Covid-19. une probable vague sans précédent et à une saturation de l’hôpital (professeur Renaud Piarroux )
Le spécialiste des épidémies Renaud Piarroux affirme dans le JDD que le risque de saturation des services hospitaliers est sous-estimé.
En février 2020, Renaud Piarroux, professeur de parasitologie au CHU de la Pitié-Salpêtrière à Paris ayant participé à la gestion d’épidémies en Haïti ou en Afrique, avait été l’un des seuls à percevoir la catastrophe qui s’annonçait. Ces jours-ci, il a alerté la direction des hôpitaux parisiens (AP-HP) contre un risque de saturation. « Il faut nous préparer au pire! » a-t-il exhorté. Selon lui, la fatigue pandémique et le déni nous empêchent de regarder en face l’augmentation du nombre des nouvelles hospitalisations.
Les hospitalisations ont augmenté de 15% ces sept derniers jours. La vague Omicron peut-elle submerger le système de santé?
Cette vague me rappelle la première. Plus exactement, c’est la même en négatif, au sens photographique du terme, le noir prenant la place du blanc et vice versa. En mars-avril 2020, le pays était pétrifié. Le pilier, c’était l’hôpital. Certes on découvrait la maladie mais, hormis dans quelques établissements submergés du Grand Est, un standard élevé de soins était pratiqué ; un malade qui avait besoin d’aller en réanimation y entrait ; le nombre d’infirmiers par patient était optimal ; les personnels des services à l’arrêt venaient en renfort. Le blocage avait lieu en amont puisque beaucoup de patients avaient renoncé à venir à l’hôpital.
Et aujourd’hui?
Aujourd’hui, c’est l’inverse. Le soir, en sortant de la Pitié-Salpêtrière, j’ai l’impression que le virus a disparu. À part la longueur des files d’attente pour les tests devant les pharmacies, rien n’est vraiment différent d’il y a deux mois. La ville vit avec le virus. À l’intérieur du CHU, par contre, la situation devient de plus en plus alarmante. Le nombre de passages aux urgences atteint déjà celui du pic de la deuxième vague, début novembre 2020, au moment où tout s’était arrêté. Et quoi qu’on dise, les réanimations se remplissent : on a dépassé 3.800 patients Covid en France, soit plus de la moitié du nombre atteint lors du pic de la première vague.
Mais la situation semble sous contrôle. En quoi est-ce alarmant?
Il y a une inadéquation entre les besoins des malades et les moyens pour y répondre. Contrairement à mars 2020, nous peinons à faire face à l’afflux de patients. Deux exemples : alors que le variant est davantage transmissible, il n’est plus possible de séparer complètement les secteurs dédiés au Covid et les non Covid, ce qui accroît le risque d’infection nosocomiale ; une part importante du personnel – positif ou épuisé – est arrêtée ; une autre travaille après une contamination et même avec de légers symptômes. Vous avez seulement le nez qui coule? On vous encourage à venir! Mais ce drame se déroule à huis clos : à l’extérieur des hôpitaux, cette dégradation des soins n’est pas perçue.
Nous serions dans le déni?
Oui, certains biais cognitifs nous poussent à privilégier les signes encourageants. Et il y a une conjonction entre l’approche de la présidentielle et le ras-le-bol général. Cette lassitude n’épargne ni les experts ni les responsables sanitaires ni les journalistes. C’est ainsi que les dernières modélisations de l’Institut Pasteur font l’objet d’articles de presse privilégiant l’hypothèse la plus optimiste.
Quelle lecture en faites-vous?
Au vu des dernières données et des informations produites par nos collègues du Samu qui croulent sous les appels, le doute n’existe plus : nous sommes sortis de la trajectoire optimiste. L’Institut Pasteur envisage douze scénarios différents, en faisant varier différents paramètres dont la contagiosité d’Omicron et sa dangerosité. La presse a évoqué un pic autour de 1.700 à 2.700 nouvelles hospitalisations par jour et occulté les scénarios catastrophes à 7.000 ou 9.000. Pourtant, du fait des indicateurs épidémiques actuels (augmentation exponentielle du nombre de cas et accroissement sensible du nombre des nouvelles hospitalisations ces derniers jours), ces scénarios pessimistes me semblent plus proches de la réalité : le pic des contaminations, attendu vers la mi-janvier, pourrait entraîner 5.000 nouvelles hospitalisations par jour. Ce n’est pas une vaguelette qui nous attend fin janvier, elle pourrait être plus forte que la deuxième et la troisième vague.
Mais le virus est moins dangereux!
Ma lecture des données venues du Danemark montre que l’épidémie d’Omicron double tous les deux jours et que ce variant n’est pas cinq fois moins dangereux que Delta mais plutôt deux ou trois fois moins seulement, ce qui donne une sévérité proche soit de la souche initiale, soit du variant alpha. Un virus moins virulent peut faire des dégâts considérables s’il infecte un nombre plus important de personnes. Or Omicron a une contagiosité extrême. Avec 300.000 contaminations par jour, si un peu plus de 1% des gens sont hospitalisés comme aujourd’hui au Danemark, cela donnerait plus de 3.000 entrées par jour. En réalité cela sera plus élevé chez nous car, comme beaucoup de patients n’arrivent pas à se faire tester, le nombre de nouvelles contaminations est largement sous-estimé.
La durée d’hospitalisation n’est-elle pas plus brève avec Omicron?
Prudence, prudence. On la sous-estime toujours en début de vague, quand les contaminations touchent des gens jeunes. Le taux d’hospitalisation parmi les infectés augmente lui aussi avec l’âge des personnes positives.
Les hôpitaux tiendront-ils?
Ce sera gérable si on déprogramme massivement. Il faudra se focaliser sur les urgences, qu’elles soient liées au Covid ou non.