Le cancer du poumon cause plus de décès que les cancers du sein, du côlon et de la prostate réunis. Toutefois, grâce aux progrès réalisés dans son dépistage, davantage de patients vont être diagnostiqués à un stade plus précoce, ce qui leur permettra de subir une intervention chirurgicale. Celle-ci constitue la principale modalité de traitement pour les patients avec un cancer du poumon de stade précoce. Malheureusement, une proportion significative de patients connaîtront une récidive de leur cancer après la résection, une chirurgie pour enlever la tumeur, et les protocoles cliniques actuels ne permettent pas de prédire quels sont les patients à risque. En le sachant mieux, des traitements ciblés pourraient leur être offerts. Pour trouver des solutions à ce problème, notre groupe de recherche à l’Université McGill, en collaboration avec l’Université Laval, a entamé un projet dont les premiers résultats ont été publiés dans la revue Nature. Nous avons découvert que l’utilisation d’une nouvelle technologie d’imagerie, ainsi que l’intelligence artificielle, pourraient changer la donne.
par Mark Sorin
Étudiant au MD-PhD, chercheur en cancer du poumon, McGill University
Logan Walsh
Assistant Professor, McGill University dans The Conversation
Ce dilemme clinique a des implications importantes sur le choix du traitement, tel que la chimiothérapie. Ainsi, les patients atteints de cancer du poumon qui seraient guéris par la chirurgie pourraient être épargnés des toxicités de la chimiothérapie, et les patients qui auraient un risque de récidive de leur cancer pourraient bénéficier d’interventions thérapeutiques supplémentaires.
Ainsi, la prédiction de la récidive pour les patients atteints d’un cancer du poumon de stade précoce représente un défi avec des implications importantes pour les 31 000 Canadiens qui continuent d’être diagnostiqués avec cette terrible maladie chaque année.
Imagerie par cytométrie de masse
Pour relever ce défi clinique, nous avons utilisé l’imagerie par cytométrie de masse (ICM), une nouvelle technologie qui permet une caractérisation complète du microenvironnement tumoral.
Il s’agit d’un écosystème complexe composé d’interactions entre les [cellules tumorales], les [cellules immunitaires], notamment les lymphocytes, et diverses cellules structurelles. L’ICM permet de visualiser jusqu’à 50 marqueurs à la surface de cellules, soit beaucoup plus que ce qui était possible auparavant.
Cette technologie permet d’identifier différents types de cellules et de déterminer leur organisation spatiale, c’est-à-dire comment elles interagissent les unes avec les autres. L’ICM produit des images qui peuvent être analysées pour déterminer la fréquence des principales sous-populations cellulaires, leurs états d’activation, les autres types de cellules avec lesquelles elles interagissent et leur localisation dans des regroupements de cellules.
Nos résultats publiés dans Nature ont révélé que divers types de cellules peuvent interagir dans des communautés de cellules, et que les communautés avec des lymphocytes B étaient fortement associées à une plus longue survie chez les patients atteints d’un cancer du poumon. Notre étude souligne qu’au-delà de la fréquence des cellules, les interactions cellulaires et la localisation spatiale ont également une corrélation très forte avec d’importants résultats cliniques comme la survie.
L’intelligence artificielle pour de meilleures prédictions
À partir de nos résultats initiaux, nous avons émis l’hypothèse que des caractéristiques spatiales importantes, comme les interactions cellulaires, intégrées dans les images ICM pourraient être importantes pour prédire des résultats cliniques.
Notre ensemble de données, composé de 416 patients et de plus de 1,6 million de cellules, a fourni suffisamment de puissance pour effectuer des prédictions à l’aide de l’intelligence artificielle. Nous avons cherché à prédire quels patients atteints d’un cancer du poumon d’un stade précoce auraient une récidive de leur cancer après la chirurgie, ce qui nous permettrait d’adapter l’utilisation de la chimiothérapie.
En utilisant des échantillons tumoraux de 1 mm2, matériel facilement disponible à partir de résections chirurgicales ou de biopsies, nous avons utilisé des algorithmes d’intelligence artificielle pour faire nos prédictions. En utilisant les informations spatiales contenues dans les images ICM, notre algorithme a pu prédire avec une précision de 95 % quels patients connaîtraient une récidive du cancer.
Six marqueurs peuvent faire toute la différence
L’un des défis pour l’utilisation de nos résultats dans les hôpitaux est que l’ICM n’est pas disponible dans les milieux cliniques. Les services de pathologie clinique utilisent généralement des technologies moins complexes telles que l’immunofluorescence, qui sont souvent limitées à l’utilisation de trois marqueurs ou moins à la fois.
image obtenue grâce à immunofluorescence
Image d’immunofluorescence d’une tumeur traitée par immunothérapie. Cette technologie moins complexe est souvent limitée à l’utilisation de trois marqueurs ou moins à la fois. (Shutterstock)
Pour relever ce défi, nous avons cherché à identifier le nombre minimum des marqueurs nécessaires pour faire des prédictions significatives sur la récidive des patients atteints de cancer du poumon après une intervention chirurgicale. En utilisant six marqueurs, nous avons obtenu une précision de 93 % pour la prédiction de la progression, un résultat qui se rapproche de la précision de 95 % obtenue avec l’utilisation de 35 marqueurs.
Ces résultats suggèrent qu’en exploitant la puissance de l’intelligence artificielle avec les technologies disponibles dans les hôpitaux, nous pourrions être en mesure d’améliorer la gestion clinique post-chirurgicale des patients atteints d’un cancer du poumon d’un stade précoce. Notre objectif ultime est d’augmenter les taux de guérison pour les personnes présentant un risque élevé de récidive du cancer, tout en minimisant la toxicité pour ceux qui peuvent être guéris par la chirurgie.