Électricité : des prix moins chers en Espagne et au Portugal !
Contrairement à la France, les pays de la péninsule ibérique maitrisent les prix de l’électricité sur leurs marchés de gros. Une différence qui s’explique par un mécanisme de subvention différent, lié à la source d’énergie utilisée par la centrale qui fournit la production marginale. Par Charles Cuvelliez, Patrick Claessens, Pierre Henneaux, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles. ( la Tribune)
Tribune
Pendant que les prix du MWh explosent sur les marchés de gros dans nos pays, l’Espagne et le Portugal arrivent à maintenir les leurs sous contrôle, avec un ordre de grandeur 3 x inférieur. Comment y sont-ils arrivés ? Ils ont plaidé pour découpler leur marché de gros du reste de l’Europe auprès de la Commission européenne et l’ont justifié par la faible interconnexion entre la péninsule ibérique et la France. C’est à contre-courant du marché unique et de ses promesses et cela marche. Faut-il donc revenir à des marchés nationaux au plus grand bénéfice de ceux qui ont la chance de ne pas dépendre du gaz (la France) pour leur électricité ?
Les prix de gros sont en effet fixés par la centrale marginale, c’est-à-dire la dernière centrale qu’on doit mettre en route pour équilibrer offre et demande d’électricité. C’est la plus chère à faire tourner, celle au gaz, souvent, sauf en France où (si le parc nucléaire n’était pas déficient) elle serait (le plus souvent) nucléaire ou hydroélectrique, à faible coût. C’est à se demander pourquoi ce mécanisme, qui semble être antinomique aux intérêts français, a été mis en place. Ce mécanisme a des vertus : avec la centrale marginale qui dicte un prix élevé au marché, la production d’électricité à partir de renouvelable, à coût marginal quasi-nul, bénéfice de marges intéressantes. C’est un incitant à investir encore plus dans le renouvelable, de ne plus devoir le subventionner et, avec le temps, d’avoir la centrale marginale de moins en moins souvent sollicitée. Une baisse des prix généralisée s’enclenche. Le mécanisme de la centrale marginale incite aussi à allouer efficacement les ressources : les producteurs ont intérêt à faire tourner les centrales les moins couteuses d’abord pour dégager une marge maximum.
Ce plan était raisonnable avec des prix de gros stables aux environs de quelques dizaines d’euros par MWh observés pendant la dernière décennie. Ce n’est plus vraiment le cas : le modèle entraine désormais une spirale haussière dont les gouvernements espagnols et portugais semblent se sortir. Ils dépendent pourtant du gaz.
Les gouvernements de ces deux pays ont décidé de subventionner le gaz quand il est utilisé pour produire de l’électricité. Ce plan prévoir que les producteurs d’électricité achètent leur gaz à 40 euros le MWh puis, depuis juillet, graduellement plus cher (+5 euros le MWh par mois) pour atteindre 70 euros le MWh fin 2022.
C’est la faible interconnexion entre les réseaux électriques espagnol et français qui permet que ce subside ne profite pas à toute l’Europe puisqu’il fera baisser le prix du gaz et donc le prix de l’électricité produite à partir de ce dernier. Les gouvernements espagnols et portugais ne comptent pas non plus se laisser étrangler par leurs subsides : les acheteurs sur les marchés de gros doivent restituer une partie de leurs gains et le surplus d’électricité qui ira de l’Espagne à la France, du fait des prix plus intéressants outre-Pyrénées, crée un revenu de congestion que le gestionnaire de réseau devra aussi restituer aux autorités. Ce mécanisme donne l’impression de reprendre dans une poche ce qui a été donné dans l’autre poche. Il permet surtout de limiter le montant de l’aide d’Etat tout en s’efforçant de demeurer efficace. S’il fonctionne, c’est parce que le subside réduit le coût de fonctionnement de la centrale marginale et donc le prix de gros de l’ensemble de la production électrique ibérique.
Ce mécanisme peut-il s’appliquer en France où il ne faudrait même pas appliquer des subsides puisque l’électricité n’y est pas produite avec du gaz. Mais la France n’est pas isolée du reste de l’Europe. Tout mécanisme qui réduirait en France les prix de gros attirerait mécaniquement les pays voisins et au-delà.
Il faudrait tout simplement subventionner – au niveau de l’Europe continentale – le gaz utilisé pour faire tourner la dernière centrale qu’on met en route quelque part pour équilibrer l’offre et la demande.
En subventionnant un peu de gaz, on entraine vers le bas les prix de gros alignés sur la centrale la plus chère qui tourne (au gaz) à un moment donné et qui devient ainsi moins chère. Il ne faut même pas stopper les interconnexions entre la France et le reste de l’Europe pour ce faire : c’est tant mieux car la France ne pourrait sinon plus exporter son électricité (comme elle le fait souvent) ou en importer (comme aujourd’hui) pour pallier les arrêts de ses unités.
Bien sûr, pour que ce mécanisme fonctionne, il faut qu’il y ait bien plus de production à bas coût (renouvelable, nucléaire) que de production basée sur les énergies fossiles pour que le niveau de subside reste faible.
Mais qui dit subside, dit aide d’Etat. La Commission européenne l’a accepté car les prix du gaz impactent fortement les prix de l’électricité qui frappent fortement les économies locales. La mesure est aussi limitée dans le temps. Cette mesure était d’ailleurs prévue dans les lignes directrices de la Commission pour permettre aux Etats d’intervenir sur les marchés de l’énergie. Serait-elle notre issue de secours ?
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(1) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions — Interventions sur le marché de l’énergie à court terme et améliorations à long terme de l’organisation du marché de l’électricité, 18 mai 2022, COM (2022) 236 final