Les pleins pouvoirs à Macron seraient catastrophiques
Si la Loi fondamentale donne au président des « pouvoirs exceptionnels » dans certains cas, leur utilisation pour surmonter le blocage du vote du projet de loi de finances est une absurdité, explique le professeur de droit public Olivier Beaud, dans une tribune au « Monde ».
Une petite musique, déjà entendue durant l’été, est réapparue plus bruyamment à l’occasion des difficultés d’adoption du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Avant même l’engagement de la responsabilité du gouvernement de Michel Barnier sur le fondement de l’article 49.3 de la Constitution, et l’immédiate contre-attaque du double dépôt de motion de censure par le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national, des juristes ont prétendu qu’il fallait désormais envisager « le scénario du pire » ou « une dernière extrémité ».
Ce serait le recours à l’article 16 de la Constitution comme seul moyen de résoudre, en dernière instance, le problème né de l’absence de budget pour 2025. Cette banalisation de la possibilité du « recours aux pouvoirs exceptionnels » par le président de la République n’est, hélas, pas nouvelle : lors des mesures évoquées pour faire face à la pandémie de Covid-19, en mars 2020, le recours à cet article avait été envisagé par certains commentateurs à l’occasion des élections municipales.
Dans le cas présent, les juristes Jean-Pierre Camby et Jean-Eric Schoettl, évoquant – lundi 2 décembre sur le site Actu-juridique – le possible recours à l’article 16, concèdent cependant que ce dernier « a été conçu dans l’hypothèse d’une situation insurrectionnelle ou d’une crise militaire paralysant le fonctionnement de l’appareil d’Etat, non dans celle d’un blocage budgétaire ». Mais cet argument ne semblerait pas, selon eux, faire obstacle à son application, car « le “fonctionnement régulier des pouvoirs publics”, dont l’article 5 de notre Constitution prévoit que le président est le garant, ainsi que “l’exécution des engagements internationaux de la France”, sans parler de la capacité d’emprunt du Trésor et de la situation économique du pays, seraient gravement affectés par l’absence de budget ».
De tels arguments laissent très perplexe, au regard du contenu et de la portée de l’article 16 de la Constitution. Faut-il rappeler qu’il pose deux conditions cumulatives ? D’une part, selon la première condition, « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux [doivent être] menacés d’une manière grave et immédiate ». D’autre part, selon la seconde condition, tout aussi nécessaire que la première, « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels [doit être] interrompu ».