À 8 h 15, dans « Les stars de l’info », c’est Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy qu’a décidé d’inviter l’animateur. Que va bien pouvoir penser de la situation celui qui a conseillé le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin sur la réforme des retraites puis qui a organisé celle de 2010 sous Sarkozy et Fillon ? Le suspense est total. Autant que si l’on avait invité Jean-Paul Delevoye il y a 3 ans pour lui demander s’il était pour ou contre la réforme.
La première question de l’animateur donne le ton : « Mettons-nous tous les deux ce matin à la place du gouvernement, bien que nous ne soyons pas le gouvernement (la précision est utile) : est-ce que tout a été mis sur la table ? » Réponse de l’invité : « Presque tout a déjà été mis sur la table. » Si tout est accompli, les choses, devraient donc bien se passer ? Pas si sûr, selon l’invité, qui nous remémore la première tentative du président : « Je rappelle que les retraites, c’est un sujet douloureux pour Emmanuel Macron. » Hélas, les Français sont incapables d’empathie pour le chef de l’État, qui, d’après Monsieur Soubie, « garde un souvenir terrible de la crise des Gilets jaunes qui est partie sur le pouvoir d’achat mais qui s’est assez vite transformée en détestation politique y compris violente vis-à-vis du pouvoir. » Les factieux ont heureusement été mis hors d’état de nuire, même si, comme le déplore Guillaume Durand, on essaye encore de monter les riches contre les pauvres – alors que c’est tellement plus simple pour tout le monde de faire payer les pauvres.
L’ancien conseiller social en est tout cas convaincu : cette réforme, Macron « ne peut plus la reculer ni abandonner, il perdrait absolument toute crédibilité à l’intérieur du pays. » Et Dieu sait qu’elle est immense. Puis ce dernier d’exprimer un regret : que le président « ne l’ait pas fait passer avec le 1er 49.3 » C’est vrai que le gouvernement semble totalement ignorer ce recours.
Après le flash info de 8 h 30, pour respecter la pluralité d’opinions et garantir l’équilibre, deux nouveaux intervenants sont invités à donner leur avis sur la réforme dans l’émission « Esprits libres », toujours présentée par Guillaume Durand : David Doukhan, rédacteur en chef du service politique du Parisien, et Franz-Olivier Giesbert, qu’on ne présente plus. D’emblée le premier nommé explique que le président « n’a pas le choix », notamment en ce qui concerne le report de l’âge légal, ce à quoi l’animateur-éditorialiste répond : « Ouais, ça c’est impossible. » Franz-Olivier Giesbert abonde, ce qui n’est pas sans rappeler les plus belles heures des débats télévisés sur Jean-Michel Blanquer animés par sa femme, Anna Cabana. « Y a absolument pas de marge de manœuvre, il peut pas reculer » assure l’ancien directeur du Point. Il ne manque plus qu’un « De toute façon, c’est le sens de l’histoire » pour parachever le « dialogue ». Puis FOG d’ajouter que ce n’est « pas seulement un problème politique » puisqu’on n’est « pas à l’abri » d’une « crise financière ». Et il va sans dire qu’en pareil cas, la réforme des retraites réglerait tout.
Tout à coup, les trois hommes sont traversés par une fulgurance. Si cette réforme est l’évidence même, pourquoi n’emporte-t-elle pas l’adhésion de tous les Français ? La réponse jaillit, limpide, dans la bouche de Franz : c’est à cause des fake news. Puis d’égrener des déclarations de Sandrine Rousseau ou de Clémentine Autain dont on se demande quel rapport elles ont avec les retraites. Mais pas Guillaume Durand, qui demande, naïf : « On est dans l’idéologie ? » Tout le contraire de Radio Classique. L’animateur-ministre du Travail renchérit : « Y a des mensonges qui sont répétés, des mensonges d’ailleurs dénoncés par Macron ». Si c’est pas la preuve que c’en est, qu’est-ce que c’est ?
L’animateur-Haut-commissaire à la réforme pose ensuite une question ouverte qui fera date : « Quels sont d’après vous les deux ou trois gros mensonges qui sont racontés aux Français sur cette affaire-là ? » David Doukhan prend la question très au sérieux : « Les fake news, c’est un problème pour Emmanuel Macron parce qu’il sait pertinemment qu’il est lancé maintenant dans une bataille de l’opinion. » Avant cette désinformation, en effet, tout le monde était favorable à la réforme. Il ajoute : « Le problème de ces fake news, c’est qu’elles visent à déclencher l’embrasement. » Nous ne « fact-checkerons » pas cette affirmation car elle émane d’un complotisme autorisé, celui des élites. Le journaliste d’alerter : « La difficulté, c’est qu’en face, le gouvernement a des arguments, allez, on va dire très raisonnables et parfois un peu technocratiques. » Or tout le monde sait que c’est un gros problème quand on a, en face, affaire à des citoyens bas-de-plafond. Puis de conclure : « Attention à ce que cette bataille ne soit pas emportée par ceux qui manient le mensonge. » On ne comprend plus très bien : souhaite-t-il maintenant que le gouvernement échoue ?
Un peu plus tôt, à 8h12, l’éditorialiste Guillaume Tabard avait trouvé une autre raison au blocage de cette réforme si juste : le fait qu’il faille, comme Macron l’a préconisé à ses ministres : « expliquer, expliquer, et encore expliquer la réforme. » Si les Français sont contre, c’est naturellement parce que le gouvernement n’a pas suffisamment fait preuve de « pédagogie ». Et l’éditorialiste de se demander si « les Français vont supporter longtemps d’être les otages d’un mouvement social qui deviendrait radical » avant d’évoquer la « course à la radicalité et à la démagogie », la « radicalisation du mouvement » et « l’hystérisation du débat ». Il ne manquait plus que le « populisme » pour faire un « strike ».