Les profits des sociétés de la distribution de l’eau
Le marché de l’eau est particulièrement juteux ce qui explique la guerre entre distributeurs pour obtenir des positions oligopolistique qui rendent dépendantes les collectivités locales mal armées pour négocier les prix. Une étude particulièrement intéressante de l’UFC que choisir fait le point du secteur.
L’ étude permet de faire plusieurs constats. En France, trois entreprises occupent 98 % du marché de la délégation du service de distribution d’eau. La fenêtre de concurrence s’ouvre tous les 15 ou 20 ans lors du renouvellement de contrat. Il existe très peu de barrières économiques ou techniques à l’entrée sur le marché. Une structure de marché oligopolistique et immuable.
L’ORGANISATION DU SERVICE DE LA DISTRIBUTION ET DE L’ASSAINISSEMENT DE L’EAU
Depuis plus de deux cents ans, la distribution et l’assainissement de l’eau relèvent de la compétence communale. La mise en place de la gestion de l’eau est donc organisée par la commune ou par les intercommunalités (qui mettent en place un établissement public de coopération intercommunale). Ce dernier cas de figure est désormais le plus fréquent et concerne 60 % des usagers domestiques. Les communes constituent alors un regroupement, selon des cadres institutionnels très divers (syndicat d’eau, syndicat à vocation mixte) soit parce qu’il correspond à une dynamique administrative générale (émergence des communautés urbaines) soit parce que les communes concernées sont trop petites pour assumer seules ces compétences.
La commune, ou le syndicat, peut retenir deux modes de gestion des services d’eau (1).
LA GESTION DIRECTE OU EN RÉGIE
Dans ce cas, la collectivité assume elle-même la gestion de l’eau par la mise en place d’un service au sein de son administration. Elle réalise les investissements d’équipements qu’elle finance sur ses fonds propres et en empruntant des fonds. Elle s’occupe aussi de l’exploitation du service en ayant la charge des usines de traitement et d’assainissement et en entretenant les réseaux. Pour ce faire elle embauche des employés communaux spécialement affectés.
D’un point de vue financier, la régie doit être strictement séparée des autres activités communales et doit notamment disposer de l’autonomie financière.
LA DÉLÉGATION DE SERVICE PUBLIC (DSP)
Dans ce cas, la commune, ou le syndicat, délègue tout ou partie du service de l’eau à une entreprise privée (appelée délégataire) et dispose de deux types de contrats.
Il peut s’agir de l’affermage où la commune prend en charge les investissements (la réalisation et le financement). Le délégataire se voit confier l’exploitation du service.
Le deuxième contrat est la concession où le délégataire privé est responsable des investissements et de l’exploitation.
Le système de la concession, qui donnait des attributions très importantes aux délégataires privés, est aujourd’hui sur le déclin. Il représente environ 15 % des contrats actuels, mais la quasi-totalité des contrats signés depuis dix ans relèvent de l’affermage. Cependant, entre ces deux types de relations contractuelles, il existe une version hybride appelée affermage- concessif. Dans ce cas de figure, le délégataire privé assure l’exploitation, et la réalisation des investissements est repartie entre la collectivité et le délégataire. A l’heure actuelle, la majorité des contrats correspond à cette formule.
La délégation de service public est le modèle dominant de gestion de l’eau. En 2001, elle fournissait 79 % des usagers pour la distribution de l’eau et assumait 53 % de l’assainissement. La part de la régie a connu un déclin relatif au cours des vingt dernières années puisqu’en 1980 elle avait encore la charge de 40 % de la distribution d’eau.
UN SECTEUR SANS CONCURRENCE ?
LA STRUCTURE DU MARCHÉ : DE L’OLIGOPOLE ÉTROIT AU DUOPOLE POUR LES GRANDES VILLES
En France, trois entreprises occupent 98 % du marché de la délégation du service de distribution d’eau.:
Veolia Water (ex-Générale des eaux) |
56 % 51 % + 5 % (part de l’entreprise dans les filiales communes) |
Suez Lyonnaise des eaux |
29 % 24 % + 5 % (part de l’entreprise dans les filiales communes |
SAUR |
13 % |
Une dizaine d’entreprises locales |
2 % |
Source : avis du conseil de la concurrence 31 mai 2000 |
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Le Conseil de la concurrence (2) remarque qu’ « une telle structure est typique d’un marché très concentré. L’indice de Hirschman Herdinfal est égal à 4250 ; or il est admis qu’au-delà de 2000, l’indice exprime une présomption de structure particulièrement concentrée qui doit conduire les autorités de la concurrence à une vigilance particulière ».
Surtout, cette présentation générale, qui fait apparaître un oligopole étroit, occulte une plus forte concentration pour les contrats des grandes agglomérations urbaines. A quelques exceptions près, la Saur et les petites entreprises interviennent sur les services de moins de cent mille habitants. Le Conseil de la concurrence en conclut que « seuls Vivendi et Lyonnaise des eaux sont susceptibles de répondre aux appels d’offres pour les grandes villes : la concentration de l’offre est donc considérable pour ces dernières ».
DES CONTRATS RENOUVELÉS AVEC LA MÊME ENTREPRISE
Dans un rapport publié en 1999, le Haut conseil au service public constate que seulement 5 % des contrats ne sont pas reconduits avec le délégataire antérieur « soit au rythme actuel des consultations environ trois contrats sur mille changeraient chaque année de titulaire ». La DGCCRF, dans une note de 1999, explicite ce phénomène de la façon suivante : « quel que soit le nombre de candidatures manifestées ou étudiées, l’attribution revient presque inéluctablement au titulaire précédent. Celui-ci paraît disposer partout d’un net avantage comparatif, renforcé par une tendance à peine camouflée des collectivités à vouloir continuer à travailler avec le même prestataire s’il a donné satisfaction ». Le Conseil de la concurrence estime sur ce point que « le délégataire en place est, dès lors, souvent seul à présenter une offre. Enfin, même lorsque les deux plus grands groupes sont en concurrence lors du renouvellement d’une délégation, ce facteur ne suffit pas, en général, à lui seul à réduire sensiblement les prix ». Le Haut conseil du secteur public n’hésite pas « à se demander si l’on n’est pas en présence d’un monopole de fait, en raison de l’adoption d’un « code de bonne conduite » implicite ».
LES CONSTATS DE L’UFC-QUE CHOISIR
LA FENÊTRE DE CONCURRENCE S’OUVRE TOUS LES 15 OU 20 ANS LORS DU RENOUVELLEMENT DE CONTRAT
La grande particularité du secteur de l’eau est que le jeu concurrentiel se joue dans une fenêtre de temps très courte : le renouvellement du contrat qui a lieu tous les quinze ou vingt ans. Dès lors, la structure du marché est peu réversible car elle doit attendre un nombre suffisamment important de renégociations des contrats pour connaître un changement significatif. Ce constat a deux conséquences :
Premièrement, la plupart des contrats des grandes villes seront renégociés dans les prochaines années (2009 pour Paris, 2011 pour le SEDIF, 2012 pour Lille, 2016 Lyon). L’issue de ces renouvellements de contrat va donc déterminer une large part de la tarification de l’eau pour les vingt ans à venir. Ces renouvellements étant préparés sur plusieurs années, il est fondamental de réformer dans les deux ou trois prochaines années la régulation de ce secteur.
Deuxièmement, il est nécessaire de concentrer le contrôle sur ce moment clé de la renégociation. Si le renouvellement a été utilement encadré par la loi Sapin, il faut renforcer son contrôle par une autorité extérieure.
IL EXISTE TRÈS PEU DE BARRIÈRES ÉCONOMIQUES OU TECHNIQUES À L’ENTRÉE SUR LE MARCHÉ
D’un point de vue économique, la grande stabilité de l’oligopole de l’eau représente un mystère. En effet, si on excepte la durée longue des contrats, qui est un facteur d’inertie, il n’existe aucune barrière à l’entrée du marché.
Le secteur se caractérise par un contenu technologique assez relatif et qui, en tout cas, représente des investissements de recherche-développement négligeables au regard des investissements pour l’amortissement du réseau (3). Par ailleurs, les industriels de l’eau détiennent peu d’actifs physiques dont la revente serait malaisée (4).
Il est parfois émis l’idée que le secteur de l’eau implique de forts investissements et que les entrants potentiels seraient découragés par la nécessité de disposer d’importants capitaux. En réalité, sur chacun des contrats, le financement des investissements est le plus souvent assuré par les communes, qui contractent un crédit. Par ce dispositif, le remboursement du crédit est amorti sur une quinzaine d’années, et le coût annuel de la dette est intégré dans le prix de l’eau. Le chiffre d’affaires de l’eau étant assez certain, le remboursement du crédit ne soulève pas de difficultés. Ainsi, l’activité de l’eau nécessite une mise de départ assez faible (les frais de structure administrative et commerciale, la constitution de la compétence technique) et il n’existe pas de barrière à l’entrée induite par la mobilisation de capitaux.
Par ailleurs, le secteur de l’eau offre des perspectives intéressantes pour un entrant potentiel. Premièrement, si l’entrant parvient à obtenir un ou plusieurs marchés, la durée du contrat offre un horizon garanti de chiffre d’affaires, ce qui limite le risque d’échec en cas d’entrée . Deuxièmement, notre étude souligne à quel point les marges des syndicats d’eau sur les grandes villes sont élevées. Au moins sur les contrats importants, il est évident que les oligopoles installés n’ont pas pratiqué une stratégie de prix prédateurs (i.e prix faible) pour dissuader les entrants potentiels. Le niveau plus que confortable des profits réalisés devrait normalement attirer les velléités d’autres entreprises.
Pour conclure, l’absence d’entrée de nouvelles entreprises sur le marché ne répond à aucune rationalité économique.
UNE STRUCTURE DE MARCHÉ OLIGOPOLISTIQUE ET IMMUABLE
Auditionné par la mission de contrôle de l’Assemblée nationale en 2001 (5), Monsieur Luc Valade, chef de service à la DGCCRF, résume la situation du secteur de l’eau de la façon suivante : « Pour le service de contrôle, nous avons parfois le sentiment d’être mis en échec. La logique de l’oligopole est ainsi faite que, finalement, il n’est pas vraiment nécessaire que deux ou trois opérateurs bien établis qui participent à l’oligopole se réunissent et s’entendent formellement pour se partager le marché. Il nous est donc très difficile de rassembler des preuves matérielles de l’entente, même si, de fait, le résultat est bien celui d’une entente ».
Le constat historique démontre l’étonnante stabilité de l’oligopole de l’eau. Depuis plusieurs décennies, trois entreprises (Générale des eaux, Lyonnaise des eaux, SAUR) se partagent l’essentiel du marché de l’eau et leurs parts de marché respectives restent figées à des niveaux constants. Plus encore, le marché des villes de plus de 100.000 habitants, où se concentrent les marges excessives, reste la chasse gardée de la Générale des eaux et de la Lyonnaise des eaux. La concurrence de la Saur se limite aux villes de moins de 100.000 habitants et les petites entreprises interviennent sur les marchés de moins de 50.000 habitants.
Ce phénomène a été amplifié par la constitution de sociétés mixtes entre les deux grandes entreprises pour l’exploitation de grands contrats comme les villes de Marseille et de Lille ou par le partage du marché de la ville de Paris (rive droite pour la Générale des eaux, rive gauche pour la Lyonnaise des eaux).
En France, il apparaît qu’aucune entreprise extérieure au secteur de l’eau ne s’est sérieusement intéressée à une entrée sur ce secteur. La concurrence étrangère s’est aussi peu manifestée. Une société américaine de distribution d’eau, US Filter, avait souhaité s’implanter en France avant d’être racheté par Vivendi-Générale des eaux. La société britannique Thames Water avait aussi émis le souhait de postuler sur des appels d’offres mais n’a jamais concrétisé cette volonté.
Au cours de l’audition parlementaire, le chef de service de la DGCCRF constate que « rares, jusqu’à présent, opérateurs étrangers ou opérateurs nouveaux entrants, qui souhaitent arriver sur le marché. Il y a peut-être des solutions, mais pour l’instant, si tant est que les communes souhaitent vraiment étudier les candidatures venues de toute l’Europe, les rares opérateurs qui ont tenté d’entrer sur le marché français de l’eau ou de l’assainissement ont échoué. C’est loi de l’oligopole. » Le responsable public conclut que « la structure concurrentielle du marché à l’heure actuelle ne semble pas permettre l’entrée de nouveaux opérateurs sur ce marché. C’est le point qui me paraît tout à fait fondamental ».
Nous constatons que le marché de l’eau des grandes villes est un duopole quasi-immuable. Cette stabilité n’ayant aucune justification économique ou technique, nous ne pouvons l’expliquer que par des rigidités institutionnelles.
LA MENACE DU PASSAGE EN RÉGIE EST UN FACTEUR DE CONCURRENCE
Notre étude ne permet pas de comparer le rapport qualité-prix des régies à celui des délégataires privés. Certaines régies (Strasbourg, Reims) présentent d’ailleurs des prix trop élevés. Nous ne pouvons pas affirmer que, d’une façon systématique, le retour en régie constitue le meilleur moyen de faire baisser les prix.
Cependant, dans un contexte oligopolistique stable et étroit, il faut constater que la menace du retour à la régie constitue un des rares leviers de concurrence. Le cas le plus frappant concerne les villes qui sont exploitées conjointement par les deux grandes entreprises du duopole (Marseille, Lille). Dans ce cas de figure, le renouvellement du contrat risque de susciter une seule offre, celle de l’alliance formée par les deux délégataires ! La menace du retour en régie est alors la seule alternative évidente lors de la négociation. D’une manière générale, seules les deux grandes entreprises répondent aux appels d’offres des grandes villes ce qui constitue un terrain propice à l’entente. L’option de la régie introduit un « troisième concurrent » qui améliore la négociation du contrat.
(1) Entre ces deux modèles il existe quantité de formes hybrides. Certaines communes gèrent en régie mais délèguent certains segments de l’activité par exemple. Surtout, il faut noter que de nombreuses communes délèguent la distribution de l’eau et gardent l’assainissement en régie.
(2) Avis du 31 mai 2000 sur le prix de l’eau en France.
(3) Par exemple, le groupe Veolia Water (ex-Générale des eaux) déclare employer 350 chercheurs de par le monde sur son activité eau qui dessert 110 millions de personnes. Cela représente 1 chercheur pour 342.000 usagers desservis
(4) Les communes restent propriétaires du réseau et de la plupart des autres ouvrages (station d’épuration par exemple).
(5) Nous sommes donc loin d’une situation où l’entrepreneur ne sait pas s’il parviendra à constituer sa clientèle lors des premières années d’activité. La seule obtention d’un gros contrat lui garantit un chiffre d’affaires pour une longue période.
(6)« De l’opacité à la transparence : le prix de l’eau », Mission d’évaluation et de contrôle, rapport n°3081
Pétrole : profits records comment et pour qui ?
Pétrole : profits records comment et pour qui ?
par Valérie Mignon
Professeure en économie, Chercheure à EconomiX-CNRS, Conseiller scientifique au CEPII, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières dans the » conversation »
Des profits record pour 2022, les plus hauts qu’elles aient connus de toute leur histoire. Côté américain, 55,7 milliards de dollars de profits ont ainsi été enregistrés par ExxonMobil et 36,5 milliards par Chevron.Les majors européennes ne sont pas en reste, avec des profits s’élevant à 39,9 milliards de dollars pour Shell ou encore 20,5 milliards de dollars de bénéfice net engrangés pour TotalEnergies et 27,6 pour le groupe britannique British Petroleum. Ces chiffres mirobolants ne manquent pas de faire polémique dans l’actuel contexte de crise énergétique. Répondre à cette question nécessite d’effectuer un bref retour sur l’évolution du cours du baril lors de l’année 2022. La forte reprise de l’activité qui a suivi la crise économique mondiale liée à la pandémie de Covid-19 s’est traduite par une hausse de la demande de pétrole qui a, mécaniquement, tiré les prix du brut vers le haut.
À ce facteur économique s’est ajouté un élément géopolitique majeur, l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Cette attaque a créé une onde de choc sur le marché pétrolier avec un cours du baril qui s’est immédiatement envolé pour côtoyer les sommets de mars à mai 2022.
Cette flambée des prix du brut dès le début du conflit s’explique par les craintes provoquées par la guerre en Ukraine quant à un possible manque d’approvisionnement en hydrocarbures, tirant en conséquence les prix de l’or noir vers le haut. Les incertitudes relatives aux perspectives économiques mondiales ont ensuite pris le relais, en particulier quant à un éventuel ralentissement de l’activité économique en Chine, deuxième plus gros pays consommateur de pétrole au monde.
La recrudescence des cas de Covid-19 a en effet jeté un doute sur la santé économique à venir de l’empire du Milieu, générant une vive incertitude au niveau mondial. Les prix du brut ont alors été tirés vers le bas en raison des anticipations à la baisse de la demande chinoise de pétrole. Quoi qu’il en soit, sur l’ensemble de l’année 2022, les prix du brut (brent) ont enregistré une croissance moyenne de 42,6 % par rapport à 2021.
Outre l’impact conséquent sur le pouvoir d’achat des ménages, si cette flambée du cours du baril a engendré une hausse des coûts de production pour la très grande majorité des entreprises, tel n’est pas le cas pour les compagnies pétrolières qui produisent des hydrocarbures. C’est la raison pour laquelle l’envolée des prix du brut s’est traduite par des bénéfices record pour les groupes pétroliers.
Des profits pour qui ?
C’est évidemment la question qui fait couler beaucoup d’encre, puisqu’une grande partie des bénéfices est redistribuée aux actionnaires sous la forme de dividendes. Le sujet des dividendes a toujours fait l’objet de vifs débats en France, dans la mesure où une (très) faible minorité de Français détient des actions, contrairement à la population de nombreux autres pays (États-Unis, Royaume-Uni, Pays-Bas, etc.) pour qui il s’agit de la principale source d’épargne constituée en vue, notamment, de la retraite. Du côté des compagnies, leur réticence à ralentir les versements de dividendes tient au fait que ceux-ci leur permettent d’attirer des actionnaires dont les placements tirent à la hausse leur valeur boursière.
À ces versements de dividendes s’ajoutent les rachats d’actions. La partie des sommes colossales accumulées par les compagnies pétrolières qui n’est pas utilisée pour investir leur sert ainsi aussi à racheter leurs propres actions sur le marché boursier, ce qui a pour effet de faire monter les cours.
On entre alors dans une boucle autoentretenue : les « superprofits » des compagnies pétrolières leur permettent de faire monter le cours de leurs actions en bourse et cette croissance de la valeur boursière alimente à son tour les bénéfices engrangés par les majors, d’autant plus lorsque les prix du brut sont orientés à la hausse.
En pleine crise énergétique mondiale, ces pratiques ont naturellement de quoi être décriées. D’un point de vue strictement économique, il est toutefois important d’étudier si des dividendes en hausse et des rachats d’actions pèsent sur les bénéfices que les firmes pourraient consacrer à l’investissement.
Si tel peut effectivement être le cas pour des entreprises non cotées qui n’auraient pas facilement accès aux marchés financiers, il n’en est pas de même pour les majors. Ces dernières ont généralement des niveaux de trésorerie très élevés et les dividendes n’en constituent qu’une faible proportion. Elles sont donc à même tout à la fois d’investir massivement, en fonction de leurs projets et des opportunités qui se présentent, et de distribuer des dividendes.
Une partie des bénéfices des groupes pétroliers est ainsi destinée à l’investissement dans les hydrocarbures, mais aussi dans les énergies renouvelables. Sur ce dernier point, les compagnies – en particulier américaines – ont été vivement critiquées du fait des faibles montants investis dans le solaire, l’éolien et les autres énergies renouvelables comparativement aux sommes qu’elles versent aux actionnaires. C’est une des raisons qui a conduit le président américain Joe Biden à vouloir quadrupler la taxe sur les rachats d’actions entrée en vigueur en janvier 2023.
Taxer ces superprofits ?
La question de l’instauration d’une taxe sur les profits des géants du pétrole est toujours l’objet de nombreux débats. En Europe, certains pays comme la France avaient choisi d’instaurer un bouclier tarifaire alors que d’autres, tels le Royaume-Uni, l’Italie ou la Hongrie, ont opté pour la mise en place de taxes.
Si l’instauration de taxes exceptionnelles sur les superprofits des compagnies pétrolières peut s’avérer utile pour compenser la hausse des prix de l’énergie, elle pourrait cependant avoir des effets contre-productifs en retardant la transition énergétique. Si les énergies renouvelables sont destinées à devenir des sources d’énergie essentielles d’ici quelques années, elles ne peuvent remplacer « au pied levé » le pétrole : la transition n’est pas
Afin de promouvoir le passage aux énergies renouvelables et assurer la transition énergétique, il convient de prendre garde à ne pas interrompre brutalement les investissements dans le secteur pétrolier, ce qui pourrait advenir en cas d’instauration de taxes très élevées. Cela est encore plus important dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, puisqu’il est nécessaire de remplacer le pétrole russe par du pétrole en provenance d’autres pays. Il faut donc faire preuve de vigilance afin de ne pas entraver cette dynamique.
Taxer lourdement les entreprises lorsque celles-ci réalisent des investissements qui s’avèrent gagnants peut en outre être contre-productif puisque cela reviendrait à taxer les compagnies les plus innovantes. Cela ne profiterait pas aux entreprises du secteur des énergies renouvelables qui pourraient, elles aussi, se voir taxer en cas de réalisation de superprofits alors même que ceux-ci découleraient d’une stratégie d’investissement ambitieuse.
À ce jour, l’urgence est d’aider les consommateurs à faire face aux prix à la pompe élevés sans entraver les investissements des entreprises, nécessaires à la transition énergétique. De ce point de vue, une piste réside dans la redistribution des recettes provenant de la taxe carbone aux ménages les plus vulnérables afin de les aider dans la réalisation de la transition énergétique. De même, une taxe carbone « flottante » évoluant en fonction des fluctuations du cours du baril permettrait de contrebalancer la hausse des prix du brut via une réduction du montant de la taxe et limiter ainsi l’impact sur les prix affichés des carburants.