Archive pour le Tag 'Poutine'

Page 5 sur 24

Un Poutine fragilisé mais encore davantage dangereux

Un Poutine fragilisé mais encore davantage dangereux

 

Les médias rapportent des prises de position surprenante en Russie condamnant la politique de Poutine. Des prises de position encore loin d’être majoritaires tellement les médias sont cadenassées et la population sous informée. Même sur la télévision cependant des interrogations naissent à propos de la pertinence de l’opération spéciale de Poutine en Ukraine. De fait Poutine subit actuellement des reculs militaires significatifs aussi bien dans l’Est que dans le Sud. Il est cependant encore trop tôt pour en tirer des conclusions quant aux possibilités de victoire de l’Ukraine. De toute évidence, Poutine est affaiblie après ses échecs militaires mais l’individu qui ne connaît que le mensonge et la terreur pourrait recourir à des armes encore davantage destructrices notamment tactiques y compris sur les populations civiles. On craint évidemment aussi un recours au nucléaire et aux armes hypersoniques.En attendant, les avancées ukrainiennes et les prises de position anti Poutine marquent un tournant même si elles sont encore très minoritairesAinsi deux groupes de députés municipaux à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou, ont exigé, vendredi 9 septembre, que Vladimir Poutine quitte le pouvoir, sur fond de fiasco militaire en Ukraine et d’élections locales à travers le pays. Le motif invoqué par les élus est cinglant : le président russe a, selon eux, failli.

Le conseil des députés de la municipalité de Smolninskoïe (un quartier de Saint-Pétersbourg) a envoyé une missive officielle à la Douma, la chambre basse du Parlement, réclamant la destitution du chef de l’Etat. Le texte indique que les hostilités en Ukraine « nuisent à la sécurité de la Russie et de ses citoyens », ainsi qu’à l’économie, et qu’elles ne sont pas parvenues à arrêter la progression de l’OTAN vers les frontières russes. Selon ces élus municipaux, les actions du chef du Kremlin relèvent de l’article 93 de la Constitution, selon lequel le président peut être démis de ses fonctions pour « trahison ».

À la télévision officielle, pour la première fois on s’est aussi interrogé sur l’efficacité de la politique militaire de Poutine.

Poutine–Macron : encore une conversation inutile !

Poutine–Macron : encore une conversation inutile !

 

 

Macron qui veut toujours se faire plus gros que le bœuf pour gérer les crises internationales a une nouvelle fois pris l’initiative de téléphoner longuement à Poutine notamment à propos des frappes sur la plus grande centrale nucléaire d’Ukraine

Située dans le sud de l’Ukraine et contrôlée par les forces russes, cette centrale, la plus grande d’Europe, a été plusieurs fois bombardée ces dernières semaines, Moscou et Kiev s’accusant mutuellement de ces frappes. Cette situation a fait resurgir le spectre d’une catastrophe majeure, similaire à celle de Tchernobyl en 1986.

Évidemment,  il n’est rien sorti de cette discussion Poutine dégageant toute responsabilité sur cette question alors  que c’est lui qui occupe cette centrale pour y installer   des forces militaires y compris d’artillerie.

Ces bavardages entre Macron et Poutine sont complètement inutiles voir dangereux. En effet Macron qui ne comprend pas grand-chose aux problématiques internationales ( voir aussi l’échec de la force par Barkhane en Afrique) n’a pas compris que Poutine est capable de tout dire et le contraire, le mensonge et la terreur constituant l’idéologie centrale du dictateur.

Faut-il se souvenir que Macron la veille du déclenchement du conflit Russo ukrainien avait eu encorelà  longuement Poutine au téléphone; Et ce dernier lui a affirmé que jamais la Russie d’envisager la moindre intervention en Ukraine!

La nouvelle discussion de Macron avec Poutine intervenaient au lendemain de la publication d’un rapport de l’AIEA faisant état d’une situation sécuritaire « intenable ». Ce rapport de l’agence onusienne appelait notamment à la création d’une « zone de sécurité » sur le site. La vice-Première ministre ukrainienne, Iryna Verechtchouk, a pour sa part demandé la mise en place d’ « un couloir humanitaire pour l’évacuation de la population civile du territoire temporairement occupé (par les Russes) et adjacent à la centrale nucléaire ».

L’entretien entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron a eu lieu à l’initiative du président français, selon le Kremlin. Lors de la conversation téléphonique, Vladimir Poutine a une nouvelle fois dénoncé les livraisons d’armes occidentales au régime de Kiev, utilisées selon lui pour « des bombardements massifs des infrastructures civiles des villes du Donbass », bassin minier dans l’Est de l’Ukraine.

Les deux dirigeants se sont déjà entretenus au téléphone le 19 août au sujet de la centrale nucléaire de Zaporijjia.  Et on ne peut pas dire que cet entretienait  apporté quelque chose de positif.

Système Poutine : dictature, mafia et terreur

 

 

Système Poutine : dictature, mafia et terreur

Au cours d’une enquête journalistique d’une qualité remarquable, la Britannique Catherine Belton décortique le fonctionnement du clan Poutine, entre mafia et autoritarisme.( Les Echos

 

C’est le livre qu’il faut avoir lu cette année. Parce qu’il révèle la véritable nature du régime de Vladimir Poutine, le tsar qui a décidé d’entrer en guerre contre l’Ukraine et au-delà tout l’Occident. Celle d’un régime autoritaire qui rêve de grandeur pour la Russie et, en même temps, mafieux, les deux aspects se renforçant l’un et l’autre. Ensuite parce que cet ouvrage magistral se lit comme un thriller policier, avec ses espions, ses parrains, ses hommes d’affaires sibériens véreux, ses financiers genevois aux ordres, ses courtisans prêts à tout et ses traders de matières premières londoniens sans scrupule. Enfin parce qu’il s’agit aussi d’une leçon de journalisme. On imagine la difficulté à trouver des sources acceptant de s’exprimer sur le maître du Kremlin – d’où le fait que de nombreux témoignages soient anonymes – et la ténacité qu’il a fallu à l’auteur.

Dans une enquête époustouflante, de près de 600 pages, Catherine Belton ausculte le parcours de Vladimir Poutine et les hommes sur lesquels il s’est appuyé pour monter, s’installer au pouvoir et y rester. Cette journaliste britannique, ancienne correspondante à Moscou pour le « Financial Times », actuellement au « Washington Post », démonte le système Poutine, les relations de tutelle des oligarques, les réseaux d’influence, l’argent, qui passe d’ailleurs souvent par des places financières européennes, Londres et Genève en tête, grâce à des banquiers ayant pignon sur rue.

Au milieu des années 1980, le jeune Vladimir Poutine se retrouve officier du KGB à Dresde. Le lieu est important car la ville se situe dans un pays frontalier de l’Ouest et est moins surveillée que Berlin. Il est chargé de recruter des agents opérant de l’autre côté du rideau de fer et sa présence en Allemagne lui permettra de nouer des relations outre-Rhin dont Matthias Warnig, ancien de la Stasi, la police politique est-allemande et actuel patron de Nord Stream. L’effondrement de l’URSS le surprend et le choque. Mais d’autres agents du KGB envoyés à l’Ouest ont anticipé la fin de l’empire communiste et ont commencé à mettre en place des réseaux financiers pour recycler l’argent sale.

L’appartenance de Poutine au KGB est primordiale car les anciens services secrets soviétiques sont un clan. Et ce sont ses membres ainsi que ceux des services de sécurité - les siloviki, en russe – qui ont permis à Poutine de se retrouver bras droit du maire de Saint-Pétersbourg au début des années 1990, de prendre possession du très lucratif port de la ville par lequel transitent les hydrocarbures, en y évinçant le gang mafieux « propriétaire », puis d’intégrer l’entourage de Boris Eltsine et, enfin, d’apparaître comme le successeur de ce président, honni par les Russes. On les retrouve d’ailleurs aujourd’hui dans l’entourage de Poutine, tels Igor Setchine, l’ancien vice-Premier ministre, ou Nikolaï Patrouchev, patron des services secrets, deux hommes qui ont connu le président à Saint-Pétersbourg.

Et depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en 2000, à la tête du pays, tous ces ex du KGB, qui n’ont jamais digéré la fin de l’empire soviétique, s’emploient à amasser de l’argent et à « faire renaître la Russie impériale », comme l’explique Catherine Belton. Pour eux, la fin justifie les moyens. Accaparement des richesses du pays – secteur des matières premières en tête – avec l’aide de l’appareil d’Etat, corruption organisée de la justice, intimidations, emprisonnements, violence… tout est bon pour réussir.

Parallèlement, ces moyens et ceux de l’Etat russe sont aussi mis au service d’une autre cause : refaire de la Russie une puissance qui compte sur la planète après l’humiliation de la guerre froide. Et pour cela, il s’agit de miner les démocraties occidentales, d’acheter leurs élites – c’est le cas à « Londongrad » – et de financer ou d’aider tous ceux qui peuvent affaiblir l’Occident de l’intérieur. Les hommes du KGB excellent en la matière. Ils ont même été formés pour cela, Vladimir Poutine le premier. Financement de partis extrémistes, lancement d’opérations de piratage des réseaux de l’adversaire, recrutement de relais d’influence. C’est une véritable opération de déstabilisation dans laquelle s’est lancé le pouvoir russe il y a un peu plus de vingt ans. La proximité du Kremlin avec Marine Le Pen, l’Italien Matteo Salvini, chef de la Ligue, le président hongrois Viktor Orban et même avec Donald Trump n’a qu’un but : renverser l’ordre établi et renforcer la position russe. Le prétendu côté antisystème de Poutine ne vise qu’à accroître son pouvoir.

On le voit, on est très loin du défenseur des valeurs chrétiennes et occidentales que voit en Poutine une partie de l’extrême droite. Quant à l’anti-américanisme du maître du Kremlin, on comprend à la lecture de Catherine Belton qu’il ne devrait pas suffire à séduire qui que ce soit restant attaché à l’idée démocratique. Avec la guerre en Ukraine et les tensions avec les Européens, à l’aube d’un hiver difficile, la traduction en français de ce livre est une oeuvre de salut public.

LES HOMMES DE POUTINE. COMMENT LE KGB S’EST EMPARÉ DE LA RUSSIE AVANT DE S’ATTAQUER À L’OUEST-de Catherine Belton. Talent Editions, 592 pages, 23,90 euros.

Gorbatchev l’anti Poutine ?

Gorbatchev l’anti Poutine ?

 

Artisan du rapprochement Est-Ouest, le père de la perestroïka s’est éteint à l’âge de 91 ans. Perçu en Russie comme le responsable du chaos qui a suivi la chute de l’Union soviétique, il avait quitté la vie politique en 1991. ( papier du Monde). 

 

D’une certaine manière Gorbatchev est considéré comme l’artisan du mouvement démocratique de l’URSS et en ce sens ils représentent l’anti Poutine, lui attaché à une vision quasi tsariste de l’ancienne Russie. Ne pas oublier cependant que Gorbatchev a su utiliser la force pour calmer les velléités d’indépendance de certaines républiques NDLR

Acteur majeur de l’histoire du XXe siècle, Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev, secrétaire général du comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) puis premier, et éphémère dernier président de l’URSS, est mort « à la suite d’une longue et grave maladie » à l’âge de 91 ans, ont annoncé, mardi 30 août, les agences de presse russes.

Adulé en Occident, Mikhaïl Gorbatchev vivait dans un quasi-anonymat en Russie depuis sa sortie de la vie politique, en 1991. Comble du paradoxe, l’artisan du rapprochement Est-Ouest séduisait les foules en Europe et suscitait l’indifférence chez lui.

En Russie, selon un sondage publié en février 2017 par l’institut Levada, 7 % des personnes interrogées disaient éprouver du respect pour le dernier dirigeant soviétique, lauréat du prix Nobel de la paix en 1990. De ce désamour, il avait pris son parti. En mars 2011, tournant le dos à Moscou l’ingrate, l’homme à la célèbre tache lie-de-vin sur le front, avait choisi de fêter son 80e anniversaire à l’Albert Hall de Londres.

Evaluer le rôle de Mikhaïl Gorbatchev est affaire de géographie. En Europe et aux Etats-Unis, il restera associé à la détente, au rapprochement Est-Ouest, à la fin de la guerre soviéto-afghane (1979-1989), à la réunification de l’Allemagne, au souffle de liberté qui déferla sur la « prison des peuples ».

Dans l’aire postsoviétique, la vision est tout autre. L’écroulement de l’empire ? C’est lui. Le chaos qui suivit ? C’est encore lui. Confite en nostalgie pour l’empire perdu, la Russie de Vladimir Poutine perçoit la chute de l’URSS, enterrée d’une pichenette le 25 décembre 1991, comme le résultat de la capitulation de Mikhaïl Gorbatchev face à l’Occident.

Gorbatchev lui-même avait fini par y croire. « La majorité des Russes, comme moi, ne veut pas la restauration de l’URSS, mais regrette qu’elle se soit effondrée », confiait-il au Sunday Times en mai 2016, certain que, « sous la table, les Américains se sont frotté les mains de joie ». Un point de vue qui le rapproche de Vladimir Poutine, convaincu que l’effondrement de l’URSS « est la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ».

S’il se risque à critiquer la réélection de Vladimir Poutine à la présidence de la Russie depuis 2012, l’accusant d’« assujettir totalement la société » par le biais du parti pro-poutinien Russie unie et sa bureaucratie « pire que celle du PCUS », sa vision du numéro un russe change du tout au tout en 2014. Au moment où Moscou rattache la péninsule de Crimée à la Russie par un référendum controversé après y avoir envoyé des commandos, Gorbatchev applaudit : « J’ai toujours été pour la libre expression de la volonté du peuple. Et, en Crimée, la majorité de la population s’est prononcée pour la réunification avec la Russie. »

L’homme de la rue lui reproche son indécision, sa faculté de naviguer à vue au sein de la direction soviétique, donnant des gages à tous, aux réformateurs comme aux conservateurs. Avant tout, il ne peut lui pardonner le grand saut du pays dans l’abîme. Indifférent au vent de liberté, il ressasse à l’envi le film de son quotidien de l’époque, fait de pénuries, de files d’attente et de troc à tout va : cigarettes en guise de paiement pour une course en taxi, trois œufs contre une place de cinéma. La loi antialcool, qu’il imposa très vite, a laissé un mauvais souvenir, avec, pour résultat, l’augmentation de la consommation d’eau de Cologne ou de produits d’entretien comme substituts à la vodka, devenue difficile à trouver.

L’intelligentsia russe et les populations des Républiques de l’ancien glacis ne lui sont pas plus reconnaissantes. N’est-ce pas sur son ordre que l’armée tira sur la foule dans ces Républiques en proie à la fièvre de l’indépendance ?

La Lituanie n’a pas oublié. Le 13 janvier 1991, quatorze personnes perdent la vie lors de l’assaut du Parlement et de la télévision de Vilnius par l’armée soviétique. Sept jours plus tard, à Riga (Lettonie), un assaut similaire fait cinq morts. A Tbilissi (Géorgie), vingt-deux manifestants sont massacrés à coups de pelle en avril 1989 par l’armée fédérale, tandis que 150 personnes sont tuées par les militaires à Bakou (Azerbaïdjan), en janvier 1990.

POUTINE: Le risque de l’apocalypse

POUTINE: Le risque de l’apocalypse 

Michel Eltchaninoff était l’invité ce mercredi matin d’Apolline de Malherbe dans Face à face de BFM , à l’occasion des six mois de l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Vladimir Poutine. Le philosophe et essayiste spécialiste de la Russie, auteur du livre Dans la tête de Vladimir Poutine, a estimé que les suites du conflit dépendraient entièrement de la psychologie et de la vision du monde de l’autocrate russe.

Il y a six mois, l’armée russe envahissait l’Ukraine où la guerre fait toujours rage. Ce mercredi, c’est le philosophe et spécialiste de la Russie, Michel Eltchaninoff, qui était l’invité du Face à face de notre journaliste Apolline de Malherbe pour revenir sur l’événement. Selon l’auteur de l’essai Dans la tête de Vladimir Poutine, l’évolution et l’issue du conflit dépendent entièrement du président russe.

« Vladimir Poutine est dans une politique où il va aux limites du rationnel pour faire plier l’adversaire, et l’adversaire ce sont donc les Ukrainiens mais aussi les Européens et les Américains », a observé l’intellectuel.

Citant les combats autour de la centrale nucléaire de Zaporijia, celui-ci a même repris: « Les Russes flirtent avec les limites de l’apocalyptique. Il est évident que la Russie ne souhaite ni une guerre nucléaire ni un accident mais on est à un tel degré de radicalisation… ».

Une radicalité qui est donc avant tout celle de Vladimir Poutine selon Michel Eltchaninoff: « Il est persuadé qu’il suit une mission historique. Faire retrouver à la Russie le faste de l’empire russe ou de l’Union soviétique, retrouver des terres historiques de la Russie. Il a commencé par la Géorgie, puis la Crimée et le Donbass en 2014″.

Le philosophe voit dans cet état d’esprit de l’autocrate du Kremlin l’influence d’Alexandre Douguine, dont la fille vient d’être tuée samedi dans un attentat que la Russie attribue à l’Ukraine malgré les dénégations de Kiev.

« Si Poutine ne passe pas des coups de fil à Douguine pour savoir ce qu’il doit faire, il a été influencé par cette pensée extrême », a-t-il ouvert.

« Douguine est le symbole du front idéologique de cette guerre. Il fait depuis 20 ans l’apologie d’une Russie devant entrer dans une guerre de civilisation à mort ». « La Russie serait la civilisation de la terre contre la civilisation de la mer incarnée par les Anglo-saxons », a caractérisé Michel Eltchaninoff.

Et cette vision du monde nourrit l’approche des relations internationales de Vladimir Poutine, assure Michel Eltchaninoff.

« Pour Poutine, l’Europe est faible car elle est démocratique, il considère les valeurs européennes comme décadentes. »

De toutes façons, pour le président russe, la situation est simple: il n’a de compte à rendre qu’à son opinion publique. « C’est un homme qui ne supporte pas de perdre, qui ne veut pas perdre la face devant son peuple », a décrit l’essayiste.

Tandis que les autorités ukrainiennes, le président Volodymyr Zelensky en tête, ont affirmé craindre une action particulièrement violente de la Russie à compter de ce mercredi de fête nationale célébrant l’indépendance de 1991, Michel Eltchaninoff a confirmé:

« Vladimir Poutine est prêt à aller très loin. Il a dit que les choses sérieuses n’avaient pas encore commencé. »

Le spécialiste a estimé que cette guerre, désormais vieille d’un semestre, pouvait encore s’inscrire dans la durée car « Vladimir Poutine a le temps pour lui ».

« Il est au pouvoir depuis 22 ans, la constitution – qu’il a modifiée – lui permet d’y rester jusqu’en 2036″, a-t-il expliqué.

Autant dire que notre expert n’est pas optimiste quant à l’aboutissement du processus de paix: « S’il y a un arrêt des combats ce ne serait qu’une pause, avec une guerre qui reprendrait un an après par exemple. Une pause qui n’empêcherait pas les Ukrainiens de mener des actions, ou la Russie de préparer une offensive par exemple sur Odessa, l’un de leurs objectifs. »

Certes, les rumeurs vont bon train concernant la santé de Vladimir Poutine. Toutefois, Michel Eltchaninoff a appelé à la prudence: « Il y a des rumeurs mais tout dépend d’un état de santé de Vladimir Poutine duquel on ne sait rien ». Le 7 octobre prochain, Vladimir Poutine atteindra d’ailleurs ses 70 ans. « Vladimir Poutine fait très attention à sa santé, et il est entouré d’une dizaine de médecins », a achevé Michel Eltchaninoff.

Poutine : Victoire pour le pétrole russe ?

Poutine : Victoire pour le pétrole russe !

Ils se sont tous lourdement trompés, ceux qui avaient prédit un effondrement de la production russe de pétrole. Par Michel Santi dans la Tribune

 

Poutine a déjoué tous les pronostics car, avec 10,8 millions de barils/jour (mb/j) pompés en juillet dernier, la production russe de pétrole est quasiment au niveau des 11 mb/j de janvier dernier, soit avant la guerre. En fait, voilà trois mois que cette production s’est nettement redressée du trou d’air subi les mois ayant suivi le déclenchement du conflit, car la Russie a remplacé ses bons clients raffineurs européens par d’autres marchés. ( Des marchés où toutefois les prix sont sacrifiés NDLR)

L’Asie de manière générale et l’Inde en particulier, mais également le Moyen-Orient et la Turquie représentent les nouveaux débouchés, même si certains acheteurs européens persistent dans leurs emplettes en pétrole russe en attendant le point de non retour des sanctions européennes devant intervenir en novembre prochain. Moscou ne se donne désormais même plus la peine d’offrir des réductions – qui furent massives pendant l’hiver afin de séduire de nouveaux clients – tant le pays semble aujourd’hui sûr de sa trajectoire, il est vrai dans un contexte global très tendu en termes d’approvisionnement énergétique dont les dirigeants russes profitent largement. Pour ce faire, les exportateurs russes peuvent compter sur l’émergence de nouveaux «traders» basés au Moyen-Orient et dans certains pays asiatiques qui écoulent – moyennant de juteuses marges – le brut russe vers des acheteurs empressés.

Pour autant, ce que l’honnêteté oblige de qualifier de succès russe n’est pas tant économique et financier que surtout politique. L’Ouest – pour sa part – a complètement échoué à convaincre l’OPEP+ (l’Organisation des pays exportateurs et ses alliés) de se retirer de leur alliance avec la Russie puisque c’est même le contraire qui s’est passé. Emmenée par les grands alliés supposés de l’Occident, à savoir l’Arabie Saoudite et les Emirats-Arabes Unis, cette organisation n’a relevé que symboliquement la production pétrolière de ses nations membres, et en guise de désaveu cinglant et humiliant au Président Biden qui avait exprès pris son bâton de pèlerin pour aller à Ryad rendre un hommage autant contesté que contestable à MBS.

Au final, ce robinet de liquidités de rente pétrolière qui s’est bien redressé, donne de la marge à Poutine qui peut dès lors se permettre de sacrifier une partie importante de ses revenus gaziers en restreignant ses ventes en direction de l’Europe. C’est simple : la Russie engrange depuis peu tant de revenus pétroliers, elle vend tant de pétrole, qu’elle peut se permettre des mesures de rétorsion sur le gaz naturel à l’encontre des Européens qui – bien que restant déterminés – sont néanmoins à peine conscients des désastres qui les attendent. Nos tarifs de consommation électrique seront immanquablement appelés à flamber de l’ordre de 60 à 80%, voire à doubler dans certains pays européens. Très prochainement, nos dirigeants seront confrontés à des choix impossibles car les ravages causés aux différentes économies européennes par cette escalade sans précédent des prix de l’énergie seront extraordinairement douloureux.

Quelque que soit l’angle d’analyse, Vladimir Poutine est en passe de remporter cette guerre de l’énergie. Sa victoire est difficilement contestable sur de multiples fronts, et ce pendant que les centaines de millions perçus quotidiennement par la Russie sur ses ventes pétrolières lui assurent le soutien de la population.

Les politiques climatiques victimes de Poutine

Les politiques climatiques victimes  de Poutine 

 

Les sanctions contre la Russie ont un impact sur la politique climatique de Vladimir Poutine mais aussi sur la science du climat nationale. Par Katja Doose, University of Fribourg et Alexander Vorbrugg, Universide Berne

 

Alors que l’Union européenne vient de conclure un accord sur l’embargo du pétrole russe, l’impact des sanctions liées à la guerre sur la transition énergétique de l’Europe et sur les efforts de décarbonation du monde est intensément discuté.

Mais les sanctions ont également de fortes implications pour la transition écologique de la Russie, déjà lente et plutôt incertaine, qu’il s’agisse de la modernisation de son secteur énergétique ou de la science du climat. Ce que la Russie fait ou ne fait pas a une importance certaine pour le reste d’entre nous : la onzième économie mondiale est également le quatrième plus grand émetteur de gaz à effet de serre, le deuxième plus grand exportateur de pétrole brut, et le plus grand exportateur de gaz. L’économie russe est fortement tributaire de l’exploitation des industries à forte intensité énergétique et des énergies fossiles, le pétrole et le gaz représentant à eux seuls 35-40 % des recettes du budget fédéral ces dernières années. Les hydrocarbures alimentent la richesse et le pouvoir de l’élite russe, mais sont également présentés comme une source de sécurité énergétique et de bien-être pour les citoyens russes.

Jusqu’à récemment, la Russie a longtemps été considérée comme un pays dont la position dans les négociations internationales sur le climat est peu reluisante ; au mieux, elle est un acteur passif, au pire un saboteur actif des ambitions internationales. Toutefois, les choses ont changé ces dernières années, notamment à partir de novembre 2021, lorsque son gouvernement a adopté une loi-cadre sur le climat avec un objectif de zéro émission nette d’ici 2060. L’année 2021 seule a également vu l’introduction d’un système de déclaration des émissions de gaz à effet de serre pour les grands émetteurs, l’adoption de son premier plan national d’adaptation au climat et le lancement d’une expérience d’échange de carbone dans sa région éloignée d’Extrême-Orient visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2025.

Certains diront que l’impulsion de ces initiatives vient de l’extérieur du pays. Par exemple, dans le cadre du paquet « Green Deal » de l’Union européenne, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) doit imposer un prix du carbone sur les importations entrant sur le marché unique européen en provenance de pays non membres de l’UE, comme la Russie, à partir de 2026. Ce tarif frontalier, qui permettrait de couvrir les importations par une tarification du carbone équivalente à celle du marché européen (le système d’échange de quotas d’émission), a été crédité pour avoir incité le gouvernement et l’industrie russes à prendre enfin le changement climatique au sérieux.

Cependant, pour chaque jour de guerre qui passe, ces incitations extérieures perdent encore de leur force, rendant la politique climatique interne de la Russie plus incertaine que jamais.

D’une part, il serait incorrect de dire qu’il ne reste rien de la politique climatique russe. En réalité, les programmes politiques et les stratégies commerciales « vertes » d’aujourd’hui ne dépendent pas entièrement de la pression étrangère. Bien que le parlement russe, la Douma, ait débattu de la sortie de l’Accord de Paris en mai 2022, la volonté politique de le maintenir demeure. Le président de la commission de l’écologie, des ressources naturelles et de la protection de l’environnement de la Douma, Viatcheslav Fetisov, a par exemple déclaré :

« La Russie n’a pas l’intention de se retirer de l’Accord de Paris sur le climat et ne va pas renoncer à la mise en œuvre du plus important instrument juridique international en matière d’environnement. »

Les agences d’État, les entreprises, les groupes de réflexion et autres institutions qui ont développé des stratégies « vertes » au cours des dernières années insistent sur leur pertinence durable pour la lutte mondiale contre le changement climatique, mais aussi les impacts climatiques sur la Russie et les perspectives commerciales futures. Le responsable du programme climat du WWF Russie, Alexeï Kokorine, a même exprimé son optimisme quant au fait que les excédents de gaz liés aux sanctions pourraient être utilisés pour remplacer le charbon du pays et de ce fait, permettre aux émissions de gaz à effet de serre du pays de baisser.

Pourtant, il est indéniable que la crise économique, les sanctions et le renforcement de la rhétorique anti-occidentale engendrée par la guerre ont rendu plus difficile la poursuite les objectifs de décarbonation. Les politiciens et les lobbyistes qui s’étaient déjà opposés aux efforts climatiques ont saisi l’occasion pour demander le retrait de l’accord de Paris.

De nombreuses entreprises profitent de la situation pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il réduise la réglementation environnementale dans le but de les aider à faire face à des circonstances économiques plus difficiles, des projets de loi récents allant déjà dans ce sens. Plus précisément, le gouvernement s’est récemment entretenu auprès des entreprises du secteur de l’énergie sur la possibilité d’assouplir la déclaration et la vérification des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, l’un des plus grands fournisseurs de pétrole du pays, Lukoil, a fait pression sur le gouvernement pour qu’il supprime une législation obligeant les grandes entreprises énergétiques à vérifier leurs rapports sur les émissions de gaz à effet de serre auprès d’une société indépendante à partir du 1er janvier 2023.

Les restrictions sur l’importation de technologies, la diminution des sources de capitaux étrangers et le gel des programmes internationaux ont encore freiné les plans de modernisation des vieilles industries du pays. Le jeune secteur russe des énergies renouvelables a également été touché, certains investisseurs internationaux (dont Vestas, Fortum et ENEL) interrompent leurs projets en Russie ou se retirent même complètement du pays.

Cette situation a incité les politiciens, les hommes d’affaires et les scientifiques à discuter des alternatives aux technologies étrangères et des options nationales pour financer la transition énergétique.

En outre, les sanctions ont fait payer un lourd tribut à la science du climat en Russie, ce qui pose problème tant à ceux qui mettent en œuvre des mesures concrètes de décarbonation en Russie qu’à la communauté scientifique mondiale. Cette situation est particulièrement choquante par rapport à d’autres exemples dans l’histoire de la Russie où les scientifiques ont réussi à surmonter les tensions politiques avec l’Occident. Malgré la guerre froide, les climatologues sont parvenus à faire progresser la science du climat mondiale dans le cadre de l’accord environnemental conclu en 1972 entre les États-Unis et l’URSS, permettant l’échange de données, d’équipements et de publications conjointes.

En revanche, les gouvernements et les organismes scientifiques du monde entier ont désormais sanctionné les institutions de recherche russes. Entre-temps, l’UE a suspendu la participation de la Russie à son programme de recherche phare Horizon Europe et les conseils nationaux de recherche de plusieurs États européens ont mis en pause les collaborations avec la Russie.

Les domaines de recherche qui dépendent des équipements étrangers sont particulièrement touchés. Par exemple, l’Institut Max Planck (MPI) en Allemagne a reçu une liste de 64 pages contenant des appareils électroniques que l’UE interdit aux scientifiques de partager avec leurs collègues russes au motif qu’ils pourraient être utilisés à des fins militaires. Début février, le gouvernement russe a annoncé (au moment de la rédaction de cet article, environ 92 millions de dollars) dans la recherche sur le climat et la décarbonation, et créer un système russe de suivi des émissions de carbone.

Cependant, Alexandre Tchernokoulski, un climatologue de l’Institut de physique atmosphérique à l’Académie des Sciences russe, nous a dit que le futur du projet demeure incertain en l’absence de cet équipement étranger. De la même manière, depuis plusieurs années, des scientifiques russes et allemands mesurent les changements de concentration de CO2 dans l’atmosphère depuis l’observatoire ZOTTO, situé dans une grande tour de la région de Krasnoïarsk, dans le sud-ouest de la Sibérie.

Cette région est considérée comme un endroit sensible en vertu de son potentiel de stockage – et par conséquent, fuite – de grandes quantités de carbone. Là encore, lors d’un échange d’e-mails, la scientifique du MPI Sönke Zaehle a mis en garde quant au futur de la station dans un avenir relativement proche, dû au manque d’entretien du côté germanique.

La recherche dans la zone arctique est cruciale afin de comprendre le changement climatique. Ici aussi, au moins une douzaine de collaborations internationales avec la Russie ont été retardées. La maintenance des systèmes de mesure à long terme, cruciaux pour la modélisation des changements climatiques, pose des problèmes particuliers. « Il y a cette crainte d’un angle mort, quel que soit le sujet de recherche dans l’Arctique que vous abordez, » nous a confié Anne Morgenstern, coordinatrice de la coopération scientifique de l’Institut allemand Alfred Wegener avec la Russie.

Les climatologues russes ont également perdu l’accès au Climate Data Store, qui fournit un point d’accès unique à un large éventail de données climatiques pour les climats passés, présents et futurs, notamment des observations par satellite, des mesures in situ, des projections de modèles climatiques et des prévisions saisonnières. Ils ne peuvent plus non plus accéder aux superordinateurs basés dans d’autres pays, et le départ d’entreprises technologiques telles que Intel entraînera à terme une détérioration des capacités de calcul en général, selon Evguéni Volodine, modélisateur climatique à l’Institut de mathématiques computationnelles de l’Académie des Sciences de Russie.

Les préoccupations environnementales risquent d’être mises de côté en temps de guerre. Cependant, à un moment de l’histoire du monde où les possibilités d’atténuer la catastrophe climatique s’amenuisent, nous pensons que subordonner les questions climatiques aux diktats et aux temporalités de la guerre n’est pas une option. Les tentatives d’arrêter la guerre doivent s’accompagner d’efforts pour faire avancer la coopération et l’action climatique transnationale, malgré les dommages et les dilemmes causés par la guerre de la Russie. Des objectifs climatiques internationaux ambitieux, y compris l’élimination progressive de la production de pétrole et de gaz aussi rapidement que possible, sont essentiels pour accroître la pression sur l’industrie des combustibles fossiles et la machine de guerre, et pour soutenir les forces qui, en Russie, s’accrochent encore à la décarbonation.

_______

Par Katja Doose, Senior researcher, University of Fribourg et Alexander Vorbrugg, Geographer, Université de Berne

Cet article a été écrit en collaboration avec Angelina Davydova, journaliste spécialisée dans l’environnement et le climat. Elle est actuellement membre du programme Media in Cooperation and Transition (MICT) basé à Berlin et coordinatrice de N-ost, un réseau de journalisme transfrontalier.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

La renaissance de l’OTAN … Grâce à Poutine !

La renaissance de l’OTAN … Grâce à Poutine !

Jugée « en état de mort cérébrale » par Emmanuel Macron en 2021, l’OTAN se trouve aujourd’hui significativement revitalisée par le conflit russo-ukrainien. Par Julien Pomarède, Université Libre de Bruxelles (ULB)

 

« Régénérée », « revitalisée », « ressuscitée » : les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le retour de premier plan de l’OTAN depuis le début de l’agression de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022.

L’idée d’une renaissance de l’OTAN tire sa crédibilité d’un constat simple. Après deux décennies d’errements dans le bourbier afghan, l’Alliance retrouve sa mission historique : dissuader une attaque conventionnelle d’un État tiers – qui plus est de l’ancien ennemi, la Russie – contre ses membres. Dès lors, la guerre en Ukraine marquerait une nouvelle césure dans l’histoire de l’OTAN, à l’image de la fin de la guerre froide ou du 11 septembre 2001. Elle lui donnerait une nouvelle raison d’être, traduite par un renforcement de son dispositif militaire sur le flanc Est – la plus importante solidification de sa défense collective depuis la chute du bloc communiste.

En quoi consiste exactement cette relance de l’OTAN, et quelles en sont les limites ?

Il faut l’admettre, l’idée d’une OTAN relancée a un fond de vérité. Les mesures prises en réaction à la guerre en Ukraine sont incomparablement plus cohérentes, solides et consensuelles que les opérations dites de « gestion de crises » menées par l’Alliance depuis la fin de la guerre froide dans les Balkans (années 1990), en Libye (2011) et en Afghanistan (années 2000-2010).

Ces engagements militaires furent caractérisés par de fortes dissensions entre les États membres de l’OTAN sur les objectifs à atteindre, les ressources nécessaires et les procédures opérationnelles. Une des raisons essentielles à ces tensions multilatérales réside dans le fait que, dans la gestion de crises, l’OTAN combat des risques (terrorisme, instabilités régionales, piraterie, etc.) dont la dangerosité est différemment perçue selon les États membres.

Immanquablement, ces variations trouvent une traduction dans la conduite des opérations. Par exemple, certains États membres s’engagent davantage que d’autres dans telle ou telle mission, en effectifs et au sein des combats, selon qu’ils estiment ou non que ces missions constituent une priorité pour leur sécurité nationale.

L’action de l’Alliance en Afghanistan a représenté le paroxysme de ces dissensions. Les disputes qui divisaient la mission de l’OTAN – la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS) – ont fragmenté l’effort allié, empêchant l’émergence d’une stratégie commune.

Officiellement, la FIAS luttait contre le terrorisme en menant des opérations de contre-insurrection. Mais cet objectif très général était entendu de manière hétérogène au sein de l’Alliance. De fait, il comportait beaucoup de sous-éléments concurrents (stabilisation militaire, lutte contre le trafic de drogue, reconstruction, etc.) et des différentiels d’engagement très significatifs parmi les États participants, en particulier entre les États-Unis et les Européens. Si bien qu’il était quasi impossible de déceler un but clair.

Ces difficultés ont participé à la défaite révélée aux yeux du monde entier en juin 2021, lorsque les talibans reprirent le contrôle de Kaboul.

La réaction de l’OTAN à la guerre en Ukraine contraste avec ce bilan mitigé.

Remontons là aussi un peu dans le temps. La séquence s’engage à partir de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Il s’agit du point de bascule : l’OTAN se recentre alors sur son pilier historique, la défense collective, matérialisée dans l’article 5 du Traité fondateur de Washington (1949), dans lequel est stipulé qu’une agression armée contre l’un des États membres – perspective apparue envisageable au vu de la dégradation des relations russo-otaniennes à partir de 2014 – susciterait une réponse militaire collective de l’Alliance.

Trois sommets importants ont jalonné cette évolution. Au pays de Galles (2014), le Plan d’action réactivité de l’OTAN est adopté. Il inclut des mesures de réassurance à destination des pays d’Europe centrale et orientale. Les effectifs de la Force de réaction de l’OTAN sont triplés et on annonce la création, au sein de celle-ci, d’une composante à haut niveau de préparation, déployable sur un très court préavis.

Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, le président ukrainien Petro Porochenko et le premier ministre britannique David Cameron le 4 septembre 2014 lors du sommet de l’OTAN à Newport (pays de Galles). Leon Neal/AFP

Le sommet de Varsovie (2016) consolide le recentrage sur la défense collective, en activant la présence rehaussée (Enhanced forward presence – EFP) de l’OTAN sur son flanc Est. Mise en place en 2017, cette force est composée de quatre bataillons multinationaux stationnés dans les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et en Pologne. Après février 2022, l’EFP est élargie à la Roumanie, à la Bulgarie, à la Hongrie et à la Slovaquie. En juin 2022, on compte entre 900 et 11 600 soldats en renfort dans chaque pays.

Enfin, le Sommet de Madrid (juin 2022) scelle cette évolution. Il marque l’adoption d’un nouveau Concept stratégique, texte boussole de l’Alliance, qui relègue la Russie du rang de partenaire à celui de première menace. Aussi, la Suède et la Finlande sont invitées à devenir membres, après que ces deux pays aient demandé l’adhésion.

La séquence allant de l’annexion de la Crimée à l’invasion de l’Ukraine est donc marquée par un recentrage sur ce qu’il y a de plus consensuel en sein de l’Alliance : une menace étatique, l’article 5, des mesures militaires qui ont un incontestable effet dissuasif. L’OTAN ne fait pas que dissuader, mais attire de nouveaux membres.

La phase de « mort cérébrale de l’OTAN », selon une expression détonante d’Emmanuel Macron en novembre 2019, semble soudain se dissiper, si bien que la débâcle afghane fait presque office de mauvais souvenir au moment de la résurgence de la menace russe. En bref, la géographie politico-militaire de l’OTAN, alors dispersée dans des opérations de gestion de crises allant jusqu’en Asie centrale, se clarifierait avec le retour du vieil ennemi et des schémas de dissuasion qui l’accompagnent.

Attention, toutefois, à ne pas tomber trop vite sous le charme du discours officiel, qui présente l’action actuelle de l’OTAN comme l’incommensurable succès d’une défense collective renforcée.

Souligner la différence entre les difficultés de la gestion de crises et les facilités présumées de la défense collective ne suffit pas pour comprendre la pérennité de l’OTAN et ses transformations. Cette dichotomie vaut jusqu’à un certain point, à commencer par la comparaison elle-même. Contrairement à l’Afghanistan, l’OTAN n’est pas en guerre en Ukraine, mais se situe dans une posture de dissuasion visant à empêcher une attaque russe contre l’un de ses pays membres. En cela, la présence avancée de l’OTAN n’a pas à pâtir des gigantesques difficultés opérationnelles et en matière de prise de décision inhérentes à la conduite d’une guerre en format multilatéral.

Ensuite, si la menace russe est perçue de manière plus consensuelle que d’autres catégories de risque comme le terrorisme, son niveau de dangerosité ne fait pas non plus l’unanimité. De fait, la défense collective reste le noyau dur de l’Alliance, mais sa mise en place n’est pas harmonieuse (ce qui n’était pas non plus le cas lors de la guerre froide, rappelons-le).

La Russie est certes qualifiée de « menace directe », surtout depuis février 2022. La déclaration commune issue du récent sommet de Madrid et la tonalité grave du nouveau concept stratégique concernant la Russie montre certes que les Alliés resserrent les rangs face à cette menace. Néanmoins, la raison d’être même d’un texte comme le concept stratégique est d’exposer au grand jour l’unité de l’Alliance autour de principes clefs. Ce qui ne signifie pas, pour autant, que les dissensions disparaissent, loin de là. Le retour post-2014 de la défense collective a ainsi été marqué par des divergences et des compromis entre, schématiquement, deux positions.

D’un côté, celle des pays d’Europe centrale et orientale (pays baltes, Pologne, Roumanie), souvent soutenus par les États-Unis, et partisans d’une posture militaire ferme et consolidée contre la Russie. De l’autre, celle des pays d’Europe de l’Ouest (France, Allemagne, Espagne), favorables à une politique de dissuasion modérée laissant ouvert le dialogue avec la Russie et écartant le risque d’une escalade.

Les négociations ayant débouché sur le déploiement de la présence avancée de l’OTAN résultèrent d’un compromis entre les deux positions.

Les premiers souhaitaient l’installation de bases militaires permanentes sur leur territoire afin d’afficher une politique de dissuasion soutenue contre la Russie. Les seconds désapprouvaient, car ils y voyaient une mesure exagérée, susceptible d’engendrer une escalade, et se situant en porte-à-faux par rapport à l’Acte fondateur de la coopération OTAN-Russie (1997), qui exclut tacitement l’installation de structures militaires permanentes chez les futurs membres.

Les Alliés en vinrent donc au compromis suivant : la présence avancée serait « permanente mais rotationnelle ». La force serait physiquement présente mais ses contingents seraient sujets à rotation tous les quelques mois, ce qui satisfaisait les deux orientations.

Le fonctionnement militaire même de l’EFP s’innerve de ces différences de points de vue. L’EFP se fonde sur le principe de la « dissuasion par représailles » ( « deterrence by punishment »). Elle ne vise pas le déploiement d’une force militaire suffisamment importante pour rendre immédiatement inopérante une attaque potentielle et saper toute confiance chez l’agresseur en le succès initial de son action armée (la « dissuasion par interdiction » – « deterrence by denial » – l’option initialement promue par les pays baltes par exemple). Il s’agit plutôt de laisser peser la probabilité d’une réplique ultérieure qui augmenterait de manière considérable le coût initial de l’agression.

En cela, les effectifs modérés déployés dans l’EFP en font une présence qui n’a pas pour but d’infliger à la Russie des dommages inacceptables dès les premiers affrontements. L’EFP se conçoit davantage comme un « fil piège » (« trip wire »), qui, une fois franchi (ou plutôt attaqué) déclencherait la réponse militaire complète de l’OTAN, à savoir la mobilisation de sa Force de réaction. De facto, la dissuasion par représailles était la seule option consensuelle possible, car le fruit d’un compromis entre les pays souhaitant une présence substantielle de l’OTAN sur le flanc Est et ceux qui y voient une mesure d’escalade.

En effet, prétendre refouler instantanément, disons d’un État balte, une armée de la taille et de la puissance de feu de celle de la Russie impliquerait d’y déployer une force militaire considérable. Ce qui est, financièrement et politiquement, inenvisageable pour la plupart des Alliés. Ainsi, le renforcement de l’EFP avec quatre bataillons supplémentaires en réaction à l’invasion de l’Ukraine, ainsi que l’annonce au Sommet de Madrid d’une présence américaine renforcée en Europe, se situent dans la continuité de ce compromis.

Par conséquent, cette logique de compromis comporte aussi certaines limites, la plus importante d’entre elles étant la crédibilité des représailles. Se montrer résolu à répliquer est essentiel dans une logique de dissuasion, en particulier dans l’option de la dissuasion par représailles. Celle-ci dépend largement du message envoyé, qui se doit de véhiculer une détermination à user de la force de manière élargie afin de faire payer au prix fort le choix d’une attaque. Or, construire ce discours commun et cohérent dans le cadre d’une politique de dissuasion face à la Russie reste un défi pour l’OTAN, en raison précisément des différences de perception de cette menace entre les États membres.

À terme, l’étalement public récurrent des critiques que s’adressent ces derniers à ce sujet risque d’écorner la crédibilité de la dissuasion otanienne. Mentionnons simplement les reproches réguliers adressés par la Pologne ou les États baltes à l’Allemagne ou la France, accusées de se montrer trop complaisantes vis-à-vis de Moscou.

De ce fait, certains spécialistes doutent de la capacité réelle de l’OTAN à répliquer comme elle le clame officiellement. Par exemple, si la Russie décidait de cibler les contingents norvégiens ou luxembourgeois stationnés en Lituanie pour mettre sous pression la solidarité alliée, l’Allemagne, également présente en Lituanie, y réagirait-elle militairement au risque d’une escalade guerrière ? Ce scénario est certes peu probable, mais pas non plus inenvisageable, étant donné la persistance des menaces de la Russie à l’égard du camp occidental. Ainsi, en déployant des unités aux frontières d’une Russie agressive et en affichant dans le même temps ses dissensions internes, l’OTAN ne fait pas que renforcer sa posture mais prend aussi un risque : s’exposer à des attaques de basse intensité sur ses effectifs, qui ne rentreraient pas parfaitement dans le cadre de l’article 5 et rendraient, par extension, une réponse très délicate à définir.

Schématiquement, la non-action minerait la crédibilité de l’EFP, et la réplique, même limitée, pourrait être prétexte à l’escalade. À terme, des divisions trop explicites pourraient laisser entrevoir au sein de la politique de dissuasion de l’Alliance des poches de vulnérabilités qui, si exploitées, pourraient avoir des effets conséquents sur la crédibilité plus large de l’OTAN.

En conclusion, s’il paraît clair que le retour de la défense collective au sein de l’OTAN contraste dans sa cohérence avec la gestion de crises, la différence ne doit pas être exagérée. Ces deux piliers de l’Alliance partagent un socle commun en matière de négociations multilatérales. Ils résultent de jeux de compromis entre les États membres et présentent tous deux des limites.

La guerre en Ukraine n’a pas sauvé l’OTAN. Celle-ci n’était tout simplement pas en danger de mort – n’oublions pas que le projet « OTAN 2030 » naît sur la fin, pourtant peu glorieuse, des opérations en Afghanistan… Toutefois, l’invasion russe a clairement redynamisé l’Alliance.

Les tensions, les compromis et les ambiguïtés font partie de la vie multilatérale de l’OTAN. Il ne faut pas y voir une contradiction, mais plutôt une normalité. La défense collective, tout autant que la gestion de crises, n’échappe pas à cette réalité. En somme, plutôt que d’assister à une nouvelle guerre froide salvatrice pour une Alliance qui aurait été en perte de repères, comme certains le clament trop rapidement, nous sommes les témoins d’une actualisation des logiques d’inimitiés où se mêlent vieilles rivalités interétatiques et perceptions plus mouvantes des risques.

______

Par Julien Pomarède, Docteur et chercheur en sciences politiques et sociales – Sécurité internationale, Université Libre de Bruxelles (ULB).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Le monde russe de Poutine est une caricature

Le monde russe de Poutine est une caricature

 

Pour le président de la Russie, ce que les peuples de l’ex-URSS (sans les pays baltes) ont de russe suffit pour les unir. Mais l’empire était multiethnique, et son patrimoine est le produit de la diversité, affirme l’universitaire Serge Rolet, dans une tribune au « Monde ».

 

On comprend bien pourquoi les Ukrainiens n’ont aucune envie de faire partie du monde russe (« rousski mir ») que cherche à leur imposer Vladimir Poutine. La réalisation de ce fantasme nationaliste grand-russe ferait de l’Ukraine une humiliante arrière-cour de la Russie. Pour Poutine, les peuples qui composent le monde russe (c’est-à-dire ceux de l’ex-URSS, sans les pays baltes) n’ont en commun que ce qu’ils ont de russe. Or ce qui est russe est souvent constitué d’apports non russes.

L’histoire, le patrimoine matériel et immatériel de la Russie sont le produit de la diversité. Le centre est autant fait par la périphérie que la périphérie l’est par le centre. L’empire russe était multiethnique. Une partie importante de la noblesse russe descend des Tatars. Dostoïevski passe pour avoir dit : « Nous [les écrivains russes de son temps] sommes tous sortis du Manteau de Gogol. » Gogol (1809-1852) était ukrainien et il écrivait en russe ; ses œuvres sont saturées d’histoires, de folklore, de paysages ukrainiens.

Dans le cas de l’Ukraine, Poutine va plus loin. Son message aux Ukrainiens est à peu près le suivant : « Soit vous êtes une partie de nous, soit vous n’êtes rien. Votre volonté d’être autre chose que des Petits-Russes est le signe que vous êtes dirigés par des nazis dépravés et drogués, c’est pourquoi nous avons le devoir sacré de les détruire, et vous avec, si besoin. » Dans ce contexte, l’idée qu’il existe un monde russe, même différent de celui promu par la propagande de Moscou, semble impensable, voire suspecte de complaisance envers Poutine.

Simplement, de même que ce que Zemmour appelle « la France » n’est pas la France de la République, le « rousski mir » de Poutine n’est qu’une inquiétante caricature. Prendre l’expression « monde russe » au sens de Poutine, c’est lui céder le champ du vocabulaire. Il ne faut pas laisser le monde russe à Poutine.

En fait, c’est Poutine qui est en train d’anéantir le monde russe, le vrai, celui qui a une existence historique, une consistance sociale et culturelle. Ce monde s’appuie sur ce qui reste de commun, après la russification impériale, la colonisation, les soviets.

Le monde russe est d’abord celui dont le russe continue d’être la lingua franca (la langue commune). Trente ans après la chute de l’URSS, les hommes d’affaires arméniens ou ouzbeks parlent le russe aussi bien qu’avant, parce que leurs partenaires sont le plus souvent russophones, qu’eux-mêmes ont appris le russe à l’école et que, en contrepoint de leur langue maternelle, le russe est présent partout dans leur quotidien. Le russe permet d’articuler le local au global.

Répression de Poutine contre les artistes russes

Répression de Poutine contre les artistes russes

 

  • par Vera Ageeva, professeur associée de la Haute école des études économiques (Russie) et Sciences Po, 

Après le début de l’attaque contre l’Ukraine, Moscou a mis en place une censure quasi militaire qui rappelle à bien des égards la pratique soviétique. Il s’agit d’un nouveau tour de vis dans la guerre culturelle qui se déroule en Russie depuis une bonne décennie : elle met aux prises, d’un côté, de nombreux artistes russes qui réclament la liberté d’opinion et d’expression, et de l’autre côté, les fonctionnaires du monde de la culture et les idéologues du Kremlin déterminés à sanctionner durement la moindre manifestation d’opposition à la ligne du pouvoir.

Avant le début de la guerre, seule une minorité du monde artistique et culturel russe osait faire part publiquement de son désaccord avec le régime de Vladimir Poutine, devenu de plus en plus autoritaire au cours des années. La majorité avait opté pour une posture – très commode pour le pouvoir – consistant à se placer « hors de la politique », à « rester neutre » et à « se concentrer sur son art ».

Les rares artistes à critiquer ouvertement Poutine et son système se voyaient largement empêchés de travailler normalement et de rencontrer leur public. Par exemple, en 2012, Iouri Chevtchouk, l’une des plus grandes stars russes du rock depuis les années 1980, leader du groupe culte DDT, s’est vu interdire de partir comme prévu en tournée à travers le pays après participé à des manifestations à Moscou contre les fraudes survenues pendant l’élection présidentielle organisée en mai de cette année-là, qui s’est soldée par le retour au Kremlin de Vladimir Poutine après l’interlude Medvedev. C’est surtout à partir de ce moment-là que le pouvoir s’est mis à s’en prendre systématiquement aux personnalités du monde de la culture qui se permettaient de prendre publiquement position contre lui.

L’annexion de la Crimée en 2014 a tracé une nouvelle ligne de séparation entre le gouvernement russe et les artistes, spécialement les plus jeunes d’entre eux. Des rappeurs populaires comme Oxxxymiron, Noize MC, Husky, ou encore Face ont participé à des manifestations politiques, s’en sont pris en paroles au régime et ont donc eu, eux aussi, des difficultés à poursuivre leur activité professionnelle en Russie, certains ayant même connu des démêlés avec la justice du fait de leurs prises de position.

Au pays de Vladimir Poutine, la justice est en effet régulièrement mise à contribution pour ramener à la raison les personnalités de la société civile jugées suspectes. En 2017, une procédure pénale, officiellement pour motifs économiques, est lancée contre l’éminent réalisateur et metteur en scène Kirill Serebrennikov, fondateur du théâtre « Gogol Center » à Moscou, devenu l’un des lieux culturels centraux de la Russie contemporaine. En 2018, son film Leto (L’Été) a reçu plusieurs prix internationaux y compris au Festival de Cannes. En 2019, il a été fait par la France commandeur des Arts et des Lettres.

Serebrennikov était connu pour sa position critique envers le régime de Poutine. Pour la majorité de l’intelligentsia russe, les poursuites déclenchées à son encontre par le Kremlin n’ont rien à voir avec le motif officiellement invoqué et relèvent d’une nouvelle manifestation de la persécution de toute dissidence. Le metteur en scène a été placé en résidence surveillée pour presque deux ans. Lors de son procès, finalement tenu en 2020, il a été jugé coupable et condamné à une peine de prison avec sursis. Il a quitté le pays peu après l’invasion de l’Ukraine.

Le point de non-retour entre le régime de Poutine et la culture russe

Après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, les autorités russes ont nettement accru leur contrôle sur l’espace public. L’objectif, désormais, n’est plus simplement de taper sur les doigts des contestataires, mais de purger le pays de tous les éléments insuffisamment « patriotes » : dans son fameux discours du 16 mars, Vladimir Poutine n’a-t-il pas appelé à une « purification naturelle » de la société contre « les racailles et les traîtres » ?

Depuis l’adoption d’une loi ad hoc, la moindre expression d’une opinion indépendante sur la guerre en cours est susceptible d’être qualifiée de « tentative de jeter le discrédit sur l’armée russe » et de « diffusion de fausses nouvelles » – des infractions passibles d’une peine de prison ferme pouvant aller jusqu’à 15 ans. Cette législation, similaire à celle de la loi martiale, a permis aux siloviki (les responsables des structures de sécurité et de justice de l’État) de placer sous une pression maximale ceux des artistes russes qui ont pris la décision de ne pas garder le silence. Et pourtant, certains, y compris une proportion non négligeable des représentants de la culture dite populaire, qui étaient jusqu’ici considérés comme plutôt loyaux envers le régime, n’ont pas craint de défier le pouvoir.

Les artistes de la culture pop étaient restés largement apolitiques pendant les 22 ans du régime de Poutine. Mais la guerre déclenchée par le Kremlin a révélé qu’une partie d’entre eux, y compris parmi les plus célèbres, étaient aptes à défendre une position éthique dans des circonstances périlleuses. Des idoles de la variété et de la pop, dont les Russes connaissaient les chansons par cœur (parfois depuis l’enfance) – tels que la superstar Alla Pougatcheva, mais aussi Valéry Meladze, Sergueï Lazarev, Ivan Ourgant, etc – ont osé de déclarer au grand public leur désaccord avec les bombardements du pays voisin.

Même si d’autres artistes – comme le « rappeur de cour » et businessman Timati, en passe de reprendre les cafés abandonnés par la chaîne Starbucks, ou l’acteur Vladimir Machkov – ont accepté de diffuser la propagande officielle, l’effet qu’a sur la société le courage des artistes anti-guerre (qui, en dénonçant la guerre ou en quittant la Russie, ont mis leur carrière professionnelle, voire leur liberté, en péril) ne doit pas être sous-estimé.

Les représentants des générations les plus jeunes, comme les rappeurs évoqués plus haut, n’ont pas été en reste, à commencer par le plus célèbre, Oxxxymiron, qui est parti pour l’étranger et y a organisé de nombreux concerts réunissant ses compatriotes sous le slogan sans équivoque « Russians against war », et dont les recettes sont reversées à des organisations d’aide aux réfugiés ukrainiens.

Une position partagée par les emblématiques punkettes de Pussy Riot – l’une d’entre elles, menacée de prison, a d’ailleurs fui la Russie dans circonstances particulièrement rocambolesques – et par les membres de l’un des rares groupes russes connus à l’international, Little Big, qui se sont exilés et ont publié un clip  établissant implicitement un lien entre la destruction de l’Ukraine et la « cancellation » de la culture en Russie.

Enfin, la majeure partie de l’intelligentsia culturelle russe est également hostile à la guerre. Si, là encore, certains – par conviction (comme l’écrivain Zakhar Prilépine) et le cinéaste Nikita Mikhalkov, ou par calcul – chantent les louanges du régime et saluent son « opération spéciale », une large majorité des écrivains, poètes, réalisateurs et musiciens connus internationalement se sont opposés à l’invasion du pays voisin. Quelques-uns sont même passés des paroles aux l’action et ont fondé une association baptisée « La vraie Russie » .

Parmi les plus actifs, citons les célèbres écrivains Lioudmila Oulitskaïa, Boris Akounine et Dmitri Gloukhovski ; le metteur en scène Kirill Serebriannikov, déjà cité ; le réalisateur Andreï Zviaguintsev ; la chanteuse lyrique Anna Netrebko ; la poétesse Vera Polozkova ; les vétérans du rock Boris Grebenchtchikov, Iouri Chevtchouk et Andreï Makarevitch ; les acteurs Lia Akhedkajova, l’acteur Artur Smolyaninov… liste non exhaustive).

Certains d’entre eux ont déjà été désignés par le gouvernement russe comme « agents de l’étranger » et ont dû quitter le pays. Ajoutons que plusieurs responsables d’institutions culturelles de premier plan ont démissionné pour protester contre la guerre en Ukraine.

Persécuter l’intelligentsia artistique contemporaine sera une tâche plus facile pour le Kremlin que démanteler les fondements éthiques de la culture russe classique, qui s’est toujours opposée aux horreurs de la guerre, mettant au centre de la réflexion l’individu (le problème du « petit homme » chez Pouchkine, Gogol, Tchekhov) et considérait l’âme russe comme ouverte, paisible et tournée vers le monde (l’idée de « vsemirnaïa doucha » de Fedor Dostoïevski).

Les auteurs classiques sont encore étudiés à l’école en Russie… pour le moment. Mais au rythme où vont les choses, il est permis de se demander si le plus célèbre roman de la littérature russe, Guerre et Paix, ne sera pas jugé contraire à l’esprit de l’époque, puisque le mot « guerre » lui-même a disparu de l’espace public, si bien qu’un meme populaire présente la couverture de l’ouvrage portant ironiquement pour titre « L’opération militaire spéciale et la paix »

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les menaces de Poutine ou l’intox permanente

Les menaces de Poutine ou l’intox permanente 

Poutine a abandonné depuis longtemps l’idéologie communiste pour la remplacer par son intérêt de dictateur mafieux.  Par contre, il a conservé la dialectique du mensonge.

De sorte qu’aujourd’hui on ne peut accorder aucune crédibilité à la moindre parole de l’intéressé par ailleurs qui tourne en rond dans sa paranoïa. Il voit le danger de l’Occident partout alors que c’est la Russie qui réécrit l’histoire pour justifier son extension géographique et ses interventions brutales dans le monde.

Poutine vient ainsi de mettre au défi l’Occident de s’attaquer à la Russie. Un Occident déjà préoccupé de problèmes économiques notamment du ralentissement de la croissance et de l’inflation et qui n’a nullement l’intention de déclarer la guerre à la Russie. D’une certaine manière, cette  mise au défi de Poutine constitue une sorte d’aveu de faiblesse d’une Russie qui a besoin de souffler un peu tant sur le plan économique que militaire.

Par ailleurs le succès relatif de la Russie en Ukraine constitue en fait un échec de cette superpuissance militaire incapable de mettre à bas un pays de seconde importance.

L’autre gesticulation verbale est à imputer aux autres responsables qui singent Poutine. Ainsi la Russie menace-t-elle de reprendre l’Alaska aux États-Unis voire de déclencher la guerre nucléaire.

Encore des aveux de faiblesse car évidemment la réplique serait sans appel et c’est l’existence même de la Russie qui serait alors en cause.

La psychologie de Poutine et celle du KGB, une psychologie de criminels prêts à sacrifier même sa propre population.

Mais dans le même temps,  Vladimir Poutine a dit toutefois ne pas exclure l’hypothèse de négociations, déclarant que la Russie ne rejetait pas des pourparlers de paix. « Mais ceux qui les rejettent doivent savoir que plus le conflit va s’étendre, plus il sera difficile pour eux de négocier avec nous », a-t-il ajouté.

Il s’agit de la première ouverture diplomatique affichée par le président russe depuis plusieurs semaines; ce qui confirme la faiblesse d Poutine en ce moment.

Macron et Poutine : 50 heures de bavardage pour quoi faire ?

Macron et Poutine : 50 heures de bavardage pour quoi faire ?

 

La presse a révélé une grande partie des conversations entre Macron et Poutine concernant la situation en Ukraine. Une discussion qui a tourné en permanence avec la réinterprétation de l’histoire par Poutine qui n’a cessé de justifier son opération dite spéciale par référence à la nécessité de rétablir la Grande Russie historique  humiliée par l’Occident après la perte  d’une partie de son territoire. De son côté,  Macron a passé son temps à essayer de convaincre Poutine d’engager des négociations d’abord pour éviter la guerre ensuite pour la contrôler puis pour y  mettre fin.
En vérité un véritable dialogue de sourds pour deux raisons;  Poutine n’a pas de considération particulière vis-à-vis de Macron qu’il considère comme un second couteau. D’une manière générale même,  il méprise tout ce qui est Occident, démocratie et leurs leaders. Encore davantage quand il s’agit d’un personnage qui joue la mouche du coche.

En effet Macron est sans doute moins préoccupé de la situation de l’Ukraine que de son propre rôle dans l’histoire. Il a cherché en vain à incarner le leader occidental capable de négocier la paix avec Poutine.

Mais les discussions ont montré que Poutine avait toujours pris ses décisions sans tenir le moindre compte des contacts qu’il pouvait avoir avec Macron. Pire,  il n’a cessé de mentir sur ses intentions. La multiplication de ces conversations entre Macron et Poutine ont surtout permis au dictateur russe d’entretenir un pseudo vernis diplomatique.

Pour parler vulgairement Macron en permanence s’est fait rouler dans la farine. Maintenant il a changé complètement son fusil d’épaule pour tenter de ce réconcilier avec le président de l’Ukraine qui a fortement critiqué les initiatives de la France. En fait, ce en même temps de Macron sur le plan diplomatique a largement discrédité le rôle de conciliateur qu’il entendait jouer.

Comme en politique intérieure, Macron ne doute nullement de ses très hautes compétences malheureusement les réalités le ramènent à ses capacités réelles. En politique intérieure, comme politique internationale, le bilan de Macron est catastrophique.

En cause , le fait de son inexpérience totale car parvenue au haut niveau de la magistrature suprême sans aucune expérience politique et un âge qui le prive de la maturité nécessaire pour gérer de tels enjeux.

La France a élu un président immature. Un président largement aidé et promu par les milieux financiers qui certes bénéficie d’une légitimité démocratique mais dont la légitimité politique est contestée par 60 à 70 % des Français. Macron finira aussi détesté que Louis XV et pour des raisons assez identiques  son ignorance et son mépris finalement des réalités du peuple. Macron est passé comme Louis XV du statut de bien-aimé au début à celui de mal-aimé. 

Poutine a tué son économie pour servir son impérialisme

Poutine a tué son économie pour servir son impérialisme

En vingt-deux ans de pouvoir sans partage, le maître du Kremlin a sacrifié le bien-être des Russes à ses chimères de grandeur impériale. Et il n’a jamais créé les conditions d’une économie de marché stable et propice aux affaires. ( papier de Jean-Michel Bezat dans le Monde)

 

 

McDonald’s est de retour à Moscou, sous un autre nom et avec un nouveau propriétaire, l’homme d’affaires russe Alexandre Govor. Rebaptisée Vkousno i tochka (« délicieux, point ») et dotée d’un nouveau logo, la chaîne de fast-food va peu à peu rouvrir les 850 restaurants franchisés de l’ex-enseigne américaine. On peut voir dans cette reprise la capacité de rebond de la Russie depuis le départ des entreprises occidentales après l’invasion de l’Ukraine. Ou, plus sûrement, l’isolement croissant du pays, encore illustré par l’absence de grandes sociétés et de dirigeants occidentaux au Forum économique de Saint-Pétersbourg, qui s’est achevé le 18 juin.

Lancé en février 1990, le premier McDo avait symbolisé l’ouverture au capitalisme d’une URSS moribonde. Un retour en arrière ? La Russie n’est pas dans l’état où elle était à la fin de l’ère soviétique, ni après dix ans de présidence chaotique de Boris Elstine. Vladimir Poutine l’a fait entrer dans l’économie mondiale, sans atteindre le degré d’intégration de la Chine. Son industrie s’est un peu diversifiée dans l’agroalimentaire et les technologies. Depuis les sanctions occidentales décrétées après l’annexion de la Crimée en 2014, elle a développé sa production céréalière pour devenir la première exportatrice mondiale de blé – source de revenus autant que levier politique, à l’instar du pétrole, du gaz et de l’armement.

Nostalgique de la puissance politico-militaire de l’Union soviétique, le président russe n’a aucun regret pour son économie planifiée. « Nous n’allons pas avoir une économie fermée », assurait-il, le 9 juin, devant de jeunes entrepreneurs réunis en marge de la commémoration du 350e anniversaire du tsar « européen », Pierre le Grand. Et il peut se féliciter que l’économie résiste encore, quatre mois après le début d’un train de sanctions sans précédent pour une grande économie.

Le rouble tient bon grâce à la stricte politique des taux d’intérêt de la gouverneure de la Banque centrale, Elvira Nabioullina, et à une gestion rigoureuse des comptes publics, qui permet de constituer des réserves de devises. La balance commerciale est excédentaire et la flambée du baril d’or noir, même vendu avec une décote de 20 à 30 dollars (sur 120 dollars, soit environ 114 euros), assure d’importantes recettes fiscales. Gazprom, et donc l’Etat actionnaire, n’a jamais tiré autant de profits du gaz.

Poutine et Xi Jinping : Même stratégie des dictateurs

Poutine et Xi Jinping Même stratégie des dictateurs

Les discours russe et chinois sur l’Ukraine et Taiwan ont beaucoup en commun, aussi bien sur les plans identitaire et stratégique qu’au niveau politique. Par Pierre-Yves Hénin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

La guerre engagée par la Russie pour soumettre ou démembrer l’Ukraine est venue alimenter l’inquiétude d’un prochain recours à la force par la République populaire de Chine à l’encontre de Taiwan afin de réaliser le « rêve chinois de réunification nationale ». Une inquiétude d’autant plus grande que, trois semaines avant l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine et Xi Jinping avaient publié une déclaration de totale solidarité lors de la visite du président russe à Pékin. Alors, Ukraine et Taiwan, même combat ?

La Russie et la Chine sont aujourd’hui toutes deux des États autoritaires et révisionnistes, au sens où ils entendent remettre en cause l’ordre mondial existant. Certes, la situation de Taiwan est bien différente de celle de l’Ukraine en termes de droit international, mais les discours de justification de Vladimir Poutine et Xi Jinping convergent pour l’essentiel.

En effet, les « narratifs » russe et chinois reposent sur deux piliers communs : d’une part, l’affirmation d’une identité nationale partagée, puis déchirée, qu’il convient de restaurer ; d’autre part, une préoccupation géostratégique causée par une présence militaire des États-Unis ou de leurs alliés potentiellement hostile dans leur étranger proche, synonyme de menace d’encerclement et de contestation de leur sphère d’influence légitime sur leur « pré carré ».

À ces arguments s’ajoute un autre aspect de première importance : la volonté de ces systèmes autoritaires de se protéger face au « contre-modèle » démocratique qu’incarnent à leurs frontières l’Ukraine et Taïwan.

Comme celui de la Chine, le régime russe actuel peut être qualifié de national-capitalisme autoritaire. Dans ce type de régime, la légitimation de l’autoritarisme mobilise en particulier un discours national identitaire.

Il n’est pas étonnant que cette logique figure au premier plan du narratif russe pour justifier le démembrement de l’Ukraine, objectif proclamé de son action militaire. Vladimir Poutine s’est chargé personnellement de produire ce discours dans un long document intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens », dans lequel l’histoire se trouve instrumentalisée à l’appui de sa politique révisionniste), ce que de nombreux historiens n’ont pas manqué de dénoncer.

Rappelant l’histoire longue et compliquée d’une Ukraine ballottée entre les sphères d’influence russes et lituano-polonaises, Poutine affirme que le mouvement de revendication d’une identité nationale ukrainienne – d’abord culturelle et linguistique -, qui s’est particulièrement manifesté à la fin du XIXe, siècle était manipulé par le mouvement national polonais – l’étranger, déjà – qui luttait à l’époque contre l’annexion de la Pologne dite « du Congrès » par l’empire russe. Plus intéressante est sa dénonciation de la politique soviétique des nationalités dans le devenir de l’espace hérité de l’URSS.

L’agression russe n’a fait que renforcer la vision de l’Histoire partagée par la majeure partie des Ukrainiens, d’après laquelle leur identité nationale aurait été édifiée des siècles durant, en particulier dans l’opposition à l’empire autoritaire des tsars puis des autorités communistes. Toujours réprimé par le pouvoir soviétique, ce programme de réflexion historique renaît à la fin des années 1980, avec la pérestroïka, à l’initiative du Parti communiste d’Ukraine, comme le rapporte un historien de Kiev qui a participé à ce renouveau.

On relèvera au passage que le rattachement de la Crimée à l’Ukraine par décision du Soviet suprême le 19 février 1954 – présenté à l’époque par Moscou comme un don généreux du grand frère à l’occasion du 300e anniversaire du Traité de Pereïaslav, et aujourd’hui comme une lubie de Khrouchtchev - visait en réalité à renforcer le poids de l’élément russe dans une république où les mouvements de contestation de l’ordre russo-soviétique n’étaient pas éteints.

Le discours chinois de justification de la nécessaire « réunification » avec Taiwan revêt certes une certaine légitimité a priori en termes de droit international, puisque les États-Unis eux-mêmes ne contestent pas l’appartenance de principe de l’île à la Chine. Pour autant, cette réunification est présentée comme la dernière survivance des « traités inégaux » à effacer pour réaliser le « grand rêve chinois ».

Certes, c’est bien par le Traité de Shimonoseki en 1895 que le Japon s’est approprié l’ile de Taiwan. Pourtant, les différents gouvernements chinois ne revendiqueront pas le retour de Taiwan à la mère patrie avant plusieurs décennies. Jusqu’en 1942, alors que la restitution de la Mandchourie est exigée, Taiwan n’apparaît que comme un territoire qui doit être libéré de l’occupation japonaise, au même titre que la Corée et l’Annam, également anciennes colonies chinoises. Rarement évoqué, ce point est bien documenté par l’historien états-unien Alan M. Wachman. En 1937, lors de ses entretiens avec le journaliste Edgar Snow, Mao considère que le Parti communiste doit aider les Taiwanais à lutter pour leur indépendance, position réitérée par Zhou Enlai en juillet 1941. En 1938, le président nationaliste Tchang Kai-chek exprime la même position :

« Nous devons permettre à la Corée et à Taiwan de restaurer leur indépendance, ce qui bénéficiera à la défense nationale de la République de Chine. »

La rupture viendra d’un acteur inattendu, Franklin Delano Roosevelt. Le 14 août 1941, la Charte de l’Atlantique prévoit le retour de Taiwan à la République de Chine. Informé par ses relations états-uniennes, le Kouo-Min-Tang (le parti de Tchang Kai-chek) intégrera ce point de vue en 1942. Dans le même temps, le Parti communiste chinois opère le même changement de posture, qu’il présente comme une initiative des communistes taiwanais.

Comme le remarque Alan Wachman, cet affaiblissement de l’argument de la légitimité historique conduit à privilégier l’argument géostratégique.

Nous ne reprendrons pas ici la longue controverse sur la légitimité de l’élargissement de l’OTAN à d’anciennes démocraties populaires, puis aux États baltes, libérés de l’annexion soviétique voire, un jour, à la Géorgie et à l’Ukraine. En tout état de cause, cet élargissement amène aux frontières de la Fédération de Russie une coalition potentiellement opposée à ses projets révisionnistes de restauration, si besoin par la force, de la sphère d’influence héritée de l’Empire des tsars et de l’URSS. La vidéo suivante a été publiée par une diplomate chinoise, signe révélateur de l’alignement des positions de Pékin et Moscou sur cette thématique de l’encerclement.

Alliance défensive, l’OTAN ne risque pas d’engager d’action offensive contre la Russie, dont les préoccupations sur ce point sont pour le moins surfaites. Il reste que, à défaut de constituer une menace pour la Russie elle-même, l’élargissement de l’OTAN aura incontestablement limité sa capacité d’action dans des pays relevant à ses yeux de son « étranger proche » (sans toutefois l’empêcher de soutenir militairement des « républiques séparatistes » contrôlées par des minorités russophiles et russophones, de la Transnistrie à l’Abkhazie, en passant par le Donbass). Sans la présence militaire occidentale dans les pays limitrophes, on voit mal comment l’armée ukrainienne aurait pu résister avec autant d’efficacité à l’offensive russe de février 2022.

Employant une terminologie qui n’est pas sans rappeler le discours allemand d’avant la Première Guerre mondiale, la Russie affirme que la présence militaire occidentale vise à « encercler » son territoire. De manière similaire, l’autonomie de Taiwan sous protection états-unienne constitue, aux yeux des autorités chinoises, le point d’ancrage d’une barrière fermant les mers de Chine le long de la « première chaine des iles ». Le manuel sur la géographie militaire du Détroit de Taiwan publié en 2013 par l’Académie de défense de Pékin comporte une présentation très explicite de l’enjeu géostratégique que constitue la possession de Taiwan : le contrôle de l’île est vital pour se prémunir d’un blocus, en même temps qu’il permettrait de menacer les communications du Japon ; et il offrirait à la marine de l’Armée populaire un accès libre à l’océan Pacifique et un moyen de pression décisif sur les États de la région, rapportent les chercheurs William Murray et Ian Easton.

Aussi réels que soient les enjeux stratégiques et géopolitiques en cause, il nous semble qu’une dimension supplémentaire intervient dans la motivation russe et chinoise de mettre fin aux statuts respectifs de l’Ukraine et de Taiwan.

La dénonciation commune des « révolutions de couleur » par Poutine et Xi Jinping attire l’attention sur le fait que ces dirigeants de régimes autoritaires voient une menace dans les démocraties situées à leur porte. La démocratie fonctionne certes mieux à Taiwan qu’en Ukraine, mais dans les deux cas, ces petits pays, de droit ou de fait, montrent qu’ex-Soviétiques comme Chinois peuvent parfaitement vivre autrement qu’en dictature.

Si, depuis des années, Moscou s’attache aussi systématiquement à dénigrer la démocratie ukrainienne, c’est que ce régime, par son existence même, contrarie le narratif du Kremlin. Comme le dit le journaliste Jean-François Bouthors, « pour Vladimir Poutine, laisser l’Ukraine avancer dans cette direction [démocratique] est impossible. Comment tenir d’un côté que c’est en raison d’une spécificité civilisationnelle russe que se justifie l’autocratie qu’il impose au pays et de l’autre que, comme il le prétend, les Ukrainiens ne se différencient pas des Russes, alors qu’eux ont opté pour la démocratie ? [...] De son point de vue, le pouvoir à Moscou était effectivement menacé par l’expérience démocratique ukrainienne ».

Parallèlement, les universitaires Kelly Brown et Kalley Wu Tzu-Hui soulignent que Taiwan présente désormais un modèle alternatif de modernité et de démocratie dans le monde chinois ; c’est selon eux la principale raison pour laquelle Pékin a un problème avec Taiwan – « Trouble with Taiwan », expression retenue comme titre de leur ouvrage publié en 2019.

S’il se fait discret dans la communication à destination du « Nord », cet argumentaire est bien accueilli dans nombre de pays « du Sud », pour lesquels la posture russe et chinoise a le mérite de rompre avec un système libéral démocratique dominé par les États-Unis, prompt à sanctionner des dérives dont le front des régimes de national-capitalisme autoritaire s’accommode par nature.

________

Par Pierre-Yves Hénin, Professeur émérite en économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Poutine a bâti ce régime sur la peur (Mikhaïl Kassianov)

Poutine a bâti ce régime sur la peur (Mikhaïl Kassianov)

 

Selon Mikhaïl Kassianov,ancien premier ministre de 2000 à 2004, dans un entretien à l’AFP confirme que Poutine a bâti son régime sur la peur et l’impunité des oligarques

 

Mikhaïl Kassianov  estime la guerre pourrait durer jusqu’à deux ans, mais croit toujours que la Russie reprendra un «chemin démocratique» un jour. Âgé de 64 ans, l’ancien ministre de Vladimir Poutine, qui a œuvré au rapprochement entre Moscou et les pays occidentaux, explique qu’il ne pensait pas, comme nombre de Russes, qu’une guerre éclaterait.

Selon son ex-premier ministre, Vladimir Poutine, un ancien agent du KGB âgé de 69 ans, a bâti depuis son arrivée au pouvoir en 2000 un système basé sur l’impunité et la peur. «Ce sont les acquis d’un système qui, avec l’encouragement de Poutine comme chef d’État, a commencé à fonctionner de façon encore plus cynique et cruelle que dans les derniers stades de l’Union soviétique», juge-t-il. «Au fond, il s’agit d’un système rappelant le KGB reposant sur une impunité totale. Il est clair qu’ils ne s’attendent pas à être punis», poursuit-il.

Mikhaïl Kassianov dit avoir quitté la Russie en raison de son opposition à l’offensive russe en Ukraine mais a refusé d’indiquer à l’AFP dans quel pays il se trouvait, invoquant des raisons de sécurité. Boris Nemtsov, un critique de Vladimir Poutine dont Mikhaïl Kassianov était proche, a été tué par balle près du Kremlin en 2015. Et Alexeï Navalny, bête noire du président russe, a été emprisonné après avoir survécu à un empoisonnement en 2020.

«Si l’Ukraine tombe, alors les pays baltes seront les prochains» sur la liste, assure l’opposant. Il ajoute être en désaccord «catégorique» avec l’idée selon laquelle Vladimir Poutine ne devrait pas être humilié, et contre les appels à ce que l’Ukraine accepte des concessions territoriales en échange de la paix. «Qu’aurait fait Poutine pour mériter cela ?», dénonce-t-il: «C’est une position beaucoup trop pragmatique. Je pense que c’est une erreur et j’espère que l’Occident ne suivra pas cette voie».

1...34567...24



L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol