Chute des populations d’oiseaux en France
L e président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Allain Bougrain-Dubourg, sur franceinfo alerte sur le rythme de disparition des joies au point. Le programme de suivi temporel des oiseaux communs (Stoc) révèle que les populations d’oiseaux ont chuté de 28% dans les milieux urbains et de 30% dans les milieux agricoles entre 1989 et 2019.
Interview
Est-il encore possible d’inverser la tendance ?
Allain Bougrain-Dubourg : Il y a toujours de l’espoir avec le vivant, mais très franchement, pas dans les conditions que nous connaissons. On a vu, et ce n’est pas un scoop malheureusement, que l’agriculture intensive était coupable en grande partie du déclin des populations d’oiseaux. Derrière l’oiseau, on parle de l’ensemble du vivant, parce que l’oiseau est un indicateur. Quand ses populations sont vastes, c’est tout le cortège des petits mammifères, des batraciens, des reptiles, des insectes, qui s’épanouit. Au contraire, quand les populations d’oiseaux s’estompent, c’est la biodiversité qui disparaît. Et on continue sur le même modèle agricole.
Actuellement, on est en pleine négociation de la prochaine Politique agricole commune 2023-2027. La PAC renvoie chaque État membre à un plan stratégique national de cinq ans et nous, les associations et notamment le regroupement des associations pour une autre PAC, on n’est pas satisfaits du projet du gouvernement. Très clairement, on reste dans la même démarche. Vous avez des grands céréaliers qui s’enrichissent, des petits paysans qui n’en peuvent plus et une biodiversité qui est en déclin.
Même avec des ailes, on ne peut pas vivre hors-sol. Les oiseaux ont besoin d’être en proximité avec le biotope. Or, l’agriculture intensive efface les bosquets, les petits murets, les mares, les bandes enherbées, les haies, tout ce qui fait la diversité des milieux et qui favorise l’état minimum des populations animales quelles qu’elles soient, pas que les oiseaux.
L’agriculture est-elle la seule responsable du déclin des populations d’oiseaux ?
Non, absolument pas. S’ajoute à ça l’artificialisation des sols, le béton et l’asphalte, qui rongent une moyenne de 60 000 hectares par an. C’est quasiment la grandeur d’un département. Ils rongent l’espace agricole et naturel. On a perdu 50% de nos zones humides en 30 ans. Or, les zones humides sont le berceau de la vie pour beaucoup d’espèces. Il y a le réchauffement climatique qui nous rattrape.
Et puis, autre chose, on n’est pas coupables de tout, il y a beaucoup d’oiseaux migrateurs qui repartent au sud, en Afrique, et qui pendant le voyage, vont se faire flinguer, ou n’auront plus la force de survoler un Sahara devenu trop grand à cause de la désertification, ou vont vivre dans des endroits où ils ont besoin de support végétal pour leurs dortoirs. Par exemple, les tourterelles des bois n’ont plus d’arbres pour se regrouper et ça participe du déclin. C’est de la faute de la déforestation. Donc il y a beaucoup de choses.
Mais on a aussi sauvé des espèces emblématiques. La cigogne blanche, notamment. Dans les années 1970, il ne restait que 10 couples en France, on en a plus de 3 000 aujourd’hui. Le faucon pèlerin avait quasiment disparu à cause du pesticide DDT, mais il est en train de nidifier dans Paris ou sur la cathédrale d’Albi. Les vautours fauves, effacés du ciel des Cévennes, aujourd’hui sont si nombreux que cela devient un attrait touristique. On a réussi avec beaucoup d’espèces, mais on a laissé de côté les oiseaux communs, disons les « sans grade », la petite faune, et c’est elle qui se rappelle à notre devoir aujourd’hui.
Certains oiseaux qui s’adaptent à tout remplacent les autres qui disparaissent. Quelle est la conséquence de ce phénomène ?
Chaque fois qu’une espèce disparaît, c’est un peu l’humanité qui perd des plumes. Je ne suis pas le premier à dire que la biodiversité est un tissu de fils extrêmement complexe. On peut en retirer un, dix, trente, cent, et puis un jour le tissu se déchire. C’est comme un avion qui perd ses boulons, peu à peu il va tomber.
Je ne vous dirais pas que si on touche à la tourterelle des bois, ça y est, c’est le déclin et c’est la fin de l’humanité. Non. C’est un ensemble et on assiste à une accélération de ce déclin qui nous conduit à nous poser une question très simple. Est-ce qu’on peut vivre hors-sol ? Est-ce qu’on peut se passer du reste du vivant ? Moi, je ne crois pas, à bien des égards sur un plan pratique mais aussi psychologique, médical, et bien d’autres choses encore. Il ne faut pas voir la nature que comme utilitaire. On est les dominants sur cette planète, on a par conséquent des devoirs à l’égard du reste du vivant comme on a des devoirs à l’égard de nos enfants