«l’hydrogène : le carburant d’avenir le carburant de notre industrie» –Jean-Michel Pinto
Jean-Michel Pinto, Director | Strategy, Monitor Deloitte souligne le caractère stratégique de l’hydrogène comme carburant d’avenir (chronique dans l’Opinion)
« La présentation par la commission européenne du plan Hydrogène de l’Union semble accélérer la réaction de la France, comme en témoigne le discours du 14 juillet du président de la république. Mais le 4 juin, lorsque le gouvernement fédéral allemand a fait part de son intention d’investir 9 milliards d’euros – dans le cadre de son plan de relance – pour faire de l’Allemagne « le fournisseur et producteur numéro 1 » de l’Hydrogène, l’information est passée presque inaperçue de ce côté-ci du Rhin.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’Allemagne, grande puissance industrielle, se positionne sur cette technologie d’avenir amenée à jouer un rôle central dans la transition énergétique. Le relatif manque de réaction de la France jusqu’à présent est lui beaucoup plus surprenant. Avec une dotation de 100 millions d’euros, le plan français est aujourd’hui environ cent fois plus petit que le programme allemand.
L’industrie française fait pourtant figure de pionnière sur cette technologie. Parmi les treize membres fondateurs de l’Hydrogen Council, l’alliance industrielle mondiale pour la promotion de la technologie hydrogène, quatre – Air Liquide, Alstom, Engie et Total – sont des industriels français. Alstom est à l’origine des premiers trains à hydrogène – trains qui circulent aujourd’hui essentiellement sur les chemins de fer allemands – alors qu’Engie développe avec l’allemand Siemens, le premier démonstrateur de stockage et de production d’électricité à partir d’hydrogène pour les sites industriels, dans la Vienne.
Pour Air Liquide, précurseur dans le domaine, l’hydrogène est une longue histoire. Présent dans la production d’hydrogène depuis plus de 50 ans, Air Liquide est un des leaders mondiaux – avec l’allemand Linde et l’ingénieriste TechnipFMC allié à l’américain Air Products – dans les technologies de production d’hydrogène gris, c’est-à-dire à partir d’hydrocarbures. Mais le groupe français a aussi été le premier à se lancer en 2019 dans la construction d’une unité de production à grande échelle d’hydrogène vert, c’est-à-dire à partir d’énergies renouvelables, aux Etats Unis.
La France a bâti un écosystème complet soutenu par de nombreuses collectivités locales et intégrant de grands groupes industriels, dont les quatre membres fondateurs de l’Hydrogen Council auxquels s’ajoutent aujourd’hui, Michelin, Faurecia, Plastic Omnium ou Airbus, des PMEs telles qu’hydrogène de France ou McPhy mais aussi des organismes de recherche.
Pour de nombreuses applications, les performances énergétiques et les niveaux de coût des solutions développées ne sont pas encore satisfaisants et l’absence de solution de séquestration du dioxyde de carbone à grande échelle constitue aujourd’hui un frein important à leur développement
Cet intérêt précoce des industriels français pour la technologie hydrogène n’est pas étonnant. La France a beaucoup à gagner au développement de cette technologie dont le principal domaine d’application est le transport et tout particulièrement le transport collectif et de marchandises. Une étude conduite conjointement par Deloitte et Ballard en 2019 montre le potentiel considérable de l’hydrogène dans le transport routier à la fois pour les marchandises et le transport collectif de personne. Or d’Alstom aux Chantiers de l’Atlantique, en passant par Airbus et Naval Group, l’industrie française est en pointe dans le secteur du transport collectif comme elle l’est d’ailleurs dans le transport routier de marchandises à travers Volvo Trucks (ex-Renault Trucks) très présent en France et les constructeurs automobiles français qui ont une compétence reconnue dans les véhicules utilitaires dont une grande partie est produite en France sur les sites d’Hourdain pour PSA et de Maubeuge pour Renault, notamment.
Il ne s’agit pas de masquer les défis importants qui restent à relever pour cette technologie. Pour de nombreuses applications, les performances énergétiques et les niveaux de coût des solutions développées ne sont pas encore satisfaisants et l’absence de solution de séquestration du dioxyde de carbone à grande échelle constitue aujourd’hui un frein important à leur développement. Mais c’est justement parce que la technologie n’est pas encore stabilisée qu’il existe une véritable opportunité pour la France de construire une position centrale dans cette industrie. Lorsque les performances énergétiques, économiques et environnementales seront au rendez-vous, il sera trop tard.
La France peut et doit probablement s’allier à l’Allemagne car les compétences et les priorités des deux pays sont complémentaires. L’Allemagne voit d’abord dans l’hydrogène un moyen de répondre au problème d’intermittence des énergies renouvelables qui représentent près de 45 % de sa production d’électricité. Elle est aussi évidemment intéressée en priorité par les applications pour le secteur industriel. De son côté, la France souhaite développer les technologies liées au transport. Elle peut aussi s’appuyer sur le nucléaire pour produire de l’hydrogène décarboné. Les industriels des deux pays travaillent d’ailleurs déjà ensemble comme le montre le partenariat entre Siemens et Engie. Il est probablement aussi nécessaire de s’allier à d’autres compétiteurs européens, en particulier l’Italie, pour faire de l’Europe, le continent leader sur cette technologie, dans le cadre du plan européen qui vient d’être lancé.
Mais à l’heure où la France se passionne pour les relocalisations et la transition énergétique, il est temps de passer des paroles aux actes. Concentrer notre attention et nos efforts sur les différentes applications de la technologie hydrogène semble être un choix judicieux si notre pays souhaite véritablement améliorer son empreinte environnementale et accélérer le retour des usines sur le sol national. Les innovations de rupture induites par le passage à l’hydrogène de nombreux secteurs constituent une opportunité historique. Alors que la partie est en train de se jouer et que la France a des atouts à faire valoir, il ne faudrait pas rester sur le bord du terrain.
Jean-Michel Pinto, Director | Strategy, Monitor Deloitte.