Covid-19 : investir et planifier pour éviter l’effondrement
Dans une tribune au « Monde », l’économiste Eric Monnet estime qu’aider le tissu productif et réorienter l’épargne devraient être les deux priorités du gouvernement
Tribune.
Il est devenu courant de parler de « guerre » contre le coronavirus. La restriction des libertés d’activité et de déplacement ainsi que la mobilisation des hôpitaux atteignent en effet des niveaux inconnus en dehors des grands conflits armés qui ont marqué l’histoire du XXe siècle sur notre territoire. L’importance sans précédent en temps de paix du choc économique sur la production et la consommation nous pousse également vers un vocabulaire martial.
Mais, si l’on suit cette perspective, il est toutefois frappant de constater combien le rôle économique de l’Etat ne revêt, pour l’instant, aucun des attributs d’une économie de guerre. Certes, cela tient en partie au fait que, heureusement, nous avons évité le rationnement et le contrôle des prix. Mais, pour le reste, faut-il se réjouir de cette timidité ? On peut au contraire y voir un signe de faiblesse, empêchant une réponse proportionnée à la crise économique actuelle.
A l’opposé de l’organisation de la production qui caractérisait les puissances étatiques en guerre, les politiques jouent aujourd’hui principalement un rôle de régulation et d’assurance, en attendant que les forces du marché reprennent rapidement leur droit. Elles mettent en place divers dispositifs fiscaux, de crédit et de subvention pour éviter faillites d’entreprises et chômage tant que dure le choc. En revanche, il n’y a pas de tentative de réorganiser la production et les échanges, de « planifier » l’économie pour qu’elle puisse surmonter ce choc autrement, en se transformant.
Refus de planification
Ainsi, le débat porte principalement sur le choix de fermer et d’indemniser temporairement des entreprises, plutôt que sur des manières alternatives de faire fonctionner l’économie en ces temps difficiles. Les commerçants et restaurateurs sont priés de s’organiser eux-mêmes pour mettre en place le retrait de commande et se tourner vers des compagnies privées de livraison – dont on connaît l’appétence pour le travail précaire, les fortes marges et l’échappement à la fiscalité. On fait appel au sens civique du consommateur pour tenter de nuancer le fait que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), Deliveroo, Netflix et consorts sont les grands gagnants économiques de cette crise.
Planifier ne requiert pas de tout nationaliser – on voit que les chaînes d’approvisionnement fonctionnent –, mais il est révélateur qu’aucun service public n’ait été conçu pour assurer les livraisons, et que les commandes de l’Etat n’aient pas massivement remplacé les commandes privées dans certains secteurs. Il semble que les conséquences de cette crise sur le développement du capitalisme monopolistique numérique et ses dangers – bien décrites par les économistes Robert Boyer ou Daniel Cohen dans diverses contributions récentes – soient largement sous-estimées.