Présidence française de l’Europe : une portée limitée
Un article de Mathieu Solal dans l’Opinion qui relativise la portée de la présidence française en Europe au premier semestre 2022 (extrait)
Le séminaire parisien du groupe parlementaire européen Renew Europe s’est achevé mercredi, à l’issue de trois jours de discussions marqués par des rencontres avec le Président de la République Emmanuel Macron et plusieurs membres du gouvernement. Dans sa déclaration finale, Renew a proposé de travailler sur un accord de coalition « pour clarifier et renforcer la majorité parlementaire avec les groupes qui partagent nos valeurs » au niveau européen, sans toutefois préciser l’identité desdits groupes.
« Nous défendons la souveraineté européenne et l’autonomie stratégique européenne », ont affirmé mercredi les députés européens du groupe Renew, réunis depuis lundi à Paris pour leur séminaire de rentrée. « Souveraineté » et « autonomie stratégique » : deux concepts empruntés au vocabulaire macronien, et qui ont habituellement tendance à hérisser le poil des députés libéraux nordiques du groupe.
« Beaucoup de délégations ont voulu être gentilles avec Renaissance… La bienveillance du retour des vacances probablement », sourit une source interne du groupe. Au-delà de la bonne humeur et du soleil parisien, le soutien affiché par le groupe suggère surtout une mise en ordre de bataille à l’approche de deux rendez-vous cruciaux pour Renew, et qui risquent fort de se télescoper : la présidence française du Conseil de l’UE au premier semestre 2022, et l’élection présidentielle, dont les deux tours sont prévus au mois d’avril.
Une situation qui ne doit rien au hasard, comme l’explique Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors : « La France aurait pu faire le choix d’échanger avec les Tchèques, qui doivent prendre la relève au second semestre. L’option a été écartée pendant le mandat de François Hollande, et la question n’a plus été soulevée depuis. C’est donc un choix délibéré et qui peut paraître gênant en créant une collision entre les deux événements, mais qui est surtout vue politiquement comme le meilleur moyen d’asseoir la stature européenne du Président à un moment-clé. »
Le début de l’année 2022 devrait donc donner lieu à de grands discours sur les progrès réalisés par l’Union européenne depuis l’élection d’Emmanuel Macron, à un bilan de son discours de la Sorbonne et à une défense des réalisations telles que le plan de relance européen et l’achat en commun de vaccins. Le Président devrait aussi capitaliser sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe pour énoncer sa vision des prochaines étapes à franchir après son éventuelle réélection. Un bilan et une vision, une mise en valeur du passé et une projection vers le futur : voilà le programme, quitte à laisser passer au second plan le présent législatif de la présidence française du Conseil.
« D’une présidence semestrielle, on passe à une présidence quasi-trimestrielle, d’autant plus qu’à partir de mi-mars, le devoir de réserve obligera les ministres à faire très attention »
« L’agenda est contrarié, confirme Sébastien Maillard. D’une présidence semestrielle, on passe à une présidence quasi-trimestrielle, d’autant plus qu’à partir de mi-mars, le devoir de réserve obligera les ministres à faire très attention à la manière dont ils gèrent la présidence. » Interdits de donner à penser que l’Etat soutient le Président-candidat, les ministres devront en effet laisser leur enthousiasme au vestiaire en cas d’obtention d’accord. Ils pourraient même pour certains renoncer à présider les réunions du Conseil et se faire remplacer par le Représentant permanent de la France à Bruxelles, Philippe Léglise-Costa. L’impulsion politique nécessaire à des compromis sur les dossiers délicats risque ainsi de manquer à l’appel, au moins jusqu’à fin avril, d’autant plus que le secrétaire d’Etat aux affaires européennes Clément Beaune est pressenti pour se présenter aux élections législatives, selon deux sources bien informées.
La probable absence d’un gouvernement allemand pendant les premiers mois de la présidence française devrait finir obscurcir les perspectives d’accords sur les propositions législatives majeures telles que le paquet climat ou les législations sur le numérique. Si la plupart des interlocuteurs français préfèrent logiquement botter en touche quand on les interroge sur les ambitions de la présidence, la délégation Renaissance au Parlement européen peine, dans sa majorité, à comprendre la difficulté de la situation.
« Certains eurodéputés français arrivés au Parlement en 2019 voudraient mettre la barre très haut en termes d’ambition, confirme la source interne à Renew. Beaucoup essaient de leur expliquer qu’il est difficile de faire en sorte que les accords tombent au bon moment, surtout au vu des circonstances dans lesquelles se tiendra la présidence française. Il vaut mieux éviter d’afficher des attentes démesurées. »
Un message qui n’est manifestement pas reçu cinq sur cinq par l’eurodéputée MoDem Marie-Pierre Vedrenne, qui a beaucoup communiqué ces derniers jours sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, voué à taxer les marchandises produites à l’étranger et exportées vers l’UE. « Ce mécanisme est révélateur de l’Europe qui s’affirme comme une puissance verte et comme vecteur d’un nouveau modèle de mondialisation qui passe par une juste concurrence, explique-t-elle à l’Opinion. Il concrétisera la fin de la naïveté. »
Ce dispositif n’a été proposé que le 14 juillet dernier, et le dossier, touffu, semble politiquement délicat étant donné les réticences de l’industrie européenne qui refuse de renoncer à ses quotas gratuits d’émission carbone, et celles des partenaires commerciaux de l’UE, dont les Etats-Unis. Un accord sous présidence française paraît donc bien improbable.