Le plein-emploi possible et sans inflation ?
Les deux économistes Isabelle Bensidoun et François Geerolf montrent, dans une tribune au « Monde », que les politiques économiques basées sur la courbe de Phillips (qui suppose un « taux naturel » de chômage) n’ont plus de fondement
Tribune.
Depuis quarante ans, à la faveur de la stagflation des années 1970 puis de l’abandon progressif des politiques keynésiennes, les politiques de l’offre règnent sur la politique économique. Certes, à court terme, il peut s’avérer nécessaire, parce que les prix et les salaires sont rigides, de pratiquer des politiques de demande, mais seulement à court terme et surtout en privilégiant la politique monétaire.
Certes aussi, lorsque l’on est confronté à un choc exceptionnel, comme celui de la crise sanitaire, et que la politique monétaire est contrainte par la borne limitant à zéro les taux d’intérêt nominaux, la relance peut être plus massive et le dogme budgétaire abandonné. Mais, une fois le choc passé, les bonnes pratiques devaient, selon cette politique de l’offre, être rétablies, la politique monétaire reprendre le dessus et la dette être diminuée.
C’est qu’une fois le choc passé, et parfois même avant, la surchauffe guetterait ! Toute relance qui pousserait le produit intérieur brut (PIB) au-delà de son potentiel et le chômage en deçà de son taux naturel ne pourrait se solder que par une spirale inflationniste qui viendrait, si les banques centrales étaient contraintes de remonter leur taux, mettre en péril la capacité des économies à faire face à la dette accumulée jusque-là.
Ce mécanisme, connu sous le nom de « courbe de Phillips » augmentée – du nom de l’économiste néo-zélandais Alban William Phillips (1914-1975), qui l’a formulée –, a conduit plusieurs analystes outre-Atlantique à s’inquiéter du plan de sauvetage de 1 900 milliards de dollars de Joe Biden. Il faut dire que c’est sur cette courbe décroissante entre chômage et inflation que repose la politique macroéconomique depuis de nombreuses années.
Pourtant, s’il est vrai qu’au début des années 1980 la politique d’augmentation des taux d’intérêt menée par Paul Volcker, alors à la tête de la Réserve fédérale (FED), a été suivie d’une décélération de l’inflation accompagnée d’une récession et d’une augmentation du chômage, il a depuis été bien difficile d’observer une telle relation entre chômage et inflation, sauf pour les pays en régime de change fixe.
C’est ainsi qu’à la fin des années 1990, au moment de la bulle Internet, le taux de chômage américain passe bien en dessous de son taux naturel sans donner lieu à une quelconque tension inflationniste ; que la crise financière de 2007-2009, malgré la forte augmentation du chômage qu’elle déclenche, ne se traduit pas par la déflation redoutée ; pas plus que la relance de Donald Trump ne provoque d’accélération de l’inflation.