Finances publiques « Un référendum pour éviter le désastre ? »
La France, souvent perçue comme réfractaire aux réformes, fait face à une crise financière grandissante. Entre la crainte de perdre des acquis sociaux et des difficultés politiques internes, les gouvernements successifs peinent à trouver un consensus pour redresser la situation économique. Face à une Assemblée nationale divisée, la proposition de François Bayrou d’un référendum populaire pourrait offrir une issue à cette impasse. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l’ESSEC dans La Tribune
La France est réputée irréformable, ou du moins cette crainte hante nos courageux dirigeants. Certes, les Français tiennent à leurs acquis sociaux, qu’il s’agisse des RTT, des 35 heures ou des jours fériés. Par ailleurs, tout droit obtenu dans un contexte difficile est considéré comme acquis, et ce, bien longtemps après la disparition des conditions défavorables qui ont justifié l’aide publique. En 2021, le rapport de la commission Blanchard-Tirole, à l’initiative du chef de l’État, avait souligné la difficulté de faire passer des réformes en France, indépendamment de leur caractère urgent ou simplement nécessaire. Selon ce rapport, le blocage des réformes venait d’un manque d’explication compréhensible, couplé avec un certain déficit de connaissances économiques, et accentué par une redistribution mal gérée, incapable de compenser les éventuels perdants de manière équitable.
Depuis 2021, la situation budgétaire française s’est encore dégradée. Déficit public abyssal, croissance en berne et taux d’intérêt élevé constituent un cocktail destructeur. Sans effort majeur de rééquilibrage par une politique d’austérité assumée, combinant hausse d’impôts et réduction des dépenses publiques, une crise financière peut se déclencher à tout moment, à l’image de la crise qui a touché la Grèce en 2012 et a conduit ce pays au défaut souverain. Une crise d’illiquidité ne s’installe pas progressivement. Elle débute par une fuite brutale des investisseurs. Une fois le processus enclenché, chacun cherche à se débarrasser des obligations de l’État en difficulté avant les autres, ce qui entraîne une chute du prix de ces titres. Les banques doivent alors réévaluer leurs actifs à la baisse, le crédit se contracte, et un cercle vicieux s’enclenche. Comme pour la Grèce, une crise financière de grande ampleur va imposer d’elle-même des décisions d’urgence, dictées par les garants de la stabilité financière en Europe : Commission Européenne, BCE, FMI et indirectement, l’Allemagne.
Malheureusement, depuis la désastreuse dissolution de l’Assemblée nationale, les deux gouvernements successifs n’ont plus de ligne claire d’action. Tant l’éphémère gouvernement Barnier que le gouvernement Bayrou se confrontent à la difficulté de mettre en place un ensemble de mesures cohérentes conjuguant baisse des dépenses publiques et hausse des recettes fiscales. Cette difficulté résulte de l’absence de majorité à la chambre. Le gouvernement — exposé en permanence à la censure — est incapable de réunir une majorité sur des sujets politiquement sensibles dans un contexte de compte à rebours avant la prochaine élection législative. Outre ce contexte électoral, la France n’a pas l’expérience de la négociation parlementaire capable de produire une combinaison de hausses d’impôts et de réductions des dépenses susceptible de recueillir le soutien à la fois du centre gauche et du centre droit. Chacun, par ailleurs, fait un point d’honneur à refuser les initiatives de l’autre. À ce jour, toutes les tentatives d’accord sur le budget 2026 semblent vouées à l’échec.
Pour sortir de l’ornière, François Bayrou semble vouloir faire appel aux Français : exposer la gravité de la situation aux électeurs, puis leur proposer un programme de réformes global et synchronisé, assorti d’un calendrier clair et d’objectifs précis, soumis à l’approbation des Français par référendum. Il y a longtemps, J. M. Keynes remarquait que les individus sont essentiellement préoccupés par la comparaison avec les autres ; un programme de réformes imposant des coûts à tous, sans exception, et permettant de contenir le risque de crise, pourrait ainsi être accepté. Cette stratégie politique permettrait en effet de contourner le blocage d’une Assemblée nationale divisée. En termes de théorie des jeux, la solution non coopérative serait remplacée par une solution coopérative, dans le cadre d’une négociation directe entre le gouvernement et les Français.
L’idée du Premier ministre a du sens et mérite d’être expérimentée. Les députés LFI sont bien sûr outrés, dans la mesure où ils n’existent que par leur force de blocage. Il n’est pas sûr que les autres partis approuvent l’idée pour des raisons évidentes de perte de visibilité.
En revanche, rien ne garantit que le gouvernement soit en mesure de proposer des réformes véritablement équitables. Traditionnellement, les gouvernements précédents ont ménagé les catégories de la population disposant d’un fort pouvoir de blocage, tout en faisant les poches des catégories sans défense. Un programme cohérent devrait proposer des mesures à large spectre, garantissant une répartition équitable des coûts sur l’ensemble de la société. Mais une forte incertitude subsiste quant à la définition même de l’équité fiscale, et des débats persistent sur les moyens de l’atteindre. Les propositions du chapitre sur la fiscalité du rapport Blanchard-Tirole pourraient constituer une bonne base de départ. On y apprend, par exemple, « qu’un impôt proportionnel, voire légèrement régressif comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pourrait accroître la progressivité générale du système d’imposition et de transfert s’il sert à financer des dépenses ciblant précisément les personnes à faible revenu. Un impôt donné, considéré isolément, ne dit pas grand-chose de la progressivité et de la régressivité du système ou de l’impact économique. »
Nous souhaitons bonne chance au gouvernement pour réussir à convaincre nos concitoyens que cette fois-ci l’effort qu’il propose sera partagé par tout le monde, et que cet effort permettra de remettre l’économie française sur un chemin de croissance. C’est notre dernière chance.