La réponse européenne au protectionnisme américain: très insuffisante
Par Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes, enseignant École de guerre économique et avocat au barreau de Bruxelles (droit européen).
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La réponse européenne à « l’Inflation Reduction Act » (IRA) n’est pas à la hauteur. Certes, les règles européennes en matière d’aides d’État – le droit des États membres et de leurs territoires d’utiliser de l’argent public pour aider des opérateurs économiques – devraient être aménagées. De même, le budget de l’Union européenne (UE) sera réorganisé pour mieux utiliser les programmes actuels. Le tout sera limité aux objectifs européens de croissance verte et numérique.
Dans le match économique USA-UE, qui est le plus fort ?
L’Europe n’est pas naïve. Victoire aux points depuis des décennies pour l’UE, qui connait des excédents commerciaux aux USA très importants, en augmentation de 10 milliards d’euros en moyenne tous les ans pour arriver à un chiffre de 155 milliards d’excédents européens en 2021.
Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, nous assistons à une correction économique significative des USA sur les Européens, par des achats d’armements et d’énergie aux entreprises américaines. Toutefois, elle est évaluée comme étant conjoncturelle quand les succès européens aux USA sont qualifiés de structurels.
Surtout, cette correction économique permet aux États européens qui la pratiquent – Allemagne en tête – de s’assurer de précieux alliés aux USA afin d’y protéger leurs exportations. Une forme de troc s’opère : armes et énergie Made in US contre une absence de représailles sur les exportations civiles germaniques outre-Atlantique. Et tant pis, voire pour certains tant mieux, si c’est au détriment de la défense européenne et en particulier des intérêts français très forts dans ce secteur.
L’Union européenne, sous contrôle de l’Europe du Nord, est forte et stratège. Tout est mesuré en Europe. À tous les sens du terme, c’est-à-dire évalué et contenu. « Tant que le protectionnisme américain ne remet pas en cause les succès européens aux USA, la réponse de l’Europe doit être bridée. » En effet, entrer dans une guerre frontale, coups pour coups, durcirait les relations et l’Europe étant gagnante actuellement, elle aurait plus à perdre.
Certes, la France n’a pas forcément les mêmes intérêts que les autres États européens même si elle semble aussi excédentaire aux USA (données à pondérer par les ré-importations en France de produits US en provenance d’autres pays comme les Pays-Bas. Ces derniers sont déficitaires avec les USA mais ils revendent ces importations pour avoir un énorme excédent de 229 milliards d’euros en 2021 dans le marché intérieur européen.
Donc, en Europe, on s’offusque, on aménage, mais on n’apporte aucune réponse directe. La guerre économique USA-UE n’est pas un concept nouveau. La modération de l’UE est constante depuis des années face à l’extra-territorialité du droit américain – qualifiée d’arme du faible qui ne produit pas et n’exporte pas -, au pillage des données par les GAFAM aussi objet de trocs… mais au final c’est l’Europe qui a des excédents commerciaux gigantesques.
Alors que faire face à « l’Inflation Reduction Act » ?
Quelques pistes juridiques seront brandies par l’UE, notamment le respect des règles de l’OMC : https://multimedia.europarl.europa.eu/fr/video/key-debate-eu-response-to-the-us-inflation-reduction-act-meps-debate-part-1_I234795. L’Europe dispose de peu de moyens juridiques pour contrer les aides d’État étrangères. Le nouveau règlement concernant la lutte contre les subventions étrangères générant des distorsions dans le marché intérieur devrait être inopérant en l’espèce.
De plus, il est quand même compliqué pour les Européens de dénoncer la réindustrialisation des USA contre la Chine, principale visée par l’IRA. D’autant plus que les Américains encouragent les Européens à les rejoindre dans ce combat. L’Europe s’y refuse jusqu’alors afin protéger l’excédent commercial allemand en Chine et les importations néerlandaises revendues aux autres Européens via le marché intérieur (même logique qu’avec les USA cf. tableau Eurostat par États membres). Telle est une des principales causes de la désindustrialisation de la France. Notre pays a les mêmes intérêts que les Américains contre la Chine, mais nos gouvernants laissent faire la passivité européenne…
Une alliance France-USA aurait aussi du sens pour contrer les excédents commerciaux allemands dénoncés dans nos deux pays. Elle est rendue très compliquée en raison d’une concurrence franco-américaine dans les secteurs de la défense et ainsi que dans l’aéronautique civile. Le schéma est connu. L’Allemagne est protégée de mesures protectionnistes en France par le droit européen, la notion d’entrave, et elle achète des armes aux USA afin de s’offrir de puissants soutiens pour ses intérêts civils. Les USA étant une grande démocratie avec de nombreux contre-pouvoirs, les lobbyistes « pro made in Germany » en joueront à merveille pour diviser les Américains. Tant que le cadre actuel perdure, IRA compris, une seule devise « wait and see » et si possible profitons-en !