Pour le pluralisme à la télévision
Dans une tribune au « Monde », l’économiste spécialiste des médias Julia Cagé
salue la décision du Conseil d’Etat contraignant l’Arcom à mettre en place un contrôle plus strict du pluralisme de l’information sur toutes les chaînes, notamment CNews. Et propose quelques pistes pour relever ce défi démocratique.
Le 13 février, le Conseil d’Etat a rendu une décision qui fera date dans l’histoire du pluralisme des médias en France. Saisi par Reporters sans frontières, à la suite d’un refus de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) d’agir contre les manquements de CNews en matière de pluralisme de l’information, le Conseil d’Etat a jugé que, pour apprécier le respect par une chaîne de télévision du pluralisme de l’information, le régulateur devait prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par « l’ensemble » des participants aux programmes diffusés – c’est-à-dire par tous les chroniqueurs, animateurs et invités –, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques.
C’est un changement majeur par rapport aux pratiques actuelles de l’Arcom. Et ce changement est essentiel, car il va – enfin – permettre d’assurer en France le respect du pluralisme politique par les chaînes de télévision.
Rappelons pour commencer que le pluralisme des médias a aujourd’hui un rang d’objectif à valeur constitutionnelle. A la télévision, il s’agit d’assurer que les citoyens soient correctement informés et puissent faire des choix démocratiques pleinement éclairés. Ce qui suppose une juste représentation des différents courants d’expression socioculturels (ce que l’on appelle le « pluralisme interne ») ; malgré tous les progrès technologiques et la multiplication des supports, nombreux sont encore, en effet, les téléspectateurs qui ne regardent qu’une seule chaîne pour s’informer.
Or comment ce pluralisme était-il mesuré jusqu’à présent ? En ne prenant en compte que les temps d’intervention des personnalités politiques, c’est-à-dire pour l’essentiel des élus et des candidats à des élections. Ce qui, très concrètement, impliquait par exemple que, jusqu’en septembre 2021, le temps de parole d’un Eric Zemmour n’était pas comptabilisé. Ce qui a pu également conduire Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, à dire tout à la fois lors d’une conférence il y a un an que CNews respecte « strictement le pluralisme politique » et « se rapproche d’une chaîne d’opinion ».
Comment peut-on respecter – qui plus est « strictement » – le pluralisme politique et être une chaîne d’opinion ? De toute évidence, le thermomètre était depuis longtemps cassé, et l’Arcom se refusait à le réparer. Il suffisait pourtant de regarder la réalité de ce que CNews diffusait. Comme nous l’avons montré dans nos travaux de recherche avec Camille Urvoy, Nicolas Hervé et Moritz Hengel, la reprise en main du groupe Canal+ par Vincent Bolloré a en effet conduit, d’une part, sur CNews (pourtant supposément chaîne d’information), à la hausse du temps d’antenne consacré aux talk-shows, au détriment des programmes d’information, et, d’autre part, à une augmentation du nombre d’invités prétendument « non politiques » – c’est-à-dire dont la parole n’était pas décomptée – et qui tenaient pourtant ouvertement des propos au service de la croisade idéologique de Vincent Bolloré. Avec, en particulier, une hausse sans précédent du temps de parole des invités à la droite de la droite. Une pratique parfaitement assumée qui permettait ainsi à la chaîne de devenir d’opinion tout en s’en tenant – du point de vue de l’Arcom – à son cahier des charges …