Le procès d’Eric Dupond-Moretti n’apportera rien au débat sur la responsabilité des gouvernants
Alors que le garde des sceaux doit comparaître devant la Cour de justice de la République du 6 au 17 novembre, l’essayiste revient, dans une tribune au « Monde », sur les limites d’une telle procédure. Il appelle à la diffusion d’une culture déontologique face à la défiance qui grandit, en France, à l’égard des politiques.
La responsabilité des gouvernants est une question aussi ancienne qu’irrésolue. Nos régimes politiques y ont toujours répondu en créant des hautes cours inopérantes. Robert Badinter en fit le compte : « Cinq affaires en trois siècles ! » (Les Ministres devant la justice, Actes Sud, 1997). Pour y remédier, nous avons créé en 1993 la Cour de justice de la République (CJR). Peine perdue ! L’absence d’impartialité objective de sa composition (trois juges, douze élus) et les discordances de ses décisions (relaxe pour un ministre, condamnation pour ses collaborateurs), sans compter son maigre bilan (quatre relaxes, deux dispenses de peine, des peines légères ou avec sursis), militent pour sa suppression depuis longtemps.
C’est devant cette cour que va comparaître le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, à qui il est reproché d’avoir ordonné une enquête à finalité disciplinaire contre des magistrats dont il avait critiqué « les méthodes de barbouzes » en tant qu’avocat (Le Monde du 25 octobre). Des plaignants qui ont saisi la CJR y ont vu un conflit d’intérêts au sens d’une interférence entre un intérêt public et son intérêt personnel de nature à compromettre l’exercice de ses fonctions ; faits qualifiés pénalement de « prise illégale d’intérêts » et punis de cinq ans d’emprisonnement.
Si l’on excepte son importance pour les personnes concernées, on peut douter de l’apport de ce procès au débat sur la responsabilité des gouvernants. D’abord parce que, si la présomption d’innocence reste un droit fondamental, son usage réitéré a trop servi de paravent à ce débat. C’est en son seul nom que les ministres restent actuellement en fonctions jusqu’à leur procès, ce qui n’a pas été toujours le cas. Ensuite, les magistrats, tout aussi présumés innocents, comprennent mal qu’à l’inverse de leur ministre, en cas de mise en examen, ils puissent immédiatement être suspendus par le Conseil supérieur de la magistrature (procédure d’« interdiction temporaire »). La défense du ministre cherchera probablement à polariser l’opinion sur la dissension entre les juges et leurs syndicats qui avaient accueilli sa nomination à la Place Vendôme comme une « déclaration de guerre ». A l’ère de médias de masse et des réseaux sociaux, ce narratif risque de soustraire au débat public les enjeux du conflit d’intérêts.