Archive pour le Tag 'politiques'

Page 3 sur 12

Un « veto démocratique  » pour prévenir les crises politiques ?

Un « veto démocratique  » pour prévenir les crises politiques ?

par Lina Megahed
Docteur en droit, Université de Bordeaux


Les mobilisations massives contre la réforme des retraites et l’inflexibilité du gouvernement face à l’impopularité de certaines mesures ou projets (comme les mégabassines) permettent de s’interroger sur la nécessité d’introduire de nouveaux mécanismes d’intervention des citoyens.

Parmi eux, le veto populaire qui est un procédé référendaire à l’initiative des citoyens et dont l’objet est d’invalider des actes normatifs, notamment des lois. S’il avait été introduit en droit français, il aurait pu potentiellement permettre de bloquer la réforme des retraites.

En l’état, les seuls moyens juridiques qui permettraient de freiner la réforme reposent sur le Conseil Constitutionnel, incompétent pour se prononcer sur l’opportunité politique des lois soumises à son contrôle. Ce dernier a tranché le 14 avril en déclarant conforme à la Constitution l’essentiel du projet de réforme.

Outre la possibilité écartée d’une nouvelle délibération de la loi qui serait demandée par le président de la République sur le fondement de l’article 10.2 de la Constitution, il existe aussi la voie du référendum d’initiative partagée (RIP). Une première proposition de RIP a été rejetée par le Conseil Constitutionnel, qui statuera sur une seconde proposition en ce sens le 3 mai prochain.

L’hypothèse du RIP semble tout de même peu probable à cause des seuils particulièrement élevés prévus pour le mettre en œuvre. Pour déclencher un tel référendum, il convient de requérir l’appui d’un cinquième des parlementaires, et celui d’un dixième d’électeurs inscrits sur les listes électorales, soit environ 4,87 millions de signatures citoyennes. Cet outil demeure ainsi d’une efficacité relative, d’autant que si le Parlement se saisit de la loi il peut empêcher l’organisation d’un tel référendum.

Ce contexte ravive donc à nouveau le débat autour de l’intérêt d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC) et en particulier d’un procédé de veto populaire qui pourrait permettre de donner au peuple le dernier mot en ce qui concerne des réformes similaires à celle des retraites.

Ce type de RIC permettrait à l’ensemble des citoyens, dans un délai et selon des modalités déterminées par la Constitution, d’être directement consultés au sujet d’une loi votée par le Parlement, afin de savoir s’ils ne s’opposent pas à son application.

Ce mécanisme existe en Suisse sous l’appellation « référendum facultatif ». Il est considéré comme facultatif dans la mesure où la consultation populaire n’est pas systématique (sauf en matière constitutionnelle). C’est une option dont le peuple dispose pour s’opposer à une loi notamment. Celle-ci, si le veto ne se produit pas, est alors juridiquement valide. Dans cette hypothèse, cette possibilité de donner au peuple un droit de veto s’utilise pour s’opposer à une loi adoptée, mais non encore entrée en vigueur.

Toutefois, dans certains pays comme l’Italie, une telle possibilité peut avoir lieu même pour des lois déjà en vigueur (sauf pour les lois fiscales et budgétaires, pour les lois d’amnistie et de remise de peine, et les lois autorisant la ratification de traités internationaux). Le procédé du veto populaire peut donc être suspensif ou abrogatif, selon les systèmes constitutionnels.

La procédure se déroule en deux étapes et permet au peuple d’exercer ce que Montesquieu appelait la « faculté de statuer », qu’il a définie comme « le droit d’ordonner par soi-même, ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre », et celle de « faculté d’empêcher », qu’il détermine comme « le droit de rendre nulle une résolution prise par quelque autre ».

Lors de la première phase qui permet le déclenchement de ce procédé référendaire, une partie du peuple utilise la faculté de statuer en exerçant son droit d’initiative. Il faut pour cela remplir les conditions requises par les textes, notamment concernant le nombre de signatures citoyennes à atteindre, qui est fixé à 50 000 en Suisse et à 500 000 en Italie.

Le droit d’initiative citoyenne se distingue du droit de pétition classique par son caractère contraignant. Le premier permet à un certain nombre de citoyens de soumettre une proposition au verdict du peuple ; celle-ci aura donc par la suite une force normative si la majorité des citoyens l’acceptent. Cet effet est donc plus important que celui du droit de pétition.

Ce dernier, qui existe déjà en droit français, implique simplement que les autorités publiques concernées prennent connaissance des pétitions émises par les citoyens. S’il a été abandonné pendant longtemps par une grande partie des citoyens, le pétitionnement a connu un regain d’intérêt ces dernières années.

Mais récemment, le classement sans suite de la pétition appelant à la dissolution de la BRAV-M a montré le peu de prise en considération par le pouvoir politique des pétitions qui lui sont adressées. De surcroît, les réformes visant la modernisation du droit de pétition en 2019 et 2021 ne l’ont pas fait évoluer vers un véritable droit d’initiative.

Même si elles sont peu suivies d’effets sur le plan juridique, des citoyens continuent par ailleurs à lancer régulièrement des pétitions sur les plates-formes numériques dédiées à cet effet afin d’exercer une pression médiatique sur les gouvernants.

Ce recours à la « voie pétitionnaire », en dehors de la procédure fixée par le droit de pétition, soulève des interrogations quant au sort de certaines pétitions lancées sur Internet et accompagnées par des mouvements de protestation citoyenne contre l’adoption de certaines lois, comme celles de « Nuit debout », des « gilets jaunes », et actuellement les opposants à la réforme des retraites. Si un droit d’initiative avait été conféré par le droit français, ces recours auraient eu sans aucun doute plus de poids.

Le veto populaire étant un RIC d’invalidation des lois, il apparaît donc comme un outil utile au perfectionnement du régime politique en vigueur.

D’une part, il se présente comme un compromis équilibré entre représentation et démocratie, donnant une véritable substance à la notion de « démocratie représentative ». En ce sens, le peuple préserve au moins la possibilité de contrôler que les actions prises en son nom soient réellement conformes à sa volonté. Autrement dit, il ne serait pas libre de faire tout ce qu’il veut, mais il serait au moins libre de ne pas faire ce qu’il ne veut pas. Cela nécessite la possibilité pour le peuple d’opposer un veto aux lois à l’égard desquelles il est hostile. D’autre part, cela implique également un pouvoir de limiter la domination des forces politiques majoritaires.

Un tel mécanisme contribue à prévenir les insurrections au profit d’un mécanisme pacifique encadré par le droit et indéniablement démocratique. Si les citoyens étaient en mesure de s’opposer à des lois à travers des procédés juridiques comme le veto populaire, ils ne seraient probablement pas obligés de recourir à d’autres alternatives plus rudes.

Cette idée en soi n’est ni nouvelle ni étrangère à la France. Elle trouve ses véritables racines conceptuelles dans la pensée révolutionnaire, notamment celle de Condorcet que l’on trouve dans le projet de Constitution girondine, ainsi que la Constitution Montagnarde de 1793. Cette idéologie a marqué les pratiques constitutionnelles de nombreux pays dans le monde, mais paradoxalement la France n’a pas suivi le mouvement.

Les politiques publiques mal calibrées tuent

les politiques publiques mal calibrées tuent

La tribune d’Emmanuel Thibault, économiste dans l’Opinion

Emmanuel Thibault fait référence au débat sur la réforme des retraites, et défend l’idée que, au-delà des polémiques stériles, évaluer de manière impartiale et dépassionnée les politiques publiques permet de les hiérarchiser et, in fine, d’éviter des décès liés à des décisions inappropriées. Il identifie aussi certains biais psychologiques qui perturbent la décision et suggère qu’une approche comportementale peut être un levier puissant pour améliorer l’efficacité de l’action publique. Une démarche salutaire.
PUBLICITÉ

« Stupeur et tremblements au palais Bourbon où un crime (de lèse-majesté) a été commis puisque le ministre du Travail, rendu responsable de l’augmentation du nombre de morts dans des accidents du travail, a été traité d’« assassin ». Une véhémence qui met en exergue combien, plus que son simple cadre (d’équilibre) budgétaire, la réforme des retraitesactuellement débattue est avant tout une question de santé publique. Avec une proportion d’actifs déclarant des troubles psychiques liés au travail plus élevée que la moyenne européenne et une peu enviable avant-dernière place en matière d’accidents du travail, la France est aujourd’hui le mauvais élève de l’Europe. Le « travailler plus pour gagner plus » cher à l’ancien monde a, ne nous y trompons pas, fait place au « travailler plus pour souffrir plus » !

Devant un tel constat, et au-delà des polémiques stériles ou des indignations surjouées au Parlement, il devient urgent d’évaluer de manièrepertinente, impartiale et dépassionnée le choix de nos élus. Pour cela, n’en déplaise à certains, des techniques modernes d’évaluations dont nos voisins sont friands existent et ont fait leurs preuves comme les analyses coût-bénéfice, coût-efficacité ou les expérimentations contrôlées. Les promouvoir et les utiliser davantage, permettrait d’éviter de graves erreurs de jugement et de limiter l’influence de ceux qui n’hésitent pas à affoler ou rassurer l’opinion dans l’espoir d’imposer leur choix.

Meutres statistiques. L’enjeu est de taille car, quelles qu’en soient les raisons, les politiques publiques mal calibrées tuent. Fondateur du Centre pour l’analyse des risques à Harvard, John Graham a dès 1995 accusé son gouvernement de tuer chaque année 60 000 Américains en répartissant mal les efforts en matière de santé et d’environnement. A cette occasion, il a inventé la notion choc de « meurtres statistiques ». En règle générale, les méta-analyses de programmes publics de prévention suggèrent que trop d’argent est investi pour prévenir certains risques de précaution par rapport à des risques mieux connus, plus communs et plus familiers.

A partir des années 1970, les psychologues Daniel Kahneman (prix Nobel d’économie) et Amos Tversky réalisent de nombreuses expériences qui aboutissent toutes à la même conclusion : notre pensée est affectée par des biais cognitifs donnant lieu à des jugements erronés et des erreurs de décisions. Concernant les victimes statistiques, force est de constater que bien qu’elles soient tout aussi réelles que celles identifiables, c’est toujours ces dernières qui captent toute l’attention. Ce « biais de la victime identifiable » a été popularisé par le prix Nobel Thomas Schelling. Il montre que lorsque la situation de la mère d’un ministre s’invite trop souvent dans le débat public, elle le cannibalise. Et ce, au détriment des réflexions, pourtant indispensables, sur la façon de compenser la moindre espérance de vie et l’état de santé précaire de certains à l’âge de la retraite.

Corriger ces inégalités devrait être une priorité de cette réforme, pour qui ambitionne une justice sociale tenant compte de la liberté individuelle. Ainsi, bien que différents biais et heuristique les perturbent, des décisions sont, et doivent être prises. Et il y a du sens à préférer une société où il existe des critères de la qualité des décisions, et où ces critères sont évalués avec précision et transparence à l’aide des dernières techniques d’évaluations.

Enfin, si les biais psychologiques font partie des principaux rouages de l’erreur humaine, il y a aussi le bruit, c’est-à-dire la variabilité indésirable des décisions (lorsque des personnes qui devraient être d’accord arrivent à des conclusions éloignées). C’est le thème du dernier ouvrage, paru fin 2021, de Daniel Kahneman (coécrit avec Olivier Sibony et Cass Sunstein) dans lequel il plaide pour une « hygiène de la décision » dans les organisations, en reprenant la métaphore du lavage de mains. Le but est d’« adopter des techniques qui réduisent le bruit, donc l’erreur, sans jamais savoir précisément à quelle erreur cette prophylaxie permet d’échapper ».

En permettant de résister aux intuitions prématurées, d’obtenir et d’agréger des jugements indépendants d’experts aux compétences complémentaires et en privilégiant les jugements comparatifs et les échelles relatives, les techniques modernes d’évaluations des politiques publiquesremplissent là aussi à merveille cet objectif de réduction. S’en servir est donc un impératif pour minimiser les pertes que le bruit et la fureur actuellement au Parlement ne manqueront pas d’entraîner. Il est grand temps que « se laver les mains plutôt que s’en laver les mains » devienne enfin la devise de l’action publique ! »

Emmanuel Thibault est professeur agrégé des universités en Sciences économiques à l’université de Perpignan et chercheur à la Toulouse School of Economics (TSE).

Politique-Référendum : la grande trouille des élites politiques et médiatiques

Politique-Référendum : la grande trouille des élites politiques et médiatiques

Il est pour le moins curieux que ceux qui détiennent le pouvoir du peuple et ceux qui ont pour mission de rendre compte de la vie démocratique s’unissent avec une telle unanimité pour dénoncer le référendum dont l’objet est justement de permettre l’expression des citoyens.

Il faut écouter les arguments mondains pour justifier cette position : « vous comprenez mon cher, cette affaire de référendum n’est pas sérieuse….. d’abord il n’y a pas de majorité alternative….. ensuite quelles questions poser…. c’est totalement impossible »

En vérité, un positionnement qui n’est pas complètement surprenant évidemment de la part des politiques actuellement au pouvoir mais aussi des éditorialistes de la grande presse à peu près tous au service des intérêts financiers. Ou des intérêts du gouvernement.

Il est évident qu’un référendum dont le résultat donnerait par exemple à propos de la politique sociale et au-delà économique du gouvernement un résultat de 70 % contre et seulement 30 % pour( évaluation de certains organismes de sondage) bouleverserait profondément le paysage démocratique et les hiérarchies établies dans le monde politique, économique et médiatique.

On se demande de quelle légitimités peuvent se prévaloir ces éditorialistes qui participent tous les soirs à ces tables rondes des télés d’information pour parler sans compétence de tout et de rien. Un jour de la crise sanitaire, le lendemain de la Défense nationale, le surlendemain de l’école, de la sécurité et du développement économique. En fait, ils répètent tous avec quelques nuances le discours superficiel ambiant dans les salons parisiens. Une sorte d’avant-goût du GPT !.

Dans la crise démocratique il y a aussi cette crise médiatique où les journalistes pour la plupart sont clairement du côté du pouvoir et derrière la finance qui les rémunère.

Référendum : la grande trouille des élites politiques et médiatiques

Référendum : la grande trouille des élites politiques et médiatiques

Il est pour le moins curieux que ceux qui détiennent le pouvoir du peuple et ceux qui ont pour mission de rendre compte de la vie démocratique s’unissent avec une telle unanimité pour dénoncer le référendum dont l’objet est justement de permettre l’expression des citoyens.

Il faut écouter les arguments mondains pour justifier cette position : « vous comprenez mon cher, cette affaire de référendum n’est pas sérieuse….. d’abord il n’y a pas de majorité alternative….. ensuite quelles questions poser…. c’est totalement impossible »

En vérité, un positionnement qui n’est pas complètement surprenant évidemment de la part des politiques actuellement au pouvoir mais aussi des éditorialistes de la grande presse à peu près tous au service des intérêts financiers. Ou des intérêts du gouvernement.

Il est évident qu’un référendum dont le résultat donnerait par exemple à propos de la politique sociale et au-delà économique du gouvernement un résultat de 70 % contre et seulement 30 % pour( évaluation de certains organismes de sondage) bouleverserait profondément le paysage démocratique et les hiérarchies établies dans le monde politique, économique et médiatique.

On se demande de quelle légitimités peuvent se prévaloir ces éditorialistes qui participent tous les soirs à ces tables rondes des télés d’information pour parler sans compétence de tout et de rien. Un jour de la crise sanitaire, le lendemain de la Défense nationale, le surlendemain de l’école, de la sécurité et du développement économique. En fait, ils répètent tous avec quelques nuances le discours superficiel ambiant dans les salons parisiens. Une sorte d’avant-goût du GPT !.

Dans la crise démocratique il y a aussi cette crise médiatique où les journalistes pour la plupart sont clairement du côté du pouvoir et derrière la finance qui les rémunère.

la grande trouille des élites politiques et médiatiques

Référendum : la grande trouille des élites politiques et médiatiques

Il est pour le moins curieux que ceux qui détiennent le pouvoir du peuple et ceux qui ont pour mission de rendre compte de la vie démocratique s’unissent avec une telle unanimité pour dénoncer le référendum dont l’objet est justement de permettre l’expression du peuple.

Il faut écouter les arguments mondains pour justifier cette position : « vous comprenez mon cher, cette affaire de référendum n’est pas sérieuse….. d’abord il n’y a pas de majorité alternative….. ensuite quelles questions poser…. c’est totalement impossible »

En vérité, un positionnement qui n’est pas complètement surprenant évidemment de la part des politiques actuellement au pouvoir mais aussi des éditorialistes de la grande presse à peu près tous au service des intérêts financiers. Ou des intérêts du gouvernement.

Il est évident qu’un référendum dont le résultat donnerait par exemple à propos de la politique sociale et au-delà économique du gouvernement un résultat de 70 % contre et seulement 30 % pour( évaluation de certains organismes de sondage) bouleverserait profondément le paysage démocratique et les hiérarchies établies dans le monde politique, économique et médiatique.

On se demande de quelle légitimités peuvent se prévaloir ses éditorialistes qui participent tous les soirs à ces tables rondes des télés d’information pour parler sans compétence de tout et de rien. Un jour de la crise sanitaire, le lendemain de la Défense nationale, le surlendemain de l’école, de la sécurité et du développement économique. En fait il répète tous avec quelques nuances le discours superficiel ambiant dans les salons parisiens. Une sorte d’avant-goût du GPT qui va supprimer ces médiateurs partiaux.

Dans la crise démocratique il y a aussi cette crise médiatique où les journalistes pour la plupart sont clairement du côté du pouvoir et derrière la finance qui les rémunère.

Parlement européen : des politiques shootés à la corruption

Parlement européen : des politiques shootés à la corruption

La corruption et les conflits d’intérêts sont en quelque sorte consubstantiels à la politique en l’état du fonctionnement de la démocratie.

En effet pour être élu, il convient en général d’être soutenu par des finançeurs et en retour d’ascenseur le responsable politique doit se montrer bienveillant pour les intérêts de ceux qui l’ont aidé. Le temps des campagnes politiques qui se limitait surtout à la distribution de tracts sur les marchés, aux démarches des militants, est largement terminé. Aujourd’hui il faut une stratégie de communication avec des experts évidemment rémunérés et des coûts considérables pour les supports médiatiques.

Certes on visite toujours les marchés et autres lieux fréquentés mais cela est organisé avec présence des caméras et des journalistes. Bref, de plus en plus des campagnes à l’américaine. Certes la corruption n’est pas générale mais on en retrouve des traces un peu partout et à tous les nouveaux des élections. Au plan national bien sûr, au plan international et même local. Une corruption qui peut d’ailleurs être parfaitement légale avec le cumul de rémunérations. Exemple un maire qui en plus de sa rémunération touchera environ 10 000 € par mois comme vice-président d’une communauté de communes où il met rarement les pieds. Exemple encore, un maire délégué d’une commune de 250 habitants qui touchent 900 € par mois strictement sans rien faire. On pourrait multiplier les exemples. Et l’affaire de la corruption au Parlement européen n’est guère surprenante.

Le Parlement européen est en effet éclaboussé par une énorme affaire de corruption impliquant notamment une vice-présidente qui vient d’être arrêtée. Cette dernière a été prise la main dans le sac, la police aurait retrouvé 600 000 € ! Le problème est que cette corruption prend des formes diverses et que d’une certaine façon elle participe de la régulation des orientations européennes. Ainsi environ 25 000 lobbyistes opèrent en permanence pour influencer le Parlement européen et la commission européenne. Évidemment ce sont les intérêts les plus importants qui sont représentés.

Ce lobbying reconnu et même officialisé constitue une sorte de scandale. Certes des contacts entre des responsables politiques et des organisations sont nécessaires mais pas de manière aussi permanente, pressante et surtout douteuse.

Tout commence en général par des contacts classiques dans un bureau, puis des rencontres dans des restaurants de luxe, des invitations pour des voyages, des cadeaux et même de l’argent. Or les lobbyistes sont au service d’intérêts professionnels mais aussi de courants politiques et même d’États en particulier le Qatar impliqué dans cette affaire mais aussi d’autres pays comme par exemple la Russie, d’autres pays arabes ou la Chine. Selon l’agence AFP, au moins trois autres suspects arrêtés sont italiens ou d’origine italienne, dont l’ancien eurodéputé Pier-Antonio Panzeri, le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI) Luca Visentini, ainsi que Francesco Giorgi, un assistant parlementaire et le compagnon d’Eva Kaili. En cause le lobbying cette fois du Qatar.

Le Parlement européen et la commission européenne sont travaillés par des milliers d’organisations de lobbying.Des organisations qui apporteraient une aide « technique »pour mettre au point les textes réglementaires européens. Mais beaucoup vont beaucoup plus loin . clairement utilisent les moyens de la corruption pour convaincre fonctionnaires et élus européens. Tout commence souvent par un rendez-vous dans un lieu de luxe, puis la proposition d’un voyage, la fourniture de cadeaux et enfin d’argent.

Les enjeux sociaux et politiques de la crise

Carburant : Les enjeux sociaux et politiques de la crise

La réquisition sans doute un peu tardive par le gouvernement vise évidemment d’abord à faire face au manque de carburant dans une grande partie de la France. Mais il y a en dessous aussi des enjeux sociaux , syndicaux et politiques ( Sans parler des enjeux économiques alors que la France est un quasi récession depuis l’automne)

Côté enjeux politiques, on voit difficilement la grève se terminer chez Total avant la manifestation contre la vie chère de Mélenchon et la grève générale de la CGT mardi.. Du coup, le gouvernement craint la contamination.

Notons que la confédération CGT, elle, n’a pas appelé à rejoindre cette manifestation organisée par Mélenchon. Les autres confédérations non plus afin d’éviter des confusions de rôles entre politiques et syndicats.

Il est probable cependant que des membres de la fédération CGT des industries chimiques notamment des responsables de Total seront présents à cette manifestation. Une fédération traditionnellement radicale par rapport à la confédération et longtemps proche du parti communiste.

Concernant la grève générale de la CGT mardi retrouvera comme d’habitude les syndicats gauchistes

Dans cette affaire de carburant se joue également une concurrence entre syndicats réformistes et syndicats révolutionnaires en tout cas très radicaux et/ou très corporatistes.

Enfin il faut prendre en compte le fait de la proximité du congrès de la CGT qui va procéder au remplacement de Martinez et dans la coulisse l’affrontement de la ligne réaliste face
à la ligne plus radicale comme la fédération CGT ds industries chimiques qui couvre l’activité carburant.

La Première ministre a justifié cette différence de traitement entre Total et Esso par le fait qu’un accord majoritaire, signé par la CFE-CGC et la CFDT, avait été trouvé sur les salaires chez Esso-ExxonMobil. « Une partie des organisations, malgré cet accord, veut poursuivre le mouvement et continuer le blocage, nous ne pouvons pas l’accepter », a souligné la cheffe du gouvernement.
« Le dialogue social, c’est avancer, dès lors qu’une majorité s’est dégagée. Ce ne sont pas des accords a minima. Les annonces de la direction sont significatives. Dès lors, j’ai demandé aux préfets d’engager, comme le permet la loi, la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts de cette entreprise », a-t-elle ajouté.

La première ministre aura doute la même analyse après l’accord passé le 14 octobre 1022 entre Total, la CFDT et la CGC ( majoritaires chez Total).
Le gouvernement souhaite donc laisser sa chance à la négociation, « A défaut, le gouvernement agira là-encore pour débloquer la situation », a-t-elle toutefois prévenu.

Il y a de toute évidence une politisation du climat social d’une part par la CGT, d’autre part par le parti de Mélenchon. Une politisation facilité par l’absence de stratégie du gouvernement non seulement vis-à-vis de la crise du carburant mais surtout vis-à-vis de l’inflation qui grignote le pouvoir d’achat.

Jusque-là le gouvernement a refusé de taxe sur les superprofits réalisés surtout dans le pétrole par la spéculation. Mais parallèlement il n’a pas su non plus impulser une négociation entre partenaires sociaux pour favoriser le rattrapage de salaires sur l’inflation.

Il y a donc une certaine légitimité à revendiquer chez les salariés. Avec cependant des risques de chienlit dans le pays du faite de l’instrumentalisation par l’ultra gauche de la problématique sociale, transformée en problématique politique. La responsabilité en incombe au gouvernement, au patronat et à l’ultra gauche.

Crise de l’électricité : conséquence des choix politiques

Crise de l’électricité : conséquence des choix politiques

 Si le gouvernement multiplie les annonces rassurantes face à la crise énergétique, son discours masque mal le fait que la situation actuelle résulte d’abord de choix qui ont été faits durant les dix dernières années. Et la crise ukrainienne aura servi de révélateur de l’absence d’une vision de long terme de notre politique énergétique. Par Didier Julienne, Président de Commodities & Resources (*). ( la Tribune)

 

Ce n’est pas bien, paraît-il, de remuer le passé politique pour parler d’erreurs fatales, surtout s’il est proche. Ce n’est pas bien parce que ce n’est pas positif, pas constructif, cela impose l’humilité aux responsables et n’apporte rien aux éventuelles solutions. Bref, c’est une perte de temps.

En effet, à quoi cela sert-il de répéter que l’électricité française est plantée à cause des deux derniers mandats présidentiels qui ont décidé des choses sans intelligence ni compétences et sans prévoir l’incroyable ? C’est une grave faute politique et non pas un accident industriel.

À quoi cela sert-il d’écrire encore et toujours que ramener la part de l’électricité nucléaire à 50 %, fermer Fessenheim, abandonner Astrid, sans solution opérationnelle fiable ? Le fruit subtil du déclassement PISA dirait : c’était « déconner grave ».

Il n’y a qu’à constater la tragédie industrielle allemande pour s’en rendre compte. Où sera la solution miracle des renouvelables allemands cet hiver ? Dans le charbon ! Alors que l’on dit, à la mode d’un général Tapioca qui se défausserait sur ses guérilleros, que les coupables sont EDF, ou les deux producteurs d’électricité allemands, Uniper en faillite et RWE. La France vaut mieux que cela. Si le bilan énergétique d’Angela Merkel est questionné, qui questionne celui de Paris ?

À quoi cela sert-il de rappeler que la communication performative ne fonctionne pas, ni dans l’industrie ni dans l’énergie? La communication performative est utilisée par le maire d’une commune pour que le couple qui se présente devant lui passe du statut de deux célibataires à celui d’un couple marié. Elle provoque ce changement immédiat.

La communication en imitation de la performative est la cause d’une France en charge mentale excessive, psychologiquement plantée et peut être ex abruto électriquement plantée cet hiver. Cette communication ne donne en effet aucun électron supplémentaire lorsque l’on décide de la construction future de nouveaux réacteurs, sans pour autant annuler en plein crise de souveraineté la fermeture des centrales actuelles qui sont efficaces, non dangereuses et rentables, comme l’était Fessenheim. L’énergie c’est le temps long, il ne faut jamais se tromper.

À quoi cela sert-il de répéter que grâce à un esprit transgressif le régime de l’Arenh qui tue EDF aurait dû être aboli depuis longtemps au lieu de le consolider par le décret du 11 mars 2022 ? Sinon à quoi sert-il d’avoir un esprit transgressif ?

À quoi cela sert-il de répéter que la gazoduc Midcat reliant l’Espagne à l’Europe du Nord est utile, car l’Espagne a des capacités de GNL inusitées ? Refuser cette redondance de sécurité pour le long terme est de la même impréparation vis-à-vis de l’impensable que la fermeture de centrales nucléaires sans une alternative fiable.

À quoi cela sert-il de rappeler que l’arrêt des réacteurs du programme Astrid était une bêtise, car il démobilise les chercheurs qui chercheront autre chose autre part ? Alors que ce type de réacteurs, qui brûle les déchets des centrales actuelles, est la pièce manquante à l’économie circulaire du nucléaire. Il assurera une électricité sans limites pendant au moins 2000 ans à toute l’Europe, puisqu’ils sont le cercle vertueux brûlant les déchets entreposés dans toutes les piscines de refroidissement disposées sur notre continent européens ; sans plus jamais d’uranium minier. De plus, pour appuyer là où cela fait mal, la Russie construit déjà un tel réacteur de nouvelle génération, il sera opérationnel en 2026.

Et puis il y a les causes diverses.

À quoi cela sert-il de répéter qu’au lieu d’interdire le stationnement de scooters à Paris, un décret devrait obliger l’installation de panneaux solaires sur toutes les toitures et façades d’immeubles ; et au lieu de subventionner les éoliennes, payons massivement la disparition des chaudières au fioul ?

À quoi sert-il de démasquer des « happy few » qui ont bénéficié de la désindustrialisation française ? À révéler une forme de décadence industrielle !

À quoi bon parler du complot « des métaux rares » et de la corruption qui le paye pour contrer l’incontestable progrès qu’est la voiture électrique ? Et pour en revenir au plantage électrique français, à quoi bon répéter qu’Areva a perdu la boule parce qu’il a tout simplement été géré par des incompétences qui comparaient l’entreprise à une cafetière Nespresso ; l’affaire Uramin, qui n’est pas encore jugée, en présente tous les symptômes.

Cet aggiornamento sert à parler vrai, juste quelques secondes, pour tuer le cynisme à la mode dans notre pays et nous redonner l’envie du courage, parce que combien de Françaises et de Français se battraient pour défendre la France ; à la manière héroïque des Ukrainiennes et des Ukrainiens ?

——

(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux.

Pas de démocratie sans évaluation des politiques publiques

Pas de démocratie sans évaluation des  politiques publiques 

Les études visant à mesurer l’impact réel d’une loi à partir de données et de méthodes scientifiques sont toujours plus fréquentes, relève le politiste Adam Baïz, Economiste (PhD) et enseignant à Sciences Po, qui souligne, dans une tribune au « Monde », leur importance pour le débat démocratique.

 

Un point de vue intéressant sur un sujet médiatiquement très peu abordé pourtant essentiel pour la démocratie. Reste qu’il manque le deuxième volet important : l’évaluation d’une politique publique après sa mise en œuvre  voire out au long de son application. L’absence d’évaluation ouvre en effet la porte à toutes les démagogies. NDLR

Evaluer une politique publique, c’est porter une appréciation sur son impact, à partir de données et de méthodes scientifiques. Il peut s’agir d’évaluer l’impact d’une campagne de vaccination sur la santé publique, l’impact d’une réforme fiscale sur le pouvoir d’achat, ou encore l’impact du dédoublement des classes sur le niveau scolaire des élèves.

L’évaluation des politiques publiques a véritablement démarré en France dans les années 2000, soit quarante ans après les Etats-Unis. Elle se développe rapidement. Mais sert-elle vraiment à éclairer la décision politique ?

Afin d’en juger, nous avons étudié (« Quelles évaluations des politiques publiques pour quelles utilisations ? », Adam Baïz et al., France Stratégie, juin 2022) 262 lois votées entre 2008 et 2020, dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation, les finances ou encore la sécurité. Et nous avons cherché à savoir si le Parlement et le gouvernement mobilisent vraiment les évaluations de politique publique en amont et en aval du vote de la loi

En amont du vote de la loi, le Parlement et dans une moindre mesure le gouvernement mobilisent bel et bien un nombre croissant d’évaluations de politique publique. Pour chaque loi, ils citent huit évaluations en 2008, et près de 25 en 2020. Il s’agit pour l’essentiel de rapports d’institutions publiques (Insee, ministères, Cour des comptes, etc.), de rapports parlementaires et de rapports d’experts et de chercheurs.

Ces rapports éclairent diversement les débats parlementaires, en fournissant de l’expertise sur des politiques comparables, des retours du terrain ou encore des expériences internationales. Rares sont les lois pour lesquelles aucune évaluation n’est citée ; à l’inverse pour certaines lois, comme la loi d’orientation des mobilités de 2019, plus de 100 évaluations sont citées dans les débats parlementaires.

Inflation : politiques gouvernementales insignifiantes

Inflation : l’insignifiance des politiques gouvernementales

 

 Contrairement à ce qu’avait affirmé par exemple le ministre français des finances, on est loin encore du pic d’inflation. Une inflation qu’on croyait passagère mais qui va s’installer notamment en raison de la crise énergétique ( les prix de l’électricité par exemple pourraient doubler). Sur le front de la lutte pour juguler la hausse généralisée des prix aux Etats-Unis et en Europe, les gouvernements se déchargent de leurs responsabilités sur les banques centrales. Mais c’est oublier que cette lutte contre l’inflation a également une composante budgétaire. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l’ESSEC. (la Tribune)

 

L’inflation continue de déferler sur l’ensemble de la planète et l’Europe n’y échappe pas. L’inflation dans la zone euro se situe à 8,9% en juillet 2022 contre 2,2% en juillet 2021. La Belgique, l’Espagne, la Grèce et les Pays-Bas ont dépassé les 10% tout comme le Royaume-Unis et l’OCDE dans son ensemble (10,3%), la France faisant figure d’exception avec ses 6,8%. Seul le Japon (2,2%) et dans une moindre mesure la Suisse (3,4%) semblent y échapper pour l’instant.

Le choc sur le pouvoir d’achat des ménages génère une forte pression populaire sur les dirigeants politiques qui, sans surprise, se défaussent en cherchant des boucs émissaires et des justifications tout en dénonçant le nouveau fléau. Toute honte bue, le président des États-Unis Joe Biden explique que l’inflation est le prix à payer pour le retour rapide au plein-emploi alors que les dirigeants européens affirment que c’est le prix à payer pour le combat contre l’invasion russe. Il n’y a plus de place dans la nouvelle vulgate pour le « quoi qu’il en coûte » contre le fléau du Covid.

Peu désireux d’assumer ni leur part de responsabilité, ni le coût politique d’une politique anti-inflationniste sérieuse, les dirigeants politiques laissent la responsabilité de la politique anti-inflationniste aux banques centrales arguant que la stabilité des prix est de leur ressort, ce qui n’est que partiellement vrai. La lutte contre l’inflation a une composante budgétaire relevant du gouvernement et une composante monétaire relevant de la banque centrale, les deux étant censées se compléter.

Les gouvernements étant aux abonnés absents, la lutte contre l’inflation repose actuellement entièrement sur la composante monétaire. Celle-ci passe essentiellement par la hausse des taux d’intérêt directeurs, chaque banque centrale ayant son taux d’intervention spécifique. Aux États-Unis, il s’agit essentiellement du taux de rémunération des réserves bancaires (depuis 2008). Il y a trois taux d’intervention dans la zone euro le plus important étant le taux auquel la BCE prête des liquidités aux banques commerciales pour une très courte durée. Pour longtemps à zéro, il vient d’être augmenté à 0.50% en juillet. Le taux de rémunération des réserves, négatif depuis 2014, a été enfin remis à zéro par la même décision. Partout dans le monde, les taux devraient passer de zéro en décembre 2021 à plus de 2% en décembre 2022, par des hausses successives et par paliers. La vitesse élevée d’augmentation des taux révèle le retard pris par les Banques centrales dans la prise en compte du danger inflationniste.

L’inflation actuelle s’explique essentiellement par l’écart entre la production potentielle – ce que le secteur productif peut réaliser en utilisant au mieux les ressources disponibles – et la demande globale. Pour lutter contre l’inflation actuelle, il faut que la demande globale soit inférieure à la production potentielle pour un certain temps. L’une des deux faces du problème, outre la demande gonflée artificiellement par les politiques de relance Covid, est que la production potentielle demeure affectée par le dysfonctionnement de l’économie chinoise, les tensions géopolitiques, la guerre en Ukraine et les conséquences à long terme de la crise sanitaire. La hausse des taux d’intérêt devrait réduire toutes les dépenses financées par emprunt, essentiellement l’investissement. Si sur le papier, le ralentissement de l’investissement va bien ralentir la demande globale et donc réduire l’inflation, il nous semble néanmoins absurde de freiner l’investissement productif dans la période actuelle. Il serait plus approprié de s’attaquer aux autres composantes de la demande globale en modérant directement les dépenses publiques et en ralentissant la consommation des ménages via une augmentation des impôts ou une augmentation de la TVA. Sans surprise, les gouvernements n’ont aucune intention de risquer leur capital électoral avec des mesures nécessaires mais impopulaires.

L’absence de mesure anti-inflationniste de la part des gouvernements provient également d’un calcul cynique des bienfaits d’une inflation de court terme qui reviendrait en quelques années à son niveau initial par la seule action des banques centrales. Le premier est la baisse automatique du poids de la dette du fait de l’augmentation du revenu national due à l’inflation. Toutefois cette diminution ne va pas être spectaculaire car une partie de la dette a ses taux d’intérêts indexés sur l’inflation (12% en France), et les dettes nouvelles seront émises à des taux plus importants. Pour que cette petite entourloupe fonctionne, il faut que les taux de long terme n’augmentent pas trop vite. Pour cela il faut faire croire aux investisseurs que l’inflation redescendra très vite vers les 2%. Ce message est martelé par les officiels de la BCE et de la Fed, sans grande base empirique à notre avis.

Baisse des salaires réels dans le sud de l’Europe

Enfin, pour les pays du sud de l’Europe (France incluse), cette augmentation rapide et non anticipée de l’inflation a l’immense et cynique avantage de faire (enfin) baisser les salaires réels. Pendant des années, les pays du sud de la zone euro fonctionnaient avec des taux de chômage structurels très élevés et une compétitivité à l’export dégradée, causés par un coût du travail – salaires et taxes sur le travail – extrêmement élevé, comparé à la productivité, notamment pour les travailleurs faiblement qualifiés. Quand elles ne sortaient pas du marché tout simplement, les entreprises préféraient délocaliser ou investir en technologie pour remplacer le travail. L’inflation actuelle devient l’outil magique pour éroder les salaires et repousser la réforme du marché du travail aux calendes grecques. Au premier trimestre 2022 les salaires et traitements n’ont augmenté que de 3,3% dans la zone euro comparé au premier trimestre 2021 alors que l’inflation était déjà à 7,4% en mars 2022. Si aux États-Unis ou au Royaume-Uni, ce mécanisme est facteur d’inquiétude, car le marché du travail est déjà très tendu (taux de chômage respectivement à 3,5% et 3,8% en juillet), en France et autres pays du Sud la diminution du chômage est une bonne nouvelle. En juin 2022, le taux de chômage de la zone euro était de 6,6%, comparée à 7,9% en juin 2021 (Données Eurostat). En France, il est tombé de 8,1% à 7,2% sur la même période. Ces taux de chômage ne dépassent plus les 8% qu’en Italie, Grèce et Espagne, mais sont en baisse aussi dans ces pays.

Emmanuel Macron a promis un retour au plein emploi en France pour la fin du quinquennat. Cela reste possible puisque, pour l’instant, les salaires augmentent moins vite que les prix ce qui fait diminuer le salaire réel et soutient la demande de travail. Cette dynamique est toutefois fragile. Le SMIC est déjà indexé sur un taux d’inflation (subie par les ménages les plus modestes). Si lors des prochaines négociations salariales, les syndicats obtiennent une compensation de l’inflation, ce sera la fin de ce mécanisme anti-chômage. Le gouvernement devra alors faire face au carré maléfique inflation-chômage-récession-déséquilibre extérieur et ne pourra plus esquiver un tour de vis budgétaire. Pour la réforme du marché du travail, il faudra vraisemblablement attendre la prochaine reprise mondiale.

Les politiques climatiques victimes de Poutine

Les politiques climatiques victimes  de Poutine 

 

Les sanctions contre la Russie ont un impact sur la politique climatique de Vladimir Poutine mais aussi sur la science du climat nationale. Par Katja Doose, University of Fribourg et Alexander Vorbrugg, Universide Berne

 

Alors que l’Union européenne vient de conclure un accord sur l’embargo du pétrole russe, l’impact des sanctions liées à la guerre sur la transition énergétique de l’Europe et sur les efforts de décarbonation du monde est intensément discuté.

Mais les sanctions ont également de fortes implications pour la transition écologique de la Russie, déjà lente et plutôt incertaine, qu’il s’agisse de la modernisation de son secteur énergétique ou de la science du climat. Ce que la Russie fait ou ne fait pas a une importance certaine pour le reste d’entre nous : la onzième économie mondiale est également le quatrième plus grand émetteur de gaz à effet de serre, le deuxième plus grand exportateur de pétrole brut, et le plus grand exportateur de gaz. L’économie russe est fortement tributaire de l’exploitation des industries à forte intensité énergétique et des énergies fossiles, le pétrole et le gaz représentant à eux seuls 35-40 % des recettes du budget fédéral ces dernières années. Les hydrocarbures alimentent la richesse et le pouvoir de l’élite russe, mais sont également présentés comme une source de sécurité énergétique et de bien-être pour les citoyens russes.

Jusqu’à récemment, la Russie a longtemps été considérée comme un pays dont la position dans les négociations internationales sur le climat est peu reluisante ; au mieux, elle est un acteur passif, au pire un saboteur actif des ambitions internationales. Toutefois, les choses ont changé ces dernières années, notamment à partir de novembre 2021, lorsque son gouvernement a adopté une loi-cadre sur le climat avec un objectif de zéro émission nette d’ici 2060. L’année 2021 seule a également vu l’introduction d’un système de déclaration des émissions de gaz à effet de serre pour les grands émetteurs, l’adoption de son premier plan national d’adaptation au climat et le lancement d’une expérience d’échange de carbone dans sa région éloignée d’Extrême-Orient visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2025.

Certains diront que l’impulsion de ces initiatives vient de l’extérieur du pays. Par exemple, dans le cadre du paquet « Green Deal » de l’Union européenne, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) doit imposer un prix du carbone sur les importations entrant sur le marché unique européen en provenance de pays non membres de l’UE, comme la Russie, à partir de 2026. Ce tarif frontalier, qui permettrait de couvrir les importations par une tarification du carbone équivalente à celle du marché européen (le système d’échange de quotas d’émission), a été crédité pour avoir incité le gouvernement et l’industrie russes à prendre enfin le changement climatique au sérieux.

Cependant, pour chaque jour de guerre qui passe, ces incitations extérieures perdent encore de leur force, rendant la politique climatique interne de la Russie plus incertaine que jamais.

D’une part, il serait incorrect de dire qu’il ne reste rien de la politique climatique russe. En réalité, les programmes politiques et les stratégies commerciales « vertes » d’aujourd’hui ne dépendent pas entièrement de la pression étrangère. Bien que le parlement russe, la Douma, ait débattu de la sortie de l’Accord de Paris en mai 2022, la volonté politique de le maintenir demeure. Le président de la commission de l’écologie, des ressources naturelles et de la protection de l’environnement de la Douma, Viatcheslav Fetisov, a par exemple déclaré :

« La Russie n’a pas l’intention de se retirer de l’Accord de Paris sur le climat et ne va pas renoncer à la mise en œuvre du plus important instrument juridique international en matière d’environnement. »

Les agences d’État, les entreprises, les groupes de réflexion et autres institutions qui ont développé des stratégies « vertes » au cours des dernières années insistent sur leur pertinence durable pour la lutte mondiale contre le changement climatique, mais aussi les impacts climatiques sur la Russie et les perspectives commerciales futures. Le responsable du programme climat du WWF Russie, Alexeï Kokorine, a même exprimé son optimisme quant au fait que les excédents de gaz liés aux sanctions pourraient être utilisés pour remplacer le charbon du pays et de ce fait, permettre aux émissions de gaz à effet de serre du pays de baisser.

Pourtant, il est indéniable que la crise économique, les sanctions et le renforcement de la rhétorique anti-occidentale engendrée par la guerre ont rendu plus difficile la poursuite les objectifs de décarbonation. Les politiciens et les lobbyistes qui s’étaient déjà opposés aux efforts climatiques ont saisi l’occasion pour demander le retrait de l’accord de Paris.

De nombreuses entreprises profitent de la situation pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il réduise la réglementation environnementale dans le but de les aider à faire face à des circonstances économiques plus difficiles, des projets de loi récents allant déjà dans ce sens. Plus précisément, le gouvernement s’est récemment entretenu auprès des entreprises du secteur de l’énergie sur la possibilité d’assouplir la déclaration et la vérification des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, l’un des plus grands fournisseurs de pétrole du pays, Lukoil, a fait pression sur le gouvernement pour qu’il supprime une législation obligeant les grandes entreprises énergétiques à vérifier leurs rapports sur les émissions de gaz à effet de serre auprès d’une société indépendante à partir du 1er janvier 2023.

Les restrictions sur l’importation de technologies, la diminution des sources de capitaux étrangers et le gel des programmes internationaux ont encore freiné les plans de modernisation des vieilles industries du pays. Le jeune secteur russe des énergies renouvelables a également été touché, certains investisseurs internationaux (dont Vestas, Fortum et ENEL) interrompent leurs projets en Russie ou se retirent même complètement du pays.

Cette situation a incité les politiciens, les hommes d’affaires et les scientifiques à discuter des alternatives aux technologies étrangères et des options nationales pour financer la transition énergétique.

En outre, les sanctions ont fait payer un lourd tribut à la science du climat en Russie, ce qui pose problème tant à ceux qui mettent en œuvre des mesures concrètes de décarbonation en Russie qu’à la communauté scientifique mondiale. Cette situation est particulièrement choquante par rapport à d’autres exemples dans l’histoire de la Russie où les scientifiques ont réussi à surmonter les tensions politiques avec l’Occident. Malgré la guerre froide, les climatologues sont parvenus à faire progresser la science du climat mondiale dans le cadre de l’accord environnemental conclu en 1972 entre les États-Unis et l’URSS, permettant l’échange de données, d’équipements et de publications conjointes.

En revanche, les gouvernements et les organismes scientifiques du monde entier ont désormais sanctionné les institutions de recherche russes. Entre-temps, l’UE a suspendu la participation de la Russie à son programme de recherche phare Horizon Europe et les conseils nationaux de recherche de plusieurs États européens ont mis en pause les collaborations avec la Russie.

Les domaines de recherche qui dépendent des équipements étrangers sont particulièrement touchés. Par exemple, l’Institut Max Planck (MPI) en Allemagne a reçu une liste de 64 pages contenant des appareils électroniques que l’UE interdit aux scientifiques de partager avec leurs collègues russes au motif qu’ils pourraient être utilisés à des fins militaires. Début février, le gouvernement russe a annoncé (au moment de la rédaction de cet article, environ 92 millions de dollars) dans la recherche sur le climat et la décarbonation, et créer un système russe de suivi des émissions de carbone.

Cependant, Alexandre Tchernokoulski, un climatologue de l’Institut de physique atmosphérique à l’Académie des Sciences russe, nous a dit que le futur du projet demeure incertain en l’absence de cet équipement étranger. De la même manière, depuis plusieurs années, des scientifiques russes et allemands mesurent les changements de concentration de CO2 dans l’atmosphère depuis l’observatoire ZOTTO, situé dans une grande tour de la région de Krasnoïarsk, dans le sud-ouest de la Sibérie.

Cette région est considérée comme un endroit sensible en vertu de son potentiel de stockage – et par conséquent, fuite – de grandes quantités de carbone. Là encore, lors d’un échange d’e-mails, la scientifique du MPI Sönke Zaehle a mis en garde quant au futur de la station dans un avenir relativement proche, dû au manque d’entretien du côté germanique.

La recherche dans la zone arctique est cruciale afin de comprendre le changement climatique. Ici aussi, au moins une douzaine de collaborations internationales avec la Russie ont été retardées. La maintenance des systèmes de mesure à long terme, cruciaux pour la modélisation des changements climatiques, pose des problèmes particuliers. « Il y a cette crainte d’un angle mort, quel que soit le sujet de recherche dans l’Arctique que vous abordez, » nous a confié Anne Morgenstern, coordinatrice de la coopération scientifique de l’Institut allemand Alfred Wegener avec la Russie.

Les climatologues russes ont également perdu l’accès au Climate Data Store, qui fournit un point d’accès unique à un large éventail de données climatiques pour les climats passés, présents et futurs, notamment des observations par satellite, des mesures in situ, des projections de modèles climatiques et des prévisions saisonnières. Ils ne peuvent plus non plus accéder aux superordinateurs basés dans d’autres pays, et le départ d’entreprises technologiques telles que Intel entraînera à terme une détérioration des capacités de calcul en général, selon Evguéni Volodine, modélisateur climatique à l’Institut de mathématiques computationnelles de l’Académie des Sciences de Russie.

Les préoccupations environnementales risquent d’être mises de côté en temps de guerre. Cependant, à un moment de l’histoire du monde où les possibilités d’atténuer la catastrophe climatique s’amenuisent, nous pensons que subordonner les questions climatiques aux diktats et aux temporalités de la guerre n’est pas une option. Les tentatives d’arrêter la guerre doivent s’accompagner d’efforts pour faire avancer la coopération et l’action climatique transnationale, malgré les dommages et les dilemmes causés par la guerre de la Russie. Des objectifs climatiques internationaux ambitieux, y compris l’élimination progressive de la production de pétrole et de gaz aussi rapidement que possible, sont essentiels pour accroître la pression sur l’industrie des combustibles fossiles et la machine de guerre, et pour soutenir les forces qui, en Russie, s’accrochent encore à la décarbonation.

_______

Par Katja Doose, Senior researcher, University of Fribourg et Alexander Vorbrugg, Geographer, Université de Berne

Cet article a été écrit en collaboration avec Angelina Davydova, journaliste spécialisée dans l’environnement et le climat. Elle est actuellement membre du programme Media in Cooperation and Transition (MICT) basé à Berlin et coordinatrice de N-ost, un réseau de journalisme transfrontalier.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

Inflation : l’insignifiance des politiques gouvernementales

Inflation : l’insignifiance des politiques gouvernementales

 

 Sur le front de la lutte pour juguler la hausse généralisée des prix aux Etats-Unis et en Europe, les gouvernements se déchargent de leurs responsabilités sur les banques centrales. Mais c’est oublier que cette lutte contre l’inflation a également une composante budgétaire. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l’ESSEC. (la Tribune)

 

L’inflation continue de déferler sur l’ensemble de la planète et l’Europe n’y échappe pas. L’inflation dans la zone euro se situe à 8,9% en juillet 2022 contre 2,2% en juillet 2021. La Belgique, l’Espagne, la Grèce et les Pays-Bas ont dépassé les 10% tout comme le Royaume-Unis et l’OCDE dans son ensemble (10,3%), la France faisant figure d’exception avec ses 6,8%. Seul le Japon (2,2%) et dans une moindre mesure la Suisse (3,4%) semblent y échapper pour l’instant.

Le choc sur le pouvoir d’achat des ménages génère une forte pression populaire sur les dirigeants politiques qui, sans surprise, se défaussent en cherchant des boucs émissaires et des justifications tout en dénonçant le nouveau fléau. Toute honte bue, le président des États-Unis Joe Biden explique que l’inflation est le prix à payer pour le retour rapide au plein-emploi alors que les dirigeants européens affirment que c’est le prix à payer pour le combat contre l’invasion russe. Il n’y a plus de place dans la nouvelle vulgate pour le « quoi qu’il en coûte » contre le fléau du Covid.

Peu désireux d’assumer ni leur part de responsabilité, ni le coût politique d’une politique anti-inflationniste sérieuse, les dirigeants politiques laissent la responsabilité de la politique anti-inflationniste aux banques centrales arguant que la stabilité des prix est de leur ressort, ce qui n’est que partiellement vrai. La lutte contre l’inflation a une composante budgétaire relevant du gouvernement et une composante monétaire relevant de la banque centrale, les deux étant censées se compléter.

Les gouvernements étant aux abonnés absents, la lutte contre l’inflation repose actuellement entièrement sur la composante monétaire. Celle-ci passe essentiellement par la hausse des taux d’intérêt directeurs, chaque banque centrale ayant son taux d’intervention spécifique. Aux États-Unis, il s’agit essentiellement du taux de rémunération des réserves bancaires (depuis 2008). Il y a trois taux d’intervention dans la zone euro le plus important étant le taux auquel la BCE prête des liquidités aux banques commerciales pour une très courte durée. Pour longtemps à zéro, il vient d’être augmenté à 0.50% en juillet. Le taux de rémunération des réserves, négatif depuis 2014, a été enfin remis à zéro par la même décision. Partout dans le monde, les taux devraient passer de zéro en décembre 2021 à plus de 2% en décembre 2022, par des hausses successives et par paliers. La vitesse élevée d’augmentation des taux révèle le retard pris par les Banques centrales dans la prise en compte du danger inflationniste.

L’inflation actuelle s’explique essentiellement par l’écart entre la production potentielle – ce que le secteur productif peut réaliser en utilisant au mieux les ressources disponibles – et la demande globale. Pour lutter contre l’inflation actuelle, il faut que la demande globale soit inférieure à la production potentielle pour un certain temps. L’une des deux faces du problème, outre la demande gonflée artificiellement par les politiques de relance Covid, est que la production potentielle demeure affectée par le dysfonctionnement de l’économie chinoise, les tensions géopolitiques, la guerre en Ukraine et les conséquences à long terme de la crise sanitaire. La hausse des taux d’intérêt devrait réduire toutes les dépenses financées par emprunt, essentiellement l’investissement. Si sur le papier, le ralentissement de l’investissement va bien ralentir la demande globale et donc réduire l’inflation, il nous semble néanmoins absurde de freiner l’investissement productif dans la période actuelle. Il serait plus approprié de s’attaquer aux autres composantes de la demande globale en modérant directement les dépenses publiques et en ralentissant la consommation des ménages via une augmentation des impôts ou une augmentation de la TVA. Sans surprise, les gouvernements n’ont aucune intention de risquer leur capital électoral avec des mesures nécessaires mais impopulaires.

L’absence de mesure anti-inflationniste de la part des gouvernements provient également d’un calcul cynique des bienfaits d’une inflation de court terme qui reviendrait en quelques années à son niveau initial par la seule action des banques centrales. Le premier est la baisse automatique du poids de la dette du fait de l’augmentation du revenu national due à l’inflation. Toutefois cette diminution ne va pas être spectaculaire car une partie de la dette a ses taux d’intérêts indexés sur l’inflation (12% en France), et les dettes nouvelles seront émises à des taux plus importants. Pour que cette petite entourloupe fonctionne, il faut que les taux de long terme n’augmentent pas trop vite. Pour cela il faut faire croire aux investisseurs que l’inflation redescendra très vite vers les 2%. Ce message est martelé par les officiels de la BCE et de la Fed, sans grande base empirique à notre avis.

Baisse des salaires réels dans le sud de l’Europe

Enfin, pour les pays du sud de l’Europe (France incluse), cette augmentation rapide et non anticipée de l’inflation a l’immense et cynique avantage de faire (enfin) baisser les salaires réels. Pendant des années, les pays du sud de la zone euro fonctionnaient avec des taux de chômage structurels très élevés et une compétitivité à l’export dégradée, causés par un coût du travail – salaires et taxes sur le travail – extrêmement élevé, comparé à la productivité, notamment pour les travailleurs faiblement qualifiés. Quand elles ne sortaient pas du marché tout simplement, les entreprises préféraient délocaliser ou investir en technologie pour remplacer le travail. L’inflation actuelle devient l’outil magique pour éroder les salaires et repousser la réforme du marché du travail aux calendes grecques. Au premier trimestre 2022 les salaires et traitements n’ont augmenté que de 3,3% dans la zone euro comparé au premier trimestre 2021 alors que l’inflation était déjà à 7,4% en mars 2022. Si aux États-Unis ou au Royaume-Uni, ce mécanisme est facteur d’inquiétude, car le marché du travail est déjà très tendu (taux de chômage respectivement à 3,5% et 3,8% en juillet), en France et autres pays du Sud la diminution du chômage est une bonne nouvelle. En juin 2022, le taux de chômage de la zone euro était de 6,6%, comparée à 7,9% en juin 2021 (Données Eurostat). En France, il est tombé de 8,1% à 7,2% sur la même période. Ces taux de chômage ne dépassent plus les 8% qu’en Italie, Grèce et Espagne, mais sont en baisse aussi dans ces pays.

Emmanuel Macron a promis un retour au plein emploi en France pour la fin du quinquennat. Cela reste possible puisque, pour l’instant, les salaires augmentent moins vite que les prix ce qui fait diminuer le salaire réel et soutient la demande de travail. Cette dynamique est toutefois fragile. Le SMIC est déjà indexé sur un taux d’inflation (subie par les ménages les plus modestes). Si lors des prochaines négociations salariales, les syndicats obtiennent une compensation de l’inflation, ce sera la fin de ce mécanisme anti-chômage. Le gouvernement devra alors faire face au carré maléfique inflation-chômage-récession-déséquilibre extérieur et ne pourra plus esquiver un tour de vis budgétaire. Pour la réforme du marché du travail, il faudra vraisemblablement attendre la prochaine reprise mondiale.

Inflation : l’insignifiance des politiques

Inflation : l’insignifiance des politiques

 

 Sur le front de la lutte pour juguler la hausse généralisée des prix aux Etats-Unis et en Europe, les gouvernements se déchargent de leurs responsabilités sur les banques centrales. Mais c’est oublier que cette lutte contre l’inflation a également une composante budgétaire. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l’ESSEC. (la Tribune)

 

L’inflation continue de déferler sur l’ensemble de la planète et l’Europe n’y échappe pas. L’inflation dans la zone euro se situe à 8,9% en juillet 2022 contre 2,2% en juillet 2021. La Belgique, l’Espagne, la Grèce et les Pays-Bas ont dépassé les 10% tout comme le Royaume-Unis et l’OCDE dans son ensemble (10,3%), la France faisant figure d’exception avec ses 6,8%. Seul le Japon (2,2%) et dans une moindre mesure la Suisse (3,4%) semblent y échapper pour l’instant.

Le choc sur le pouvoir d’achat des ménages génère une forte pression populaire sur les dirigeants politiques qui, sans surprise, se défaussent en cherchant des boucs émissaires et des justifications tout en dénonçant le nouveau fléau. Toute honte bue, le président des États-Unis Joe Biden explique que l’inflation est le prix à payer pour le retour rapide au plein-emploi alors que les dirigeants européens affirment que c’est le prix à payer pour le combat contre l’invasion russe. Il n’y a plus de place dans la nouvelle vulgate pour le « quoi qu’il en coûte » contre le fléau du Covid.

Peu désireux d’assumer ni leur part de responsabilité, ni le coût politique d’une politique anti-inflationniste sérieuse, les dirigeants politiques laissent la responsabilité de la politique anti-inflationniste aux banques centrales arguant que la stabilité des prix est de leur ressort, ce qui n’est que partiellement vrai. La lutte contre l’inflation a une composante budgétaire relevant du gouvernement et une composante monétaire relevant de la banque centrale, les deux étant censées se compléter.

Les gouvernements étant aux abonnés absents, la lutte contre l’inflation repose actuellement entièrement sur la composante monétaire. Celle-ci passe essentiellement par la hausse des taux d’intérêt directeurs, chaque banque centrale ayant son taux d’intervention spécifique. Aux États-Unis, il s’agit essentiellement du taux de rémunération des réserves bancaires (depuis 2008). Il y a trois taux d’intervention dans la zone euro le plus important étant le taux auquel la BCE prête des liquidités aux banques commerciales pour une très courte durée. Pour longtemps à zéro, il vient d’être augmenté à 0.50% en juillet. Le taux de rémunération des réserves, négatif depuis 2014, a été enfin remis à zéro par la même décision. Partout dans le monde, les taux devraient passer de zéro en décembre 2021 à plus de 2% en décembre 2022, par des hausses successives et par paliers. La vitesse élevée d’augmentation des taux révèle le retard pris par les Banques centrales dans la prise en compte du danger inflationniste.

L’inflation actuelle s’explique essentiellement par l’écart entre la production potentielle – ce que le secteur productif peut réaliser en utilisant au mieux les ressources disponibles – et la demande globale. Pour lutter contre l’inflation actuelle, il faut que la demande globale soit inférieure à la production potentielle pour un certain temps. L’une des deux faces du problème, outre la demande gonflée artificiellement par les politiques de relance Covid, est que la production potentielle demeure affectée par le dysfonctionnement de l’économie chinoise, les tensions géopolitiques, la guerre en Ukraine et les conséquences à long terme de la crise sanitaire. La hausse des taux d’intérêt devrait réduire toutes les dépenses financées par emprunt, essentiellement l’investissement. Si sur le papier, le ralentissement de l’investissement va bien ralentir la demande globale et donc réduire l’inflation, il nous semble néanmoins absurde de freiner l’investissement productif dans la période actuelle. Il serait plus approprié de s’attaquer aux autres composantes de la demande globale en modérant directement les dépenses publiques et en ralentissant la consommation des ménages via une augmentation des impôts ou une augmentation de la TVA. Sans surprise, les gouvernements n’ont aucune intention de risquer leur capital électoral avec des mesures nécessaires mais impopulaires.

L’absence de mesure anti-inflationniste de la part des gouvernements provient également d’un calcul cynique des bienfaits d’une inflation de court terme qui reviendrait en quelques années à son niveau initial par la seule action des banques centrales. Le premier est la baisse automatique du poids de la dette du fait de l’augmentation du revenu national due à l’inflation. Toutefois cette diminution ne va pas être spectaculaire car une partie de la dette a ses taux d’intérêts indexés sur l’inflation (12% en France), et les dettes nouvelles seront émises à des taux plus importants. Pour que cette petite entourloupe fonctionne, il faut que les taux de long terme n’augmentent pas trop vite. Pour cela il faut faire croire aux investisseurs que l’inflation redescendra très vite vers les 2%. Ce message est martelé par les officiels de la BCE et de la Fed, sans grande base empirique à notre avis.

Baisse des salaires réels dans le sud de l’Europe

Enfin, pour les pays du sud de l’Europe (France incluse), cette augmentation rapide et non anticipée de l’inflation a l’immense et cynique avantage de faire (enfin) baisser les salaires réels. Pendant des années, les pays du sud de la zone euro fonctionnaient avec des taux de chômage structurels très élevés et une compétitivité à l’export dégradée, causés par un coût du travail – salaires et taxes sur le travail – extrêmement élevé, comparé à la productivité, notamment pour les travailleurs faiblement qualifiés. Quand elles ne sortaient pas du marché tout simplement, les entreprises préféraient délocaliser ou investir en technologie pour remplacer le travail. L’inflation actuelle devient l’outil magique pour éroder les salaires et repousser la réforme du marché du travail aux calendes grecques. Au premier trimestre 2022 les salaires et traitements n’ont augmenté que de 3,3% dans la zone euro comparé au premier trimestre 2021 alors que l’inflation était déjà à 7,4% en mars 2022. Si aux États-Unis ou au Royaume-Uni, ce mécanisme est facteur d’inquiétude, car le marché du travail est déjà très tendu (taux de chômage respectivement à 3,5% et 3,8% en juillet), en France et autres pays du Sud la diminution du chômage est une bonne nouvelle. En juin 2022, le taux de chômage de la zone euro était de 6,6%, comparée à 7,9% en juin 2021 (Données Eurostat). En France, il est tombé de 8,1% à 7,2% sur la même période. Ces taux de chômage ne dépassent plus les 8% qu’en Italie, Grèce et Espagne, mais sont en baisse aussi dans ces pays.

Emmanuel Macron a promis un retour au plein emploi en France pour la fin du quinquennat. Cela reste possible puisque, pour l’instant, les salaires augmentent moins vite que les prix ce qui fait diminuer le salaire réel et soutient la demande de travail. Cette dynamique est toutefois fragile. Le SMIC est déjà indexé sur un taux d’inflation (subie par les ménages les plus modestes). Si lors des prochaines négociations salariales, les syndicats obtiennent une compensation de l’inflation, ce sera la fin de ce mécanisme anti-chômage. Le gouvernement devra alors faire face au carré maléfique inflation-chômage-récession-déséquilibre extérieur et ne pourra plus esquiver un tour de vis budgétaire. Pour la réforme du marché du travail, il faudra vraisemblablement attendre la prochaine reprise mondiale.

Le rapport chimérique des politiques à la vérité

Le rapport chimérique  des politiques à la vérité

Par Luca Cortinovis,Doctorant, Université de Lille dans The Conversation 

Quel rapport les politiques entretiennent-ils à la vérité ? La question est vaste mais on peut entamer une amorce de réponse en revenant sur  l’« affaire Taha Bouhafs » qui a agité la dernière campagne des élections législatives.

Le 10 mai 2022, le « journaliste-militant », annonçait sur Twitter se retirer de la course à la députation dans la 14e circonscription du Rhône. Pour expliquer son retrait, il accusait alors un système fait pour « broyer », lui interdisant « d’exister politiquement ».

Il est vrai que les nombreuses polémiques entourant Taha Bouhafs avait fait le bonheur de ses détracteurs : accusations de communautarisme, d’antisémitisme, « exubérance » – lorsqu’on le voyait agiter un masque de Marine Le Pen au bout d’une pique dans une manifestation en 2016 –, rien ne manquait pour servir la propagande adverse.

À partir du 11 mai, le paradigme change. On apprend dans la presse qu’une enquête avait été ouverte quelques jours plus tôt par le comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de LFI contre l’ex-candidat, mis en cause par une femme l’accusant de violences sexuelles. La veille de son retrait, Taha Bouhafs est mis au courant de cette accusation. A-t-il été désinvesti à cause de cette plainte ? S’est-il retiré, comme il le dit dans son communiqué, à cause du racisme ambiant, ou alors pour étouffer l’affaire ?

Le 5 juillet, le jeune militant publie sur Twitter sa vérité : le 9 mai, on le pousse – par l’intermédiaire de la députée de la France insoumise Clémentine Autain – à se retirer en lui intimant de justifier cela par les attaques incessantes dont il fait l’objet depuis l’annonce de sa candidature. Il demande une procédure contradictoire pour se défendre de l’accusation de violences sexuelles ; on la lui refuse, car on serait obligé dans ce cas de l’exposer médiatiquement, ce qui ne va pas dans son « intérêt ». En somme, selon lui, on l’a incité à cacher la vérité car elle serait mauvaise pour tout le monde.

Si Clémentine Autain dément le jour même sur Twitter – ne répondant pas réellement aux points soulevés par Taha Bouhafs mais critiquant le rapport du système à la parole des femmes –, le mal est fait. Le tapis est soulevé, le scandale apparaît : peu importe la vérité effective, une formation politique a voulu manipuler les faits pour ne pas s’exposer, répondant ainsi à l’éternelle exigence politique de paraître plutôt que d’être. Le 8 mai, Clémentine Autain confirme à demi-mot, s’étonnant qu’il eût fallu dire simplement la vérité aux Français.

À tête reposée, lorsque nous sortons des arcanes de la vie politique, il apparaît aisé de critiquer et de se scandaliser devant les manœuvres politiciennes qui émaillent l’actualité. Un ministre se mettant à faire des vidéos sur TikTok, des députés refusant de serrer la main de certains collègues « infréquentables » ou encore un président acceptant un « concours d’anecdotes » avec deux célèbres youtubeurs, ce ne sont là que des exemples récents de l’immuabilité de cette nécessité politique : plaire, ou a minima conforter sa base.

Clémentine Autain, par cette petite phrase, ne fait qu’énoncer une réalité banale pour un acteur de la chose publique. Toute vérité est-elle bonne à dire ? Pas sûr. Le philosophe Blaise Pascal écrivait bien que « dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr », a fortiori lorsqu’on commence à gravir les marches du pouvoir.

Un prétendant aux responsabilités se doit donc d’œuvrer à ne se servir de la vérité qu’avec parcimonie, sous peine de se desservir. Ainsi, Clémentine Autain choque en faisant l’erreur de dire tout haut ce que le public sait tacitement : on lui vend des idées, une direction, mais aussi une image et un récit. Le politique dit ce qu’il doit dire pour obtenir et conserver le pouvoir. Il peut sincèrement se draper dans une vision vertueuse de son action, mais viendra obligatoirement le moment où les intérêts supérieurs de la chose publique vont lui imposer l’usage de l’illusion politique afin d’éclipser une vérité effective nuisible.

Si le politique se sent obligé d’agir de la sorte, c’est qu’il a conscience de l’émotionnalité et de l’affectivité des gouvernés. Il faut absolument parler à ses instincts, répondre à ses désirs, sonder ses attentes. En ce sens, le contrôle du message que l’on transmet est indispensable si l’on souhaite pouvoir façonner le cadre dans lequel les électeurs/sujets vont s’engager.

Le philosophe et sociologue Pierre Ansart énonce ainsi que la gestion des passions politiques par le contrôle des mots et des discours :

« Selon une intuition constante des gouvernants, il y a, en quelque sorte, un pouvoir des mots et le contrôle des mots constitue une forme de pouvoir et l’un de ses instruments. Il s’agit, en particulier, d’atteindre, à travers cet élément accessible, l’insaisissable des attitudes affectives ».

Dans notre cas d’espèce, le choix de la part de La France insoumise de motiver le retrait de Taha Bouhafs par la vague de racisme et d’acharnement médiatique à laquelle il est confronté, plutôt que d’énoncer ouvertement que l’accusation de violences sexuelles dont il fait l’objet est la cause principale de cette décision, est symptomatique de cette volonté de contrôle du message politique. Il est en effet bien plus « positif » pour le parti de Jean-Luc Mélenchon de dire que seules les discriminations sont à l’origine de cet échec ; ainsi, on montre à sa base que des moteurs de l’action politique pour lesquels elle s’est mise à soutenir le mouvement, à savoir l’antiracisme et la lutte contre l’islamophobie, ne sont pas des luttes vaines ou abouties.

Le politique se donne l’obligation de paraître pour plaire à ceux qu’il est amené à dominer. Dans la réalité de la chose publique, beaucoup considèrent que ce sont les sentiments, plus encore que les idées, qui animent le corps civil, le mettent en mouvement. En ce sens, il est bien plus aisé de manipuler l’opinion en créant une illusion politique plutôt que d’imposer une vision qui, même si elle est juste et va dans l’intérêt commun, pourrait faire figure de contrainte dans l’esprit des gouvernés.

Chaque époque a ses mœurs et son propre climat politique. La nôtre n’a, dans les jeux de pouvoir, qu’une violence symbolique : « Les mots sont des armes ». Il n’est plus acceptable de nos jours – hormis chez certains groupes radicalisés d’extrême droite ou parmi la mouvance antifasciste – que les affrontements politiques prennent la forme de lutte armée, de ratonnades ou d’intimidations.

Généralement, tout fait divers sur une agression de militant entraîne une condamnation quasi unanime de la scène politique – bien que cela soit à relativiser selon la nature partisane des militants agressés. Les hommes et femmes politiques ne se livrent bataille qu’au travers d’une guerre logorrhéique sans fin, le vainqueur étant celui qui parvient à capter l’attention médiatique le plus fréquemment. Aujourd’hui, l’acmé de l’immoralité politique est atteinte lorsqu’un élu se réclamant d’une probité sans faille se retrouve empêtré dans un scandale de corruption.

À l’époque de Machiavel, la réalité du quotidien est bien différente et le cynisme emprunte des voies ô combien plus tortueuses. Il ne s’agit plus simplement de manipuler l’opinion en substituant telle ou telle information, il faut infléchir la volonté des peuples par l’usage de méthodes beaucoup plus radicales.

L’un des exemples les plus célèbres date de la Renaissance et repose dans l’un des faits d’armes de César Borgia (1475-1507), fils de pape et aspirant tyran.

Machiavel nous conte cet événement dans le chapitre VII du Prince. Souhaitant pacifier les territoires de Romagne qu’il avait nouvellement acquis, Borgia plaça comme plénipotentiaire l’un de ses bras droits, Rimirro de Orco, avant de partir vers d’autres conquêtes. Connaissant la nature sadique et impitoyable de son lieutenant, il l’enjoignit à user de tous les moyens possibles pour soumettre cette population réputée indomptable. Rimirro ne se fit pas prier et administra « efficacement » la région, usant d’une violence non restreinte et se créant de fait de nombreux ennemis las de subir ses cruautés.

C’est dans cette configuration que revint son maître quelques mois plus tard. Voilà ce qui s’ensuivit : « Et puisque [César Borgia] savait que les rigueurs passées avaient engendré quelque haine à [l’égard de Rimirro], pour purger les esprits de ces peuples et les gagner tout à fait il voulut montrer que, si quelque cruauté s’était ensuivie, elle n’était pas née de lui, mais de la cruelle nature de son ministre. Et tirant occasion de cela, un matin, à Cesena, il le fit mettre en deux morceaux sur la place, avec un billot de bois et un couteau ensanglanté à côté de lui : la férocité de ce spectacle fit demeurer ces peuples en même temps satisfaits et stupéfaits ». Ce faisant, Borgia usa du monstre qu’il avait créé à son avantage. Il avait beau être la véritable cause des souffrances de son peuple, on ne vit finalement en lui que le bienfaiteur les ayant libérés de la poigne de fer du ministre. L’assassinat symbolique permit à son action politique de s’exercer avec une efficacité qu’il n’aurait pu avoir qu’à grand-peine sinon ; ce n’est pas pour rien qu’au moment de sa chute quelques années plus tard, et ce malgré son emprisonnement, les forteresses romagnoles lui restèrent fidèles jusqu’à l’extrême limite.

Demeure une volonté de plus en plus prégnante ces dernières années, l’aspiration des citoyens à une vie politique plus accessible, ou en tout cas moins opaque. C’est dans cette optique, par exemple, qu’a été créée en décembre 2013 la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, organe administratif chargé de contrôler le patrimoine et les éventuels conflits d’intérêts ou fraudes de responsables publics. Par ce biais, François Hollande répondait à une légitime aspiration du public, marquée notamment cette année-là par les ravages de l’affaire Cahuzac.

Plus récemment, au début de la pandémie en 2020, un autre scandale avait entouré les annonces du gouvernement concernant l’inutilité supposée des masques pour empêcher la propagation du virus. N’aurait-il pas été plus opportun de dire aux Français qu’il n’y en avait juste pas assez pour palier à la crise, au lieu d’affirmer par la voix du porte-parole du gouvernement qu’ils n’étaient pas nécessaires pour se protéger ? Tout le monde sait pourtant qu’on pardonne facilement à celui qui dévoile honnêtement ses carences ; bien plus qu’à celui qui se trouve devant les méfaits accomplis. Machiavel, dans ses Discours, rappelait cet axiome cicéronien : « Les peuples, quoiqu’ignorants, sont capables d’apprécier la vérité, et ils s’y rendent aisément quand elle leur est présentée par un homme qu’ils estiment digne de foi ». La confiance, ça se mérite.

Rapport des politiques à la vérité

Rapport des politiques à la vérité

Par Luca Cortinovis,Doctorant, Université de Lille dans the conversation 

Quel rapport les politiques entretiennent-ils à la vérité ? La question est vaste mais on peut entamer une amorce de réponse en revenant sur  l’« affaire Taha Bouhafs » qui a agité la dernière campagne des élections législatives.

Le 10 mai 2022, le « journaliste-militant », annonçait sur Twitter se retirer de la course à la députation dans la 14e circonscription du Rhône. Pour expliquer son retrait, il accusait alors un système fait pour « broyer », lui interdisant « d’exister politiquement ».

Il est vrai que les nombreuses polémiques entourant Taha Bouhafs avait fait le bonheur de ses détracteurs : accusations de communautarisme, d’antisémitisme, « exubérance » – lorsqu’on le voyait agiter un masque de Marine Le Pen au bout d’une pique dans une manifestation en 2016 –, rien ne manquait pour servir la propagande adverse.

À partir du 11 mai, le paradigme change. On apprend dans la presse qu’une enquête avait été ouverte quelques jours plus tôt par le comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de LFI contre l’ex-candidat, mis en cause par une femme l’accusant de violences sexuelles. La veille de son retrait, Taha Bouhafs est mis au courant de cette accusation. A-t-il été désinvesti à cause de cette plainte ? S’est-il retiré, comme il le dit dans son communiqué, à cause du racisme ambiant, ou alors pour étouffer l’affaire ?

Le 5 juillet, le jeune militant publie sur Twitter sa vérité : le 9 mai, on le pousse – par l’intermédiaire de la députée de la France insoumise Clémentine Autain – à se retirer en lui intimant de justifier cela par les attaques incessantes dont il fait l’objet depuis l’annonce de sa candidature. Il demande une procédure contradictoire pour se défendre de l’accusation de violences sexuelles ; on la lui refuse, car on serait obligé dans ce cas de l’exposer médiatiquement, ce qui ne va pas dans son « intérêt ». En somme, selon lui, on l’a incité à cacher la vérité car elle serait mauvaise pour tout le monde.

Si Clémentine Autain dément le jour même sur Twitter – ne répondant pas réellement aux points soulevés par Taha Bouhafs mais critiquant le rapport du système à la parole des femmes –, le mal est fait. Le tapis est soulevé, le scandale apparaît : peu importe la vérité effective, une formation politique a voulu manipuler les faits pour ne pas s’exposer, répondant ainsi à l’éternelle exigence politique de paraître plutôt que d’être. Le 8 mai, Clémentine Autain confirme à demi-mot, s’étonnant qu’il eût fallu dire simplement la vérité aux Français.

À tête reposée, lorsque nous sortons des arcanes de la vie politique, il apparaît aisé de critiquer et de se scandaliser devant les manœuvres politiciennes qui émaillent l’actualité. Un ministre se mettant à faire des vidéos sur TikTok, des députés refusant de serrer la main de certains collègues « infréquentables » ou encore un président acceptant un « concours d’anecdotes » avec deux célèbres youtubeurs, ce ne sont là que des exemples récents de l’immuabilité de cette nécessité politique : plaire, ou a minima conforter sa base.

Clémentine Autain, par cette petite phrase, ne fait qu’énoncer une réalité banale pour un acteur de la chose publique. Toute vérité est-elle bonne à dire ? Pas sûr. Le philosophe Blaise Pascal écrivait bien que « dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr », a fortiori lorsqu’on commence à gravir les marches du pouvoir.

Un prétendant aux responsabilités se doit donc d’œuvrer à ne se servir de la vérité qu’avec parcimonie, sous peine de se desservir. Ainsi, Clémentine Autain choque en faisant l’erreur de dire tout haut ce que le public sait tacitement : on lui vend des idées, une direction, mais aussi une image et un récit. Le politique dit ce qu’il doit dire pour obtenir et conserver le pouvoir. Il peut sincèrement se draper dans une vision vertueuse de son action, mais viendra obligatoirement le moment où les intérêts supérieurs de la chose publique vont lui imposer l’usage de l’illusion politique afin d’éclipser une vérité effective nuisible.

Si le politique se sent obligé d’agir de la sorte, c’est qu’il a conscience de l’émotionnalité et de l’affectivité des gouvernés. Il faut absolument parler à ses instincts, répondre à ses désirs, sonder ses attentes. En ce sens, le contrôle du message que l’on transmet est indispensable si l’on souhaite pouvoir façonner le cadre dans lequel les électeurs/sujets vont s’engager.

Le philosophe et sociologue Pierre Ansart énonce ainsi que la gestion des passions politiques par le contrôle des mots et des discours :

« Selon une intuition constante des gouvernants, il y a, en quelque sorte, un pouvoir des mots et le contrôle des mots constitue une forme de pouvoir et l’un de ses instruments. Il s’agit, en particulier, d’atteindre, à travers cet élément accessible, l’insaisissable des attitudes affectives ».

Dans notre cas d’espèce, le choix de la part de La France insoumise de motiver le retrait de Taha Bouhafs par la vague de racisme et d’acharnement médiatique à laquelle il est confronté, plutôt que d’énoncer ouvertement que l’accusation de violences sexuelles dont il fait l’objet est la cause principale de cette décision, est symptomatique de cette volonté de contrôle du message politique. Il est en effet bien plus « positif » pour le parti de Jean-Luc Mélenchon de dire que seules les discriminations sont à l’origine de cet échec ; ainsi, on montre à sa base que des moteurs de l’action politique pour lesquels elle s’est mise à soutenir le mouvement, à savoir l’antiracisme et la lutte contre l’islamophobie, ne sont pas des luttes vaines ou abouties.

Le politique se donne l’obligation de paraître pour plaire à ceux qu’il est amené à dominer. Dans la réalité de la chose publique, beaucoup considèrent que ce sont les sentiments, plus encore que les idées, qui animent le corps civil, le mettent en mouvement. En ce sens, il est bien plus aisé de manipuler l’opinion en créant une illusion politique plutôt que d’imposer une vision qui, même si elle est juste et va dans l’intérêt commun, pourrait faire figure de contrainte dans l’esprit des gouvernés.

Chaque époque a ses mœurs et son propre climat politique. La nôtre n’a, dans les jeux de pouvoir, qu’une violence symbolique : « Les mots sont des armes ». Il n’est plus acceptable de nos jours – hormis chez certains groupes radicalisés d’extrême droite ou parmi la mouvance antifasciste – que les affrontements politiques prennent la forme de lutte armée, de ratonnades ou d’intimidations.

Généralement, tout fait divers sur une agression de militant entraîne une condamnation quasi unanime de la scène politique – bien que cela soit à relativiser selon la nature partisane des militants agressés. Les hommes et femmes politiques ne se livrent bataille qu’au travers d’une guerre logorrhéique sans fin, le vainqueur étant celui qui parvient à capter l’attention médiatique le plus fréquemment. Aujourd’hui, l’acmé de l’immoralité politique est atteinte lorsqu’un élu se réclamant d’une probité sans faille se retrouve empêtré dans un scandale de corruption.

À l’époque de Machiavel, la réalité du quotidien est bien différente et le cynisme emprunte des voies ô combien plus tortueuses. Il ne s’agit plus simplement de manipuler l’opinion en substituant telle ou telle information, il faut infléchir la volonté des peuples par l’usage de méthodes beaucoup plus radicales.

L’un des exemples les plus célèbres date de la Renaissance et repose dans l’un des faits d’armes de César Borgia (1475-1507), fils de pape et aspirant tyran.

Machiavel nous conte cet événement dans le chapitre VII du Prince. Souhaitant pacifier les territoires de Romagne qu’il avait nouvellement acquis, Borgia plaça comme plénipotentiaire l’un de ses bras droits, Rimirro de Orco, avant de partir vers d’autres conquêtes. Connaissant la nature sadique et impitoyable de son lieutenant, il l’enjoignit à user de tous les moyens possibles pour soumettre cette population réputée indomptable. Rimirro ne se fit pas prier et administra « efficacement » la région, usant d’une violence non restreinte et se créant de fait de nombreux ennemis las de subir ses cruautés.

C’est dans cette configuration que revint son maître quelques mois plus tard. Voilà ce qui s’ensuivit : « Et puisque [César Borgia] savait que les rigueurs passées avaient engendré quelque haine à [l’égard de Rimirro], pour purger les esprits de ces peuples et les gagner tout à fait il voulut montrer que, si quelque cruauté s’était ensuivie, elle n’était pas née de lui, mais de la cruelle nature de son ministre. Et tirant occasion de cela, un matin, à Cesena, il le fit mettre en deux morceaux sur la place, avec un billot de bois et un couteau ensanglanté à côté de lui : la férocité de ce spectacle fit demeurer ces peuples en même temps satisfaits et stupéfaits ». Ce faisant, Borgia usa du monstre qu’il avait créé à son avantage. Il avait beau être la véritable cause des souffrances de son peuple, on ne vit finalement en lui que le bienfaiteur les ayant libérés de la poigne de fer du ministre. L’assassinat symbolique permit à son action politique de s’exercer avec une efficacité qu’il n’aurait pu avoir qu’à grand-peine sinon ; ce n’est pas pour rien qu’au moment de sa chute quelques années plus tard, et ce malgré son emprisonnement, les forteresses romagnoles lui restèrent fidèles jusqu’à l’extrême limite.

Demeure une volonté de plus en plus prégnante ces dernières années, l’aspiration des citoyens à une vie politique plus accessible, ou en tout cas moins opaque. C’est dans cette optique, par exemple, qu’a été créée en décembre 2013 la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, organe administratif chargé de contrôler le patrimoine et les éventuels conflits d’intérêts ou fraudes de responsables publics. Par ce biais, François Hollande répondait à une légitime aspiration du public, marquée notamment cette année-là par les ravages de l’affaire Cahuzac.

Plus récemment, au début de la pandémie en 2020, un autre scandale avait entouré les annonces du gouvernement concernant l’inutilité supposée des masques pour empêcher la propagation du virus. N’aurait-il pas été plus opportun de dire aux Français qu’il n’y en avait juste pas assez pour palier à la crise, au lieu d’affirmer par la voix du porte-parole du gouvernement qu’ils n’étaient pas nécessaires pour se protéger ? Tout le monde sait pourtant qu’on pardonne facilement à celui qui dévoile honnêtement ses carences ; bien plus qu’à celui qui se trouve devant les méfaits accomplis. Machiavel, dans ses Discours, rappelait cet axiome cicéronien : « Les peuples, quoiqu’ignorants, sont capables d’apprécier la vérité, et ils s’y rendent aisément quand elle leur est présentée par un homme qu’ils estiment digne de foi ». La confiance, ça se mérite.

12345...12



L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol