes permet la cohabitation des espèces héritées des anciens usages et des espèces recherchant la protection des arbres. D’autres espèces encore utilisent, à un moment de leur cycle, les ouvertures du couvert. Ainsi certains rapaces font leur nid dans les grands arbres et chassent dans les coupes qui hébergent reptiles et rongeurs. Entre une coupe et un boisement plus vieux, on trouve une lisière temporaire. A la frontière de la lumière et de l’ombre, poussent des plantes et des arbustes appréciant ce contraste. Ces zones de nourrissage très riches en biodiversité appelées écotones attirent insectes et oiseaux.
Comme pour toutes les interventions, il y a des risques associés aux coupes rases. Même si leurs effets sont localisés et en général fugaces, faire une coupe avec des pratiques ou du matériel inadaptés peut avoir des conséquences importantes, notamment sur le sol.
Lorsque la coupe se justifie dans la gestion forestière, on peut limiter certains risques environnementaux en prenant des précautions : bien choisir la dimension, la période d’intervention, le matériel, délimiter les parcours des engins pour limiter les impacts sur les sols sensibles, maintenir certains éléments structurants pour la protection des sols ou de la biodiversité… Les impacts paysagers peuvent être limités en adaptant la forme des coupes, lorsque c’est possible. Maintenir des bosquets peut favoriser l’intégration de l’opération dans la mosaïque paysagère : garder les boisements en bord de cours d’eau, par exemple. Ces bonnes pratiques existent et doivent être encouragées. Une étude multipartenariale menée par le Groupement d’Intérêt Public ECOFOR a entamé un bilan des connaissances sur le sujet.
Le bois est un biomatériau qui concentre beaucoup d’avantages : peu coûteux en énergie, renouvelable, contribuant au stockage de carbone. Il est intégré dans les stratégies de lutte contre le changement climatique. L’engouement pour son utilisation est forte. Paradoxalement, les critiques sur les coupes forestières augmentent, omettant qu’il faut accepter de couper des arbres pour avoir du bois.
A l’interface, les forestiers français gèrent une grande variété d’écosystèmes, intégrant des enjeux complexes : conservation de la biodiversité, production de biomatériaux, prise en compte des risques, etc. Ils utilisent toutes les solutions de gestion possibles en les adaptant au contexte et sont les premiers acteurs de la sauvegarde des forêts.