Législatives : le pire scénario pour la majorité
Marie-Pierre Bourgeois tire les conclusions d’une élection législative catastrophique pour la majorité ( sur BFM)
Sans majorité absolue, le président va devoir s’assurer de la fidélité d’Édouard Philippe et de François Bayrou. La droite pourrait également jouer le rôle de force d’appoint. Dans cette nouvelle mandature aux contours déjà très compliquées, certains s’inquiètent du profil d’Élisabeth Borne.
La tension se lit sur les visages des piliers de Renaissance – le nouveau nom de LaREM – ce dimanche soir. « C’est loin de ce qu’on espérait », a concédé le ministre des Comptes publics Gabriel Attal, ajoutant que le camp présidentiel allait devoir « dépasser (ses) certitudes, (ses) clivages ».
L’absence de majorité absolue pour Emmanuel Macron dont la coalition ne devrait obtenir que 210 à 230 députés selon notre projection, très loin derrière les 308 sièges gagnés sur son seul nom en 2017, change la couleur du second quinquennat du président.
Le locataire de l’Élysée ne va pas avoir le choix. Pour tenter de faire passer son programme, il va devoir non seulement composer avec ses partenaires d’Ensemble – le Modem, Horizons et Agir – mais aussi aller au-delà. Il faudra « beaucoup d’imagination » pour agir, a reconnu le ministre de l’Économie Bruno Le Maire ce dimanche soir.
Face à cette situation, certains essaient de se rassurer en convoquant un précédent historique. « François Mitterrand s’était retrouvé dans la même situation en 1988 et ça ne l’avait pas empêché de faire des réformes très emblématiques comme la création du RMI », analysait un conseiller du groupe macroniste à l’Assemblée auprès de BFMTV.com, avant de connaître l’ampleur de la contreperformance.
« La situation complique donc les choses mais ça ne nous empêche pas d’être aux manettes », assurait-il.
Peut-être bien mais le contexte, cette fois-ci, est très différent. « À l’époque, (les Premiers ministres) Michel Rochard puis Édith Cresson et enfin Pierre Béregovoy avaient eu recours très souvent au 49.3 (qui permet d’engager la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un projet de loi, NDLR) », rappelle le constitutionnaliste Paul Cassia. « Ça, c’est fini. Maintenant, c’est une fois par an plus éventuellement pour les projets de loi de Finances. »
Très concrètement, cela signifie qu’Emmanuel Macron va d’abord devoir convaincre les troupes de François Bayrou tout comme celle d’Édouard Philippe. Pour s’assurer de leur fidélité, les députés se sont d’ailleurs engagés à « soutenir l’ensemble des engagements d’Emmanuel Macron » et à siéger dans l’un des groupes de la coalition présidentielle.
Problème: les deux hommes ont déjà commencé à jouer leur propre partition lors de ces derniers jours de campagne.
La preuve sur la question du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, au lieu de 62 aujourd’hui. L’ancien Premier ministre a par exemple expliqué dans les colonnes du Figaro en début de semaine dernière que la réforme des retraites devrait « être mené jusqu’au bout », se disant « certain qu’une réforme ambitieuse » était « possible ».
Le son de cloche est assez différent de celui d’Élisabeth Borne, qui a jugé que les 65 ans n’étaient pas « un totem ». Ou même de celui d’Emmanuel Macron qui a assuré vouloir « entendre les angoisses » pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle tout en promettant l’application de la réforme à « l’été 2023″.
François Bayrou n’a lui pas hésité à remettre sur la table la question de la proportionnelle aux prochaines législatives, une option écartée tout le long du quinquennat par le président sortant, avant de revenir dans le débat ces dernières semaines.
» Emmerder tout le quinquennat »
Preuve que les deux ténors ont bien compris leurs intérêts réciproques: Édouard Philippe et François Bayrou n’ont de cesse ces derniers temps de s’afficher ensemble tout sourire comme dans l’Yonne mercredi dernier pour un meeting. S’ils ont eu des relations très difficiles tout au long du quinquennat, les frères ennemis de la macronie ont su allier leurs forces pour peser lors des négociations liés aux investitures.
« C’est sûr qu’ils vont bien nous emmerder tout le quinquennat maintenant », lâche, remonté un cadre du parti présidentiel. « La question, c’est à partir de quand ils décident de marquer le premier acte de leur indépendance. C’est le pire scénario pour nous. »
« Je ne vois pas Édouard Phillippe marquer d’entrée de jeu sa différence », assure de son côté Frédéric Valletoux, élu député de Seine-et-Marne sous les couleurs d’Horizons, auprès de BFMTV.com. Avant de lancer: « Peut-être qu’au fur et à mesure des réformes, il fera entendre sa position s’il n’est pas entendu. »
Du côté du Modem, on se refuse à tout pronostic sur la suite. « On ne va non plus pleurer des larmes de crocodile sur l’absence de majorité absolue », sourit cependant une députée du Modem.
Pour faire passer ses lois, Emmanuel Macron pourrait également tenter de s’appuyer sur LR, qui limite la casse après sa déroute historique à la présidentielle avec Valérie Pécresse. Malgré la division par deux du nombre de leurs députés, avec 60 à 70 élus, le parti pourrait devenir un allié de circonstance pour la macronie.
« Chaque chose en son temps », commente-t-on ce dimanche soir au sein de la macronie, appelant à ne pas faire de « politique fiction ». « On a toujours bossé avec les autres », assure-t-on dans le camp présidentiel. « Soyez certains que nous trouverons les moyens d’agir au mieux pour les Français. »
Le gouvernement « composera avec toutes les bonnes volontés », a assuré sa porte-parole Olivia Grégoire sur BFMTV. La question est de savoir si Emmanuel Macron négocie une sorte de contrat de mandature, comme l’avait un temps espéré Nicolas Sarkozy et comme le réclame désormais une figure comme Jean-François Copé, ou si les discussions se font texte par texte.
« On ne va pas faire du cas par cas sur tous les projets de loi. On ira chercher des alliés solides, notamment pour voter le budget », reconnaisait, avant les résultats, un député marcheur issu des rangs du Parti socialiste.
Mais les choses ne seront peut-être pas aussi simples. Si plusieurs ténors de la droite ont déjà acté que certaines réformes pourraient recueillir leur assentiment, à commencer par la réforme des retraites à 65 ans, les raisons de passer un contrat de mandature avec Emmanuel Macron se font bien rares.
« Nous sommes dans l’opposition, nous resterons dans l’opposition », a tancé Christian Jacob dès ce dimanche soir.
La droite a en effet les moyens de patienter, avec un ancrage local qui reste puissant: elle dirige la moitié des villes de plus de 9000 habitants et 7 régions sur 17, tout en conservant une majorité forte au Sénat.
« On n’a pas tenu cinq ans loin de Macron pour tomber dans ses bras alors que c’est son dernier mandat. Quel intérêt on a aujourd’hui à se rapprocher de lui? Je ne vois pas bien », analyse un collaborateur du groupe LR.
La défaite dès le premier tour de Guillaume Larrivé, élu dans l’Yonne depuis une décennie, a d’ailleurs été vu par certains comme un signe. Conseiller politique de Valérie Pécresse pendant la campagne présidentielle, il avait appelé avant même l’entre-deux-tours à construire « une nouvelle majorité » avec Renaissance.
« Il n’y a pas de tentation Macron. On nous en promettait 25 députés qui partiraient vers le président, ils sont finalement 5« , avance de son côté l’ancien député LR Alain Marleix.
Pour affronter le Modem et Horizons qui feront acte d’indépendance et parvenir à convaincre les LR de s’allier au moins sur certains textes, Emmanuel Macron aura besoin de faire preuve d’un grand doigté politique et de pouvoir compter sur ses têtes de proue. Mais certains doutent que le casting gouvernemental soit à la hauteur des enjeux, à commencer par Élisabeth Borne.
« Je n’ai rien contre elle, c’est une très bonne technicienne. Mais on va avoir besoin de quelqu’un de très politique qui sache mettre les mains dans la tambouille politique et qui pourra calmer Édouard Philippe quand il faut et motiver les LR si nécessaire. Je ne la sens pas vraiment dans cette dynamique », analyse un conseiller ministériel de Bercy.
Sur les bancs de Renaissance, les prestations d’entre-deux-tours de la Première ministre, entre une prise de parole confuse sur les consignes de vote en cas de duels Nupes-RN le soir du premier tour et une visioconférence le lendemain dans la pénombre, son ordinateur juché sur un carton, n’ont pas convaincu.
De quoi la voir déjà en sursis ? « Emmanuel Macron déteste décider sous la pression. Mais si elle ne fait pas l’affaire dans ce contexte très compliqué, je doute qu’il ait beaucoup d’états d’âme », continue ce collaborateur.
Richard Ferrand, un intime du président, s’est d’ailleurs assuré de faire passer le message à sa façon. « Il ne faut pas qu’on fasse une campagne sous Lexomil », a-t-il tancé lors du petit-déjeuner de la majorité mardi dernier.
Certains voyaient d’ailleurs dans le président de l’Assemblée nationale, qui se verrait bien rester au Perchoir, le grand gagnant de cette séquence. « Le président va avoir besoin de quelqu’un qui maîtrise tous les rouages, qui tient la majorité et qui arrive à parler à tout le monde. Il a ce profil en or », reconnaît d’ailleurs un député LR. Las, il a été battu ce dimanche soir.
En attendant, au sein de la macronie, on tente se rassurer sur les résultas du gouvernement: « Plus de la moitié de (ses) membres se sont présentés dans leur circonscription », « et la très, très grande majorité a été élue ».