Présidentielle 2022 : une réélection à la Pyrus
La victoire d’Emmanuel Macron – qui a perdu presque 2 millions de suffrages en cinq ans – le confronte directement à son échec : il n’a pas su faire reculer l’extrémisme ni revitaliser notre vie démocratique. Pour rendre crédible l’« ère nouvelle » annoncée par le président réélu, il importe d’en annoncer rapidement les contours estime un papier du Monde de Jérôme Fenoglio .
Editorial du Monde.
« Cinq années de mieux », et non cinq de plus. Au soir de son second tour une nouvelle fois victorieux face à Marine Le Pen, dimanche 24 avril, Emmanuel Macron a lui-même fixé l’ambition qui peut le distinguer de ses trois prédécesseurs réélus présidents sous la Ve République. Pour Charles de Gaulle, puis François Mitterrand et Jacques Chirac – ces deux derniers renouvelés au sortir d’une période de cohabitation –, le second mandat avait pris la forme d’une longue déception. Comme si la continuité de l’exercice du pouvoir avait fini par étouffer toute l’ardeur de la prise de fonctions.
De fait, Emmanuel Macron, encore jeune président de 44 ans, n’a d’autre choix que de tenter d’échapper à cette langueur du maintien à l’Elysée. Sa prouesse d’avoir résisté au dégagisme qui l’avait porté au pouvoir lui donne toute légitimité pour gouverner, sans pour autant l’éloigner du bord de l’abîme. Deux chiffres, à l’issue de ce scrutin présidentiel, donnent la mesure de ce gouffre qui menace d’avaler notre vie démocratique. Avec près de 13,3 millions de voix – 2,7 millions de plus qu’en 2017 –, Marine Le Pen a établi le meilleur score de l’extrême droite à une élection, toutes périodes confondues. Celles et ceux qui ont décidé de ne pas choisir, par l’abstention, le vote blanc ou nul, pèsent encore plus lourd : près de 16,7 millions de personnes, un nouveau sommet. Sur ces deux points, la victoire d’Emmanuel Macron – qui a lui-même perdu presque 2 millions de suffrages en cinq ans – le confronte donc directement à son échec : il n’a pas su, comme il en avait affiché l’intention, faire reculer l’extrémisme et revitaliser notre vie démocratique.
Sa réélection le maintient aussi sous la pression d’une conjonction inouïe de crises : agression russe de l’Ukraine, catastrophe climatique, pandémie, dérèglements économiques et sociaux. Pour amortir les effets de ces bouleversements en France, et surtout pour attirer des voix acquises à Jean-Luc Mélenchon, M. Macron a choisi, dans l’entre-deux-tours, d’infléchir vers la gauche un programme très nettement orienté à droite. Faire « mieux » consistera dès le début de ce nouveau quinquennat à donner forme à cette synthèse, sans décevoir une nouvelle fois les progressistes.
Sur le réchauffement climatique, des paroles fortes ont été prononcées, qui ont certainement contribué au report des voix d’une partie de la jeunesse sur le président sortant. Confirmées dimanche soir, ces promesses sont tellement appuyées qu’il faut considérer, à rebours du vieil adage chiraquien, qu’elles engagent pour une fois davantage celui qui les a émises que ceux qui les ont reçues. De la part d’un président qui a souvent démontré, au cours du premier quinquennat, une capacité supérieure à traverser les crises qu’à les anticiper, il n’est que temps de réaliser que cette catastrophe n’obère plus seulement notre avenir, mais frappe dès maintenant notre présent.
Face au programme imprégné de xénophobie de Marine Le Pen, Emmanuel Macron a également choisi de renouer avec la réfutation ferme qui était la marque de son début de mandat. Il faut souhaiter que celui qui s’ouvre, éclairé par les déboires de la droite classique qui y a égaré la plupart de ses électeurs et un bout de son âme, ne renouera pas avec les gesticulations et les surenchères des derniers temps.