La fiscalité plombe les entreprises (De Castries, patrons d’AXA -interview les Echos)
Vous n’avez jamais caché vos doutes sur la politique suivie par le gouvernement. Comment jugez-vous l’état actuel de la France ?
Inquiétant. Les conditions d’un retour de la croissance, préalable indispensable au recul du chômage, sont loin d’être réunies. En particulier, la ponction fiscale pratiquée sur les créateurs de richesse a atteint le niveau d’asphyxie. Les prélèvements sur les entreprises sont une fois et demie plus élevés que la moyenne européenne, l’imposition des plus-values l’est deux à deux fois et demie ! Quand on est dans une économie ouverte, cette approche ne peut créer que des catastrophes. A l’automne dernier, nous avions dit que l’on prenait le risque de casser l’investissement productif en France. On ne peut que constater que, mois après mois, trimestre après trimestre, nos craintes se sont malheureusement avérées fondées.
Mais il faut bien réduire le déficit public…
Absolument. Mais dans un pays déjà champion des prélèvements obligatoires, la solution ne peut pas être d’augmenter encore les impôts ! C’est comme une prise de sang : si elle est raisonnable, elle peut sauver une vie ; sinon, elle provoque l’anémie. Les prélèvements excessifs sont la source principale de notre perte de compétitivité. Tant que les dépenses publiques ne baisseront pas, l’avalanche de prélèvements continuera. Je crains que le sérieux budgétaire du gouvernement ne soit qu’une illusion. Regardez le budget 2012 : le dérapage vient principalement des dépenses. Comme nous serons en récession cette année, et qu’elle pourrait même être plus sévère qu’imaginé, la France va avoir beaucoup de mal à tenir les objectifs affichés. Je ne m’en réjouis pas. Mais il n’y a pas de fatalité, nous devons tous nous battre pour la réussite du pays.
Que préconisez-vous ?
Nous devons sortir du déni de réalité ! La croissance anémique engendre un chômage de masse qui touche durement les plus jeunes, les plus défavorisés. L’endettement public n’est rien d’autre que le transfert du financement de notre confort immédiat aux générations futures. Notre système de protection sociale fait peser une charge insoutenable sur les entreprises et les actifs parce qu’il continue de fonctionner selon des principes vieux de 70 ans alors que nous avons depuis traversé une véritable révolution démographique et de longévité. Seule la réduction significative des dépenses de fonctionnement de l’Etat, la libération de l’investissement privé par la baisse des prélèvements obligatoires et la mise en œuvre d’un programme de réformes structurelles peuvent encore éviter qu’on ne laisse un pays exsangue à nos enfants. Je pense sincèrement que ma génération porte à cet égard une responsabilité unique devant l’Histoire. J’ai le sentiment d’un immense gâchis et d’opportunités perdues alors que ce pays a des atouts considérables, des entreprises qui ont bien réussi leur mondialisation, une démographie plutôt dynamique et une population bien formée, une importante épargne…
Estimez-vous comme certains que la réduction drastique des déficits menace la croissance et qu’il est nécessaire d’en modifier le rythme ?
C’est le niveau des dépenses publiques plus que celui des déficits qui pose problème. Dès lors, la question du rythme mérite d’être débattue pour les pays comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande ou le Royaume-Uni qui ont engagé des réformes structurelles très profondes et ont un niveau de dépenses publiques inférieur au nôtre. Mais évitons les faux débats : la question ne se pose absolument pas en France où les efforts nécessaires en matière de réduction des dépenses n’ont pas encore vraiment commencé ! Les dépenses publiques représenteront en France 56% du PIB en 2013, contre 42% en moyenne dans l’OCDE ou 45% en Allemagne. C’est plus de 200 milliards d’euros d’écart avec notre voisin chaque année ! Si vous cumulez l’effet négatif d’une telle divergence sur 20 ans, vous avez l’explication de notre perte de compétitivité. Les chefs d’entreprise se demandent avec inquiétude comment sera financé le budget 2014 alors que l’objectif du budget 2013 d’un déficit à 3,7 % semble difficilement atteignable. Si le gouvernement continue d’accroître les prélèvements sur les entreprises, dont les marges sont déjà les plus faibles d’Europe, cela va ralentir la reprise, aggraver le dérapage budgétaire et menacer la cohésion européenne.
Comment la politique fiscale actuelle se traduit-elle pour un groupe comme AXA ?
Nous sommes fiers de nos racines françaises, prêts à faire des efforts mais préoccupés par la perte de compétitivité que les charges créées depuis 2 ans font peser sur les activités de services financiers comme les nôtres. Prenez le crédit impôt compétitivité. Non seulement il ne nous rapporte rien, mais en plus il nous coûte une trentaine de millions d’euros par an du fait de l’augmentation de la TVA que nous ne récupérons pas. L’augmentation de la taxe sur les salaires, taxe qui n’a aucun équivalent en Europe, va représenter un effort de plusieurs dizaines de millions d’euros par an. En impôts et taxes, nous avons versé l’an dernier plus de 2 milliards d’euros pour un résultat net de nos activités françaises d’environ 1 milliard. Cette charge s’est alourdie de 170 millions sous l’effet des nouvelles mesures. Dans les 57 pays où nous sommes présents, la France est celui où l’on paie le plus de charges sociales et fiscales. C’est donc une situation tout à fait spécifique, et ces prélèvements sont autant d’argent que nous ne pouvons pas consacrer au financement de l’économie française et au développement de l’emploi.
AXA achète-t-il encore de la dette d’Etat française ?
Nous sommes toujours parmi les premiers détenteurs de dette publique française, mais nous tirons aussi les conséquences logiques de notre analyse…
Comment jugez-vous la taxe sur les transactions financières ?
Si vous évoquez le projet conjoint à 11 pays, c’est une idée démagogique, donc dangereuse. Je suis très surpris et déçu que la France soutienne une telle initiative alors que son secteur financier est l’un des atouts pour sa compétitivité. Les banques et les assureurs français ont mieux traversé la crise que les institutions financières de l’ensemble des autres pays européens. Nous nous tirons une balle dans le pied, car la réalité, c’est que nous allons fragiliser l’un de nos fleurons et favoriser les places financières situées hors des pays volontaires.
Que pensez-vous des recommandations du rapport Berger-Lefebvre sur l’épargne longue ?
Nous partageons largement le constat fait par ce rapport, à savoir qu’il est essentiel de favoriser l’épargne longue pour retrouver la croissance. Les préconisations sont raisonnables et vont dans le sens des recommandations que nous faisons déjà à nos clients. Si l’on veut espérer un meilleur rendement, il faut accepter de prendre plus de risques et d’avoir moins de liquidité.
AXA a beaucoup cédé d’actifs ces derniers temps. Pourquoi ?
Nous avons également beaucoup investi. C’est un groupe qui vit, évolue et se transforme. C’est dans son ADN depuis son origine. Depuis 2000, nous essayons d’améliorer notre efficacité opérationnelle en nous positionnant sur des pays, des lignes de métier, des produits qui allient croissance et marges. Nous avons aujourd’hui trois grands métiers – l’assurance dommages (l’assurance de biens), la santé et la prévoyance (l’assurance de personnes), et l’épargne et la gestion d’actifs – qui sont tous en expansion. On ne le dit peut-être pas assez, mais c’est l’assurance dommages qui a progressé le plus vite, avec un chiffre d’affaires qui a presque doublé en 12 ans. En santé et prévoyance, les besoins augmentent partout, du fait d’un meilleur niveau de vie de la population mondiale, du désengagement de l’Etat dans un certain nombre de pays et de la prise de conscience, par les particuliers, de la nécessité de se protéger. Aujourd’hui, la prévoyance, la santé et les dommages représentent 75 % des résultats du groupe.
Vous allez désormais concentrer votre développement dans les pays émergents ?
Depuis le début de la crise de 2007, nous avons cédé pour environ 8 milliards d’euros d’activités dans les pays matures pour en réinvestir plus de 6 dans les émergents. Nous avons pu acquérir les activités d’ING au Mexique, racheter nos minoritaires en Asie du Sud-Est, monter une co-entreprise en Chine en assurance vie avec ICBC, nous développer en Indonésie, acheter certaines activités d’assurance dommages d’HSBC. Cela commence à être extrêmement visible dans les chiffres. En 2007, les pays émergents représentaient 7 % du chiffre d’affaires. En 2012, ils contribuent à hauteur de 14 % en dommages et de 17 % en vie ! Si l’on se compare à d’autres grands assureurs traditionnels, il est vrai que nous sommes partis avec un peu de retard parce que le groupe était encore très jeune, mais l’évolution s’est faite plus rapidement.
Allez-vous poursuivre ce mouvement de rééquilibrage ?
C’est un exercice qui n’est jamais terminé, cela fait partie de l’entretien naturel du jardin. Preuve en est, nous venons d’annoncer une nouvelle co-entreprise avec Tian Ping, l’un des leaders de la distribution d’assurance dommages par Internet en Chine. Cette opération va faire d’AXA le premier assureur non-domestique en dommages dans ce marché très prometteur.