«Loi Séparatisme: les protestants critiques»
Le pasteur François Clavairoly et Jean-Daniel Roque s’élèvent dans l’Opinion , au nom de la Fédération protestante de France, contre un texte « modifiant profondément la loi de 1905 dont le protestantisme a été un des plus fidèles soutiens »
Tribune
Le protestantisme français critique le projet de loi présenté en Conseil des ministres ce 9 décembre et « renforçant les principes républicains » : une loi peu attractive pour l’islam, limitante et intrusive pour le protestantisme, l’un des principaux cultes concernés par le nombre des associations cultuelles.
Très concerné par ce projet de loi modifiant profondément une loi dont il a été un des plus fidèles soutiens, le protestantisme français constitue environ les deux tiers des associations cultuelles 1905. Alors que le projet de loi voudrait rendre attractive la loi 1905 pour enfin donner un cadre législatif à l’islam français, qui ne demande que cela depuis tant d’années, il ne satisfait personne. La lutte contre les séparatismes et la réponse apportée à la menace d’un islam radical, qui motivaient ce projet, ne peuvent se réduire à ce seul texte.
«Les lois de 1901 et 1905 étaient caractérisées par leur libéralisme (…): elles reposent sur la responsabilisation des instances des associations»
Voici pourquoi le protestantisme français ne se reconnaît pas dans un texte limitant la liberté de culte et principalement la sienne, et qui ne répond pas aux objectifs visés. Les lois de 1901 et 1905 étaient caractérisées par leur libéralisme, auquel tenaient beaucoup leurs auteurs respectifs : elles reposent sur la responsabilisation des instances des associations. Le projet de loi revient fortement sur une telle orientation, en développant le contrôle de l’Etat sur la vie associative.
Cette accentuation porte sur certains points, seulement pour les associations 1901, sans lien avec les cultes, mais est très forte pour les associations à objet cultuel. Quelle est la motivation d’une telle distinction, quand on sait que la plupart des associations à objet cultuel, d’une part, ne sont au bénéfice d’aucune aide publique, directe ou indirecte, et d’autre part, ne participent ni ne contribuent aux actions terroristes, réprimées à juste titre ? Augmenter les contraintes et charges administratives des associations ne peut que rendre plus difficile leur fonctionnement.
Le projet de loi accroît la politique de surveillance et de contrainte et prévoit notamment de revenir en arrière, à un contrôle par le préfet de la qualité d’association cultuelle, semblable à celui déjà mis en œuvre entre 1988 et 2007. L’expérience a montré alors que soit les lourds dossiers établis par les associations cultuelles ne pouvaient pas être examinés par les préfectures, faute de personnel suffisant, soit l’examen de ces dernières pouvait s’arrêter à des détails insignifiants (telle la remise en cause de la qualité cultuelle sous le prétexte de l’existence de repas paroissiaux !). Or, depuis cette précédente expérience, elles n’ont pas bénéficié d’augmentation du nombre des fonctionnaires, bien au contraire. Pourquoi revenir à une expérience qui a montré dans la plupart des cas soit son inutilité soit son inadaptation ?
«Cette loi 1905, brandie comme un étendard par les tenants d’une laïcité restrictive de la liberté de culte, est en réalité une loi de liberté qui établit les termes du culte public»
On peut aussi se demander pourquoi est créée une procédure de déclaration et de contrôle relative aux fonds provenant, directement ou indirectement, de l’étranger, mais pour les seules associations à objet cultuel : de tels flux n’existent-ils pas aussi, et pour des montants bien plus élevés, pour d’autres domaines ?
Le projet de loi veut introduire dans tous les statuts des associations cultuelles des dispositions sur certaines règles de fonctionnement, notamment relatives aux ministres du culte. Mais pour un grand nombre d’associations cultuelles, certaines règles régissant chacune d’elles ne relèvent pas de ses statuts : ces associations peuvent aussi reconnaître l’importance d’autres textes de référence, qui relèvent de leur union nationale, voire d’une autre autorité. Et l’article 4 de la loi de 1905 les oblige (à juste titre) à se conformer aux règles d’organisation générale de leur culte. Ainsi une telle demande – tout à fait nouvelle – méconnaîtrait l’autonomie interne des cultes, pour autant régulièrement affirmée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Par cette tribune, le protestantisme français demande qu’avant la publication des décrets une réelle et constructive concertation ait lieu, car c’est dans le détail de leurs énoncés que se vérifieront le pragmatisme et l’équité de la loi.
Nous devons rappeler que cette loi 1905, brandie comme un étendard par les tenants d’une laïcité restrictive de la liberté de culte, est en réalité une loi de liberté qui établit les termes du culte public. S’il n’avait été question en 1905 que du culte assigné à la sphère privée comme on le comprend trop souvent encore aujourd’hui, 115 ans après, point n’eut été besoin d’une telle loi. Cette loi rappelle en effet que si la République est laïque, la société elle-même dans son organisation ne l’est pas et doit être le lieu de la libre expression de tous les cultes. Les cultes signent par leur présence dans la société les deux dimensions qui se conjuguent : celle, horizontale, de la fraternité et celle, verticale, de la spiritualité.
Le pasteur François Clavairoly est président de la Fédération protestante de France et Jean-Daniel Roque président de sa commission Droit et liberté religieuse.