Fraude sociale potentielle : 80 milliards ? ou l’art de tout mélanger
C e chiffre de 80 milliards émane d’un magistrat qui s’est fait une spécialité médiatique de dénoncer la fraude sociale. Le problème, c’est que le montant évoqué mélange tout. Certes il y a sans doute un surnombre de détenteurs de cartes vertes bénéficiaires du système de sécurité sociale. Cependant en l’absence de cette carte, beaucoup d’ intéressés auraient sans doute bénéficié de l’aide sanitaire publique .
Le magistrat aboutit au chiffre de 2,4 millions d’étrangers actifs en surnombre dans le système de la Sécurité sociale française.
Dans les pages du Journal Officiel de la République Française, l’administration concernée disait recenser 12.392.865 personnes nés à l’étranger «disposant d’un droit ouvert à recevoir au moins une prestation sociale». Et c’est sur la base de ce nouveau groupe d’assurés que Charles Prats relève une première incohérence : selon l’Insee, il existe 8,2 millions de personnes, immigrées ou non, nés à l’étranger en France. Pourquoi un tel écart?
Une interview du magistrat dans la « Voix du nord » mettait en évidence la confusion évoquée puisque pour l’essentiel la fraude viendrait surtout de la fraude fiscale. Ceci étant, la fraude sociale n’est pas négligeable mais elle est sans doute assez loin des chiffres provocateurs évoqués. Notons que la sécurité sociale elle ne compte que quelques centaines de millions de fraudes sociales quand le magistrat évoque la somme de 30 milliards pour cette fraude sociale ( et 50 milliards pour la fraude fiscale).
Les chiffres du magistrat relèvent de calcul de coin de table car il n’est pas statistiquement armé pour procéder à cette évolution. Il applique des moyennes sur des chiffres déjà très approximatifs. Cela n’interdit pas bien au contraire de lutter contre la fraude mais il convient de faire à partir d’objectifs pertinents.
L’interview du magistrat dans la Voix du Nord :
– Assiste-t-on à une hausse de la fraude sociale et fiscale ?
« L’alourdissement des prélèvements obligatoires depuis 2009 peut entraîner une hausse de la fraude, c’est une évidence. »
– Pouvez vous quantifier dans le détail les différentes formes de fraude sociale ?
« Le travail illégal, c’est un coût de 15,5 à 18,7 milliards d’euros pour Bercy. La fraude aux CPAM, c’est 14 milliards selon l’EHFCN, organisme européen de lutte contre la fraude. Les indus détectés par les CAF se montent à plus de 2 milliards. L’immatriculation sociale frauduleuse permettant de toucher des prestations, c’est potentiellement 12 milliards. Plus les fraudes aux autres régimes de protection sociale… Au final on arriverait à pratiquement 50 milliards par an de fraude sociale. »
– Vos données sont plus élevées que les chiffres officiels. Y a-t-il volonté de l’État de dissimuler la réalité ?
« Ces chiffres sont issus de rapports publics même s’ils n’attirent pas forcément l’attention. »
– Les administrations se félicitent pourtant d’obtenir de bons résultats dans cette lutte. N’êtes-vous pas d’accord ?
« Les résultats sont en constante progression depuis 2008 avec la création de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) et des comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF). Mais il faut bien sûr aller plus loin. »
– Quelle fraude est la plus importante, la sociale ou la fiscale ?
« Une fraude sociale de 50 milliards et une fraude fiscale de 60 à 80 milliards montrent que les deux sont autant insupportables pour les finances publiques. »
– La première n’est-elle pas une « fraude de pauvres ». Et la crise augmente-t-elle la fraude et notamment celle de survie ?
« La fraude d’en bas coûte autant que la fraude d’en haut. Il faut donc lutter contre les deux. Frauder c’est voler. Les discours qui excusent la fraude sociale des uns au nom de la fraude fiscale des autres ou la fraude fiscale et le black des uns par l’existence de la fraude aux prestations des autres détruisent le consentement républicain à l’impôt. Quant à la fraude de survie, elle existe évidemment mais elle me semble bien résiduelle par rapport à la fraude sociale globale. L’équation pauvre = nécessité de frauder est fausse, c’est même une injure envers la scrupuleuse honnêteté que l’on constate souvent chez les personnes modestes issues des milieux populaires. »
– La fraude à l’usurpation d’identité et à l’usage de faux document est elle en hausse et pourquoi ?
« La mère de toutes les fraudes est effectivement documentaire, souvent nécessaire pour escroquer les finances publiques. »
– L’État est-il assez combatif ?
« Depuis 2008, l’État est très combatif mais on peut aller plus loin, notamment contre la fraude à la TVA (32 milliards selon un récent rapport européen), la fraude sociale documentaire et le travail au noir. Est-il plus juste et efficace économiquement de chercher ces sommes chez les fraudeurs ou dans le portefeuille des contribuables ? »