«Ni Montebourg, ni Macron pour la gauche»
Dans une interview au Figaro Yves-Marie Cann directeur des études politiques d’Elabe, constate que Ni Macron, ni Montebourg ne parviennent à réunir une majorité à gauche.
Alors que François Hollande est de plus en plus bas dans les sondages, Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron se positionnent pour lui succéder. Quelles sont leurs stratégies respectives?
Yves-Marie CANN. – Pour Arnaud Montebourg comme pour Emmanuel Macron, mais ils sont loin d’être les seuls, l’objectif à terme c’est la conquête du pouvoir, celle du graal républicain qu’est la présidence de la République. Pour l’un comme pour l’autre, il s’agit donc de préempter la figure du recours, de l’alternative à un François Hollande lesté par son impopularité et entraînant dans sa chute Manuel Valls. Les stratégies déployées pour atteindre cet objectif diffèrent toutefois sensiblement entre les deux hommes, tant par les mots utilisés que par les moyens employés.
Chassé du gouvernement fin août 2014, Arnaud Montebourg est aujourd’hui officiellement retiré de la vie politique, usant toutefois de la technique bien connue des cartes postales pour se rappeler au bon souvenir de ses camarades socialistes et du peuple de gauche. Il s’agit avant tout de ménager la possibilité d’un retour officiel en politique dans l’hypothèse où les astres lui seraient favorables. Ainsi affirme-t-il que «s’il y a des responsabilités à prendre dans une période où le pays s’interroge (…) je les prendrai». Politiquement, sa stratégie d’inscrit à gauche, par opposition à François Hollande et à son positionnement social-démocrate assumé.
Tel n’est pas le cas d’Emmanuel Macron dont le positionnement revendiqué comme «ni de gauche, ni de droite» pour son mouvement politique «En Marche!» a beaucoup fait parler et fait couler beaucoup d’encre. Non encarté au Parti socialiste, le ministre de l’Economie cherche ouvertement à dépasser les clivages partisans traditionnels, à faire bouger les lignes et à fédérer ses soutiens hors des appareils partisans classiques. N’écartant pas, lui aussi, une éventuelle candidature à la prochaine élection présidentielle, Emmanuel Macron prend toutefois grand soin à ne pas adopter la posture de l’opposant à François Hollande. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de sa stratégie, Emmanuel Macron faisant entendre sa musique personnelle et semant précautionneusement ses petits cailloux tout en ménageant l’avenir.
Quels sont les atouts et leurs handicaps?
Au-delà des traditionnelles questions de popularité ou de potentiel électoral, j’identifie d’abord un handicap commun à Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron. Tous deux apparaissent en effet comme des personnalités relativement isolées à ce stade. Si l’ancien ministre de l’Economie et du redressement productif espère rallier à sa cause les députés socialistes frondeurs, tel n’est pas le cas aujourd’hui. De même, Emmanuel Macron est loin de faire l’unanimité, y compris jusqu’au sein du gouvernement, mais s’active pour fédérer autour de son mouvement une force militante et des élus qui seraient autant de relais essentiels pour l’avenir sur le terrain. D’ailleurs ne soyons pas dupes, cet isolement relatif explique en partie le fait que tous deux appellent aujourd’hui à dépasser d’une façon ou d’une autre les partis traditionnels. Le principal atout d’Emmanuel est incontestablement celui de la popularité. Celle-ci me semble toutefois très fragile à ce stade, le ministre de l’Economie profitant de sa jeunesse (38 ans cette année) et de son arrivée encore récente devant les projecteurs, ce qui lui permet d’incarner, aujourd’hui, de préempter la carte du renouvellement en politique. Toutefois, le temps joue nécessairement contre lui. L’argument de la jeunesse et du renouvellement ne tiendront qu’un temps, que doit mettre à profit Emmanuel Macron pour gagner en épaisseur politique, travailler sa stature et ses propositions, fédérer et mettre en réseaux ses soutiens pour disposer à l’avenir des relais nécessaires sur le terrain et pour peser sur le débat public. A défaut, il risquerait surtout de rejoindre le cortège des innombrables étoiles filantes en politique. Arnaud Montebourg a quant à lui pour principaux atouts son éloquence et un ancrage à gauche que nul ne conteste. Son passage au ministère de l’Economie lui a de surcroît permis de préempter la thématique du patriotisme économique, à laquelle se disent sensibles beaucoup de Français. Toutefois, ses talents de tribun, sa capacité à porter le verbe haut et plus globalement sa personnalité peuvent aussi constituer un handicap dans un contexte où la parole politique apparaît comme démonétisée ou pour le moins très affaiblie. Plutôt qu’une multiplication des promesses ou de grandes envolées lyriques, les Français attendent de leur élus des actes et davantage encore des résultats. La personnalité enflammée d’Arnaud Montebourg peut de surcroît agir tel un épouvantail et inquiéter une partie de l’électorat lorsque le style plus posé d’Emmanuel Macron me semble davantage en mesure de rassurer les Français.
Emmanuel Macron obtient de biens meilleurs sondages notamment grâce à une partie de la droite. S’agit-il d’une illusion d’optique?
La structure de popularité d’Emmanuel Macron s’avère aujourd’hui atypique puisqu’il recueille de meilleurs résultats parmi les sympathisants de la droite et du centre qu’auprès des sympathisants de gauche. Dans la dernière livraison de l’Observatoire politique Elabe pour Les Echos et Radio Classique, le ministre de l’Economie est ainsi crédité de 65% d’image positive à droite contre 45% à gauche. Des résultats pour le moins paradoxaux compte tenu du poste qu’il occupe au sein de l’exécutif et qui lui permettent d’être aujourd’hui la deuxième personnalité politique la plus appréciée des Français, après Alain Juppé.
Au moins en apparence, de tels résultats valideraient son positionnement revendiqué comme «ni de droite, ni de gauche». Toutefois, si le clivage gauche-droite a du plomb dans l’aile, notamment sous l’effet d’une indifférenciation croissante des politiques publiques et des échecs qui n’ont épargné aucun camp ces trente dernières années sur le terrain économique, ce positionnement n’est pas sans risques. La popularité d’Emmanuel Macron doit aujourd’hui beaucoup à sa jeunesse et sa capacité à incarner une forme de renouvellement, ce qui vaut qu’un temps, je l’ai déjà dit. Elle illustre aussi sa capacité à s’autonomiser par rapport au bilan de l’exécutif sur le plan économique. Mais elle s’explique aussi probablement par un effet de contraste par rapport au couple exécutif, Emmanuel Macron profitant de l’impopularité de François Hollande et Manuel Valls. Dès lors, qu’en restera-t-il en cas de défaite de la gauche à l’élection présidentielle? Rien n’est acquis, seul l’avenir le dira.
Arnaud Montebourg n’est-il pas mieux placé pour rassembler la gauche et notamment la gauche de la gauche?
Que pèse aujourd’hui la gauche de la gauche? Entre 10% et 15% de l’électorat, ce qui s’avère nettement insuffisant pour espérer une qualification au second tour d’une élection présidentielle. Davantage que rassembler la gauche de la gauche, l’enjeu est aujourd’hui de savoir quelle est la personnalité politique susceptible de rassembler sous son nom et son projet les principales composantes de la gauche alors qu’elles semblent aujourd’hui camper sur des positions inconciliables. A ce jour, ni Arnaud Montebourg ni Emmanuel Macron ne font l’unanimité à gauche ou du moins apparaissent en mesure de créer un relatif consensus, ce qui constitue à n’en pas douter une chance pour François Hollande.