Modifier en profondeur le Mercosur (FNSEA)
Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, exige que toutes les promesses qui ont été faites par le gouvernement soient tenues. Et il s’engage à se battre contre le traité de libre-échange en cours de conclusion. (interview dans La Tribune)
Dans un tout récent document que nous avons consulté, vous assurez que le gouvernement n’a honoré que 36% de ses promesses faites aux agriculteurs début 2024. Selon le ministère, ce taux atteint 67%. Pourquoi un tel écart d’évaluation ?
ARNAUD ROUSSEAU – Je ne connais pas les raisons qui poussent le ministère de l’Agriculture à une évaluation si différente de la nôtre. Mais nous tenons à rappeler à nos adhérents, au moment où ils repartent sur le terrain, nos revendications, ce qui a déjà été fait – car il faut reconnaître un certain nombre d’avancées -, ce qui demande encore quelques semaines et ce qui ne va pas encore assez vite.
Les temps législatifs, allongés par la dissolution de l’Assemblée nationale, expliquent une partie des promesses non tenues. Les agriculteurs veulent-ils s’affranchir du jeu démocratique ?
Évidemment non. Mais un certain nombre des promesses qui leur avaient été faites n’ont pas encore pris corps. Par exemple, le Premier ministre avait promis de reprendre la loi d’orientation agricole [mise en suspens par la dissolution] « sans délai ». Finalement, ce texte ne sera pas examiné au Sénat en séance publique avant mi-janvier. C’est certes le temps législatif. Mais les agriculteurs, qui attendent des décisions concrètes, ressentent un décalage entre la parole publique, le fonctionnement démocratique et la réalité de ce qu’ils vivent dans leurs exploitations. Notre mouvement a commencé en novembre 2023 : cela fait une année qu’on explique qu’on marche sur la tête ! Et l’été a été particulièrement difficile pour les producteurs de blé, les viticulteurs, les éleveurs, à cause de la météo et des épidémies. Sans compter que dans certaines Régions, comme l’Occitanie, les difficultés perdurent depuis des années. L’enjeu, c’est ce qu’on aura dans nos assiettes dans les vingt prochaines années !
Dans quel état d’esprit sont-ils aujourd’hui ?
Tout le monde partage le sentiment que les manifestations du printemps n’ont pas totalement donné les fruits espérés, et que le changement de logiciel qu’on demandait n’a pas été opéré. Mais l’agriculture n’est pas la même partout. Dans un certain nombre d’endroits, il y a plus de colère.
Une nouvelle mobilisation des agriculteurs commence lundi. Vous avez promis aux Français que le pays ne sera pas bloqué. Comment comptez-vous quand même vous faire entendre ?
Nous organiserons dans toute la France diverses actions dont l’objectif est d’interpeller l’opinion publique. Selon un tout récent sondage de l’Ifop, d’ailleurs, les Français nous soutiennent, c’est extrêmement réconfortant. Le premier volet de notre mobilisation sera très européen, contre une « Europe passoire ». Nous sommes ouverts aux échanges commerciaux, puisque l’agriculture française ne produit pas tout ce que la France consomme, et puisque nous voulons continuer d’exporter nos produits, dont nous sommes fiers. Mais nous demandons un cadre commun, une réciprocité des normes et des méthodes de production, ainsi que davantage de clarté pour le consommateur. C’est un combat vital pour nous, Bruxelles doit en prendre conscience.
En ce moment, on a besoin que le président de la République et le Premier ministre agissent de concert.
Une deuxième phase de la mobilisation portera sur des sujets plus nationaux, notamment sur les entraves à l’exercice du métier d’agriculteur : ils ne doivent pas être oubliés. Enfin, un troisième temps se focalisera sur le revenu, au moment où débuteront en France les négociations commerciales entre l’industrie agroalimentaire et la grande distribution. Nous voulons que la matière première agricole soit achetée au juste prix. Tout cela durera jusqu’à la mi-décembre, car les fêtes sont un moment de consommation des produits qui viennent de nos terroirs que nous ne voulons pas troubler.
Les manifestations des prochains jours vont viser notamment l’éventuelle conclusion d’un traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Des filières comme le lait et le vin, pour qui ce marché représente un important débouché, sont-elles sacrifiées à l’unité de l’agriculture ?
Non, nous ne sacrifions personne : ce n’est pas l’objectif d’un syndicat agricole. Nous nous opposons à la conclusion d’accords déséquilibrés susceptibles de détruire une partie de l’agriculture française, même lorsque, pour certaines filières, ils pourraient impliquer des avantages à court terme.
L’exécutif français se dit opposé au traité avec le Mercosur « en l’état ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Si « en l’état » veut dire une menue modification, cela ne nous suffit pas. Nous demandons une modification en profondeur de la vision à la base du traité, qui ne respecte pas l’accord de Paris, la réciprocité des conditions de production, la traçabilité. Sans une telle remise en question, l’accord actuel ne sera pas acceptable, ni au G20 ni plus tard.
Michel Barnier est un ancien ministre de l’Agriculture et un négociateur reconnu. Qu’est-ce que cela change ?
Le fait que le Premier ministre connaisse très bien les sujets agricoles nationaux, le fonctionnement de Bruxelles et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, est un atout évident. Mais sur le plan international, c’est le président de la République qui agit, et qui sera au G20. Il faut donc aussi qu’il puisse œuvrer. En ce moment, on a besoin que le président de la République et le Premier ministre agissent de concert, pour expliquer sur le plan international les raisons qui poussent la France à ne pas vouloir conclure cet accord, et sur le plan européen pour rallier d’autres pays.
Qu’impliquerait une conclusion du traité UE-Mercosur ?
Si on devait finalement perdre cette bataille, ce serait évidemment catastrophique. Nous avons la volonté ferme de l’emporter. Nous sommes toutefois lucides : nous ne gagnerons pas seuls. Nous avons besoin que les politiques se mobilisent, que l’opinion publique soit à nos côtés, que le gouvernement agisse. Et si l’Europe considère que, sans l’accord de Paris, elle peut continuer à avancer, cela renverra inévitablement l’idée que la France, qui était un pilier de la construction européenne, ne pèse plus à Bruxelles.
Le site du ministère de l’Agriculture consacre une page en particulier au suivi des promesses formulées au début de 2024 par le gouvernement Attal pour répondre à la colère des agriculteurs. Selon son plus récent bilan, daté du 13 septembre, les 70 engagements pris sont « en cours de déploiement » : 67% sont d’ores et déjà « faits », 19% sont « avancés » et 14% « engagés avec un planning précis ».
Mais la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui se concentre sur ce qui est « arrivé dans les cours de fermes » – ce qui déclasse par exemple tout projet de loi non encore approuvé -, propose une lecture bien différente. Dans un document que La Tribune a analysé, elle considère 36% des engagements « faits », 28% « en cours », 15% « partiellement faits » et 21% « pas faits ».
Comment transformer la France en profondeur (l’Odissée)
Comment transformer la France en profondeur (l’Odissée)
Une tribune d’Odissée, organisation de l’intelligence sociale (la Tribune)
« L’état social du monde – 2015, la France se positionne à la 55éme place. Ces difficultés trouvent leur source dans la centralisation génératrice de non-dits : dans la société mondiale en transformation accélérée, le système socio-économico-politique monopolistique français de la France n’est plus adapté.
La France va mal. Les faits sont en rupture avec la bien-pensance :
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La France est débordée par le mouvement du monde. Son fonctionnement global est décalé.
Les statistiques montrent que l’opposition socialisme / libéralisme est caduque
Depuis 2004, l’Odis publie à la Documentation française des analyses comparatives des territoires français, européens et mondiaux en termes de cohésion sociale et de performance : ces deux dimensions apparaissent en corrélation dans tous les ensembles. Sur la durée, donner le primat à l’une ou l’autre revient à échouer. Les prismes du socialisme et du libéralisme sont donc incomplets.
L’analyse des territoires révèle que la racine de la performance globale réside dans la qualité des débats
Les territoires qui réussissent le mieux sont ceux où l’information circule, où les échanges de proximité intègrent à la fois avec souplesse et rigueur la plus grande diversité des personnes, des faits et des idées. Dans des pays comme la Norvège, la Suisse, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark, l’Autriche, les barrières statutaires ne résistent pas au bon sens : les expériences, analyses et idées de chacun sont attendues et reçues par tous.
Les limites du système étatique français
C’est donc un excès de centralisme et de régulation qui ne permet pas à la France d’impliquer tous les français dans la prise en mains des enjeux collectifs. En effet, Paris est le centre routier, ferré, aérien parce que c’est le siège de tous les pouvoirs : politique, économique, social, culturel, médiatique. De plus, à Paris, l’Etat est l’acteur principal :
Ainsi, un acteur unique procède seul à presque tous les arbitrages. Cela génère un déséquilibre de la responsabilité : attendu sur tous les terrains, l’Etat est sur responsabilisé tandis que les citoyens, démunis de marges de manœuvre, baignent dans l’irresponsabilité. Ils ne sont pas en situation de contribuer à la maîtrise de leur destin collectif.
Doté de cette omnipotence, le système politique ne sait pas entendre les signaux d’alerte. Il finit toujours par commettre et enchaîner les erreurs, ce qui aboutit à son renversement. Voilà pourquoi la France empile seize constitutions depuis 1789, tandis que le Royaume Uni est resté dans le même système souple qui lui permet de s’adapter en continu.
Une culture de non débat
Ce mécanisme structurel de concentration des pouvoirs en une seule main se retrouve au sein de toutes les formes d’organisation :
L’absence de vrai dialogue permet le triomphe de la bien-pensance et rend plus difficile l’émergence d’informations nouvelles et de projets innovants.
L’analyse des pratiques montre qu’à la culture du débat doit s’ajouter la structure du débat
Mais, même dans des pays où l’articulation du débat public et interne au sein des organisations s’opère plutôt spontanément, l’explication et l’écoute ne suffisent plus pour faire émerger des innovations porteuses de l’intérêt général. En effet, alors que la multitude des sources d’information forge autant d’opinions que de personnes, chacun veut désormais de plus en plus participer à l’élaboration des diagnostics et des décisions et refuse d’adhérer a priori. Le rôle nouveau du dirigeant consiste à animer l’écoute mutuelle en s’assurant de l’inclusion systémique de toutes les parties prenantes dans un échange constructif.
Le scénario français
L’alternative consiste donc à inventer un nouveau modèle de gouvernance générateur d’une culture de débat, de respect mutuel, de prise de conscience et de prise en main de la responsabilité intellectuelle à tous les étages. Alors, seulement, la société française sera en situation de réformer dans la sérénité ses systèmes fiscal, éducatif, sanitaire, social, politique, administratif…. Et alors aussi, elle sera en situation de ré éclairer le monde pour bâtir la prise en charge par tous du réchauffement climatique, du maintien de la biodiversité, du dialogue interreligieux, des crises financières… Et alors seulement, elle sera en mesure d’accomplir son destin, car comme l’écrivait Charles de Gaulle : La France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même.
Révolutionner le rôle du dirigeant pour réécrire le contrat social
Depuis des années, nous alertons les décideurs économiques, sociaux et politiques sans attendre la révolution de la rue, mère de tous les excès. Le grand débat n’est qu’un grand début : dans la société, il faut instaurer maintenant le débat citoyen en amont du débat parlementaire sur tous les grands rendez-vous législatifs ; dans l’entreprise, il faut acquérir le réflexe de la réflexion collective inclusive de toutes les parties prenantes dans chaque réunion de chaque service de chaque étage de chaque immeuble de chaque établissement.
La mise en œuvre par les dirigeants de toutes les sphères, unis pour le progrès, d’un mode opératoire nouveau et producteur d’une révolution des esprits permettra la réforme sereine, acceptée et générateur de performance et de cohésion sociale.
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NOTES
(*) Afin d’éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l’Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livrera les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s’appuyant sur des cas pratiques et sur l’actualité.
L’Odissée, l’Organisation du Dialogue et de l’Intelligence Sociale dans la Société Et l’Entreprise, est un organisme bicéphale composé d’un centre de conseil et recherche (l’Odis) et d’une ONG reconnue d’Intérêt général (les Amis de l’Odissée) dont l’objet consiste à « Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde ».
Depuis 1990, l’Odissée conduit l’étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l’Entreprise, la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l’a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d’auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l’intérieur des entreprises.