Agriculture : des prix planchers qui vont encourager les importations
Si augmenter le revenu des agriculteurs est indispensable, il convient alors de soutenir le changement d’habitudes alimentaires des plus précaires, touchés par l’inflation, affirment, dans une tribune au « Monde », les économistes Philippe Delacote et Fabrice Etilé.
Pour faire face à ce dilemme, et malgré l’opposition de la majorité présidentielle, une proposition de loi portée par le groupe écologiste a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale, le 5 avril, qui instaure la mise en place de prix planchers pour les agriculteurs, l’objectif étant de lutter ainsi contre le pouvoir de marché de la grande distribution et de l’agro-industrie. Cette mesure suscite un intense débat ; on évoque notamment ses effets pervers supposés sur la compétitivité internationale ou une éventuelle prime à l’intensification qu’elle pourrait impliquer.
Une donnée importante est trop souvent mise de côté dans cette équation : la hausse des inégalités et les difficultés de nombreux ménages à se nourrir correctement. On estime en effet que 20 % des Français éprouvent des difficultés à manger trois fois par jour. La crise inflationniste et les tensions sur les chaînes d’approvisionnement déclenchées par les tensions géopolitiques ont eu un double effet sur le budget alimentaire des ménages : les prix alimentaires ont encore augmenté de 7 %, en 2023, après une hausse de 13 %, en 2022, alors que la hausse des dépenses contraintes, notamment l’énergie, a réduit la part du budget disponible pour l’alimentation.
Cette baisse du revenu disponible se traduit par un ajustement à la baisse de la qualité alimentaire des achats, notamment pour les fruits et légumes, mais également une diminution des achats de viande, et un recours accru au hard-discount. Ce choc de revenu amène les distributeurs, appuyés par les pouvoirs publics, à accroître la pression à la baisse des prix payés aux industriels et aux coopératives, répercutée en dernier ressort sur les agriculteurs.
Dans ce contexte, l’instauration de prix planchers risquerait d’accentuer la vulnérabilité d’un grand nombre de ménages qui seraient contraints de se diriger vers des produits importés à moindre coût et aux normes environnementales moins exigeantes.