Archive pour le Tag 'philosophie'

Philosophie-« Le sacré , une émotion universelle »

Philosophie-« Le sacré , une émotion universelle » (Frédéric Lenoir, philosophe et essayiste)

Fin connaisseur des religions et de leur histoire, philosophe du bonheur et du développement personnel, Frédéric Lenoir explique la permanence des rites et le grand écart actuel entre l’identité, la foi et la spiritualité. ( dans la Tribune)

Le pape a accepté la bénédiction de couples homosexuels à condition que celle-ci se déroule en dehors d’une cérémonie. Les religions finissent-elles toujours par s’adapter à la société ?

FRÉDÉRIC LENOIR – Les croyances religieuses reposent sur des théologies multi-séculaires. Elles peuvent difficilement se remettre en question. Depuis deux mille ans, l’Église n’a pas changé de doctrine sur le mariage. Elle le conçoit comme l’union entre un homme et une femme, dont la finalité est la procréation. Cependant, la volonté du pape François, depuis le début de son pontificat, est d’accueillir un maximum de croyants. Il dit que l’Église ne doit pas être une douane qui refoulerait ceux qui ne sont pas dans sa norme. Avoir un geste de miséricorde à l’égard des couples de même sexe va dans ce sens, sans remettre en question la doctrine. Nous verrons peut-être, un jour, l’ordination de prêtres mariés, mais, sur l’avortement ou le mariage homosexuel, cela me semble intangible.

La fréquentation habituelle des églises est faible, mais il y a un attachement dans la population à certains symboles, comme la crèche en cette période de l’année. Comment expliquer cet écart ?

Il faut distinguer la pratique religieuse et la dimension culturelle des religions, qui est un vecteur identitaire pour toutes les civilisations, comme le rappelle Régis Debray. Même si l’on n’est pas croyant, on peut se reconnaître dans une identité culturelle et respecter le lien social qu’elle induit. C’est le cas dans toutes les religions. Il y a dans le monde musulman des non-croyants qui font le ramadan parce que c’est la vie de la société. On ne peut pas se mettre en marge.

On constate en même temps une montée du fait religieux. Pourquoi ?

La globalisation du monde, le brassage des cultures ont entraîné des replis identitaires et des conflits. Face aux autres, on veut s’affirmer ou se protéger. On voit en France des gens qui revendiquent leur appartenance à un pays chrétien alors qu’ils ne croient pas en Dieu, et qui refusent ce qui vient d’ailleurs. Une religieuse avec un voile ne leur pose pas de problème. Mais une musulmane avec un voile islamique, si.

Il y a pire, on commet toujours en 2023 des massacres et des attentats au nom de la religion…

À l’extrême, il y a du fanatisme qui engendre la violence. Mais il ne faut pas confondre trois choses, la dimension identitaire qui est politique, le sacré et la spiritualité.

Que voulez-vous dire ?

Le plus universel, c’est le sentiment du sacré. Einstein le définit très bien lorsqu’il parle de son émotion profonde devant le mystère de la vie et la beauté du monde. Face à un nouveau-né, la mort ou l’harmonie de la voûte céleste, on est bouleversé par un mystère qui nous dépasse. C’est une émotion universelle qui existe depuis la préhistoire. On en voit des traces dans les rites funéraires d’il y a cent cinquante mille ans. Et c’est cette expérience intime qui génère tous les courants spirituels et religieux du monde. Dans mon dernier livre 1, je raconte comment le sacré n’a cessé de se métamorphoser au cours de l’histoire en fonction des bouleversements des modes de vie de l’être humain : le passage au néolithique, l’invention de l’écriture, la modernité, etc.

Les terroristes islamistes sont parfois des gens très religieux, mais pas du tout spirituels

Quel est le lien entre cette expérience, qui est belle dans vos mots, et la croyance religieuse ?

La religion est la gestion collective du sacré. Elle se décline en croyances partagées et en rituels. Aujourd’hui, on voit une séparation entre le sacré, le spirituel et le religieux, qui étaient jusqu’ici regroupés. Il est possible de vivre chacune de ces expériences séparément. André Comte-Sponville, un philosophe matérialiste athée, prône ainsi une spiritualité laïque. La spiritualité, c’est la dimension individuelle du sacré, une quête intérieure. On s’interroge sur le sens de la vie, on cherche à être meilleur. À l’inverse, les terroristes islamistes sont parfois des gens très religieux, mais pas du tout spirituels : ils ne gardent que la dimension identitaire et politique de la religion.

Cette quête de spiritualité ressemble parfois à la recherche d’un bien-être immédiat. Cela a-t-il du sens ?

La spiritualité, telle qu’elle a été initiée par les grands courants de sagesse d’Orient et d’Occident, lie toujours la transformation de soi à l’engagement dans le monde. C’est le gage d’une spiritualité authentique. Or on trouve en effet de nos jours, notamment dans la mouvance du développement personnel, certaines personnes qui se regardent le nombril en pratiquant toutes sortes d’exercices spirituels sans rien faire pour améliorer la société. Ce « narcissisme spirituel » a déjà été dénoncé par le premier lama tibétain qui a voyagé en Occident, Chögyam Trungpa, qui a écrit dans les années 1970 sur le matérialisme spirituel : nous sommes des consommateurs de tout, y compris de pratiques spirituelles !

Vous ne pensez pas qu’on se réfugie dans l’irrationnel parce que la société aurait un peu perdu le sens de la science, de la raison, du progrès ?

C’est vrai pour le développement actuel d’une certaine pensée magique ou superstitieuse, mais ne confondons pas spiritualité et irrationalité ! Après la révolution quantique, la science elle-même est devenue plus modeste et reconnaît que le réel ne peut pas être appréhendé, dans toute sa complexité, avec notre seule raison logique. C’est pourquoi les principaux fondateurs de la physique quantique, comme Niels Bohr, Erwin Schrödinger ou Werner Heisenberg, ont engagé un dialogue fécond avec la spiritualité orientale pour tenter d’expliquer les conséquences philosophiques de leurs découvertes, celles-ci trouvant « une application, un renforcement et un raffinement de l’antique sagesse », selon le mot de Robert Oppenheimer. Ils ont ainsi tourné le dos au scientisme du XIXe siècle et ouvert un dialogue passionnant entre science et spiritualité, qui a une approche plus intuitive du réel.

Vous avez beaucoup travaillé sur le bonheur. Comment rester optimiste avec une actualité mondiale aussi dramatique ?

D’abord, il faut arrêter de regarder des images anxiogènes toute la journée, qui donnent le sentiment que tout va mal. Le monde ne va pas plus mal qu’autrefois, sauf que, de nos jours, nous voyons instantanément le spectacle de tout ce qui va mal dans le monde. Je préfère vivre aujourd’hui que pendant la Première ou la Seconde Guerre mondiale. Et puis surtout : ne restons pas passifs. Le meilleur moyen de supporter les malheurs du monde, c’est de s’engager, de faire ce qu’on peut à son petit niveau pour faire reculer la souffrance, l’ignorance ou l’injustice.

Noël, c’est demain. Nous voulons tous que ce soit un jour heureux. Il semble que cette pression produise parfois l’effet inverse, non ?

Tout à fait ! L’injonction au bonheur rend malheureux. C’est la raison pour laquelle les fêtes de fin d’année sont redoutées par beaucoup de monde ! On sait pourtant que l’une des conditions essentielles du bonheur, c’est l’amour, ce sont les liens familiaux et amicaux. Et Noël, c’est l’occasion de resserrer ces liens. Mais il ne s’agit pas de se mettre trop de pression, et si c’est trop pesant, il faut pouvoir s’en émanciper.

Quel vœu formez-vous pour 2024 ?

Que les gens soient de plus en plus conscients. Être lucide, cela permet d’agir de manière plus juste et de s’engager. Avec l’une de mes associations, Seve 2, nous faisons philosopher les enfants dans les écoles pour qu’ils apprennent le discernement et le respect des autres. Nos ateliers vont bientôt être testés par Gabriel Attal dans de nombreuses classes pour voir leur impact sur le développement de l’empathie. On en a vraiment besoin !

L’Odyssée du sacré (Albin Michel, 2023).

Philosophie : Penser la contradiction

 Philosophie : Penser la contradiction 

Roger-Pol Droit

Pierre Dulau, Guillaume Morano et Martin Steffens, les trois auteurs de ce dictionnaire, considèrent le paradoxe comme la matrice de la pensée. Ils y voient la figure centrale de la réflexion, le moteur permanent de la philosophie. ( Chronique de Roger-Pol Droit dans le Monde. 

 

« Dictionnaire paradoxal de la philosophie. Penser la contradiction », de Pierre Dulau, Guillaume Morano et Martin Steffens, Cerf, 760 p., 34 €, numérique 18 €.

Un ouvrage qui séduira sans doute aussi les marxistes du fait de la résurrection de la contradiction chère à Hegel . Malheureusement la posture nécessaire d’intellectuel en interdit l’entrée à la plupart de ceux qui se réclament du marxisme et finissent dans le gauchisme et ou- la dictature. NDLR

Par définition, ils mettent dans l’embarras. Les paradoxes sont des perturbations, d’étranges objets mentaux qu’on ne sait par quel bout prendre. ­Depuis qu’Epiménide de Crète, au VIe siècle avant notre ère, a mis en lumière l’imbroglio engendré par la phrase « Ce que je dis est faux », depuis que Zénon d’Elée expliqua pourquoi Achille ne rejoindra ­jamais la tortue, les casse-tête se sont multipliés – en physique, en logique, en économie. Ils fascinent autant qu’ils déconcertent. Ils paraissent à la fois irritants et stimulants, stériles et féconds. Malgré tout, le plus souvent, on préfère les considérer comme autant de curiosités marginales, presque monstrueuses, hantant les confins de la raison.

Les trois auteurs du Dictionnaire paradoxal de la philosophie considèrent les choses tout autrement. Le paradoxe, pour eux, constitue la matrice de la pensée. Ils y voient la figure centrale de la réflexion, le moteur permanent de la philosophie, « le cœur battant du réel ». Parce qu’ils sont convaincus que la contradiction vit au sein des concepts – ce qui demande, pour être saisi, un bref retour sur un clivage majeur de la modernité.

Les philosophes de l’entendement, de l’Antiquité jusqu’aux contemporains, soutiennent que ce qui est contradictoire est impensable, inconcevable, et doit donc être éliminé. A l’opposé, les philosophes de la raison (depuis Kant, plus encore depuis Hegel) considèrent les contradictions et leurs tensions multiples comme ce que la pensée ne cesse de cultiver pour avancer, en tentant de les surmonter ou de les résoudre, sans jamais pouvoir les supprimer.

Assumant résolument cette dernière option, Pierre Dulau, Guillaume Morano et Martin Steffens, tous trois professeurs de philosophie en classes préparatoires, revisitent 110 notions-clés de la philosophie occidentale – d’« Absolu » à « Volonté », en passant par « Confiance », « Crise », « Démocratie », « Mal », « Sujet » et quantité d’autres. Ils montrent de quelle manière chacune d’elles se trouve travaillée du dedans par le mouvement d’un paradoxe, la tension d’une contradiction, la tentative de résoudre une difficulté qui n’en persiste pas moins indéfiniment.

 

L’originalité de ce dictionnaire philosophique, parmi la foule de ceux qui existent, est donc de ­présenter les concepts comme des problèmes possédant une dynamique interne, et non des idées fixes. Paru en 2019 aux éditions Lessius, cet outil de travail intéressant n’a pas reçu alors l’attention qu’il mérite. Sa reprise aujourd’hui aux Editions du Cerf permettra aux étudiants, professeurs et amateurs éclairés de le découvrir. Il ne s’agit pas, en effet, d’un ouvrage destiné à une première initiation, plutôt d’une mise en perspective originale, fondée sur cette conviction : « Aussi loin qu’elle pousse son ­travail, jamais la raison ne se ­trouvera totalement quitte de la contradiction. »

« Une histoire de la philosophie » de Jürgen Habermas

« Une histoire de la philosophie », de Jürgen Habermas

Dans son nouvel essai, le philosophe allemand montre l’étroite parenté entre religion et pensée rationnelle au cours d’une ample exploration, de l’Antiquité à la Renaissance.(analyse du Monde)

 

« Une histoire de la philosophie. Tome I. La constellation occidentale de la foi et de la raison » (Auch eine Geschichte der Philosophie. Band I. Die okzidentale Konstellation von Glauben und Wissen), de Jürgen Habermas, traduit de l’allemand par Frédéric Joly, Gallimard, « NRF essais », 852 p., 32 €, numérique 23 €.

L’œuvre du philosophe allemand Jürgen Habermas (né en 1929) a toujours été nourrie des débats de son temps. Aujourd’hui, c’est celui de la relation entre la foi et le savoir qu’il redéfinit dans toute sa complexité. En intellectuel résolument agnostique, il s’interroge, en effet, sur l’attitude à observer face aux « contenus de vérité », traductibles en termes rationnels, portés par les religions. Avec les deux gros volumes d’Une histoire de la philosophie, dont le premier paraît en français, Habermas parvient à reformuler les termes d’une discussion – ou d’une absence de discussion – qui, généralement, n’aborde la question du religieux qu’à travers les prismes de la violence ou du caractère inéluctable de la sécularisation.

Interrogations très contemporaines

L’auteur du Discours philosophique de la modernité (Gallimard, 1988) ne nie pas la réalité sociologique de la perte de croyance ; il renvoie d’ailleurs l’irruption de l’intégrisme islamique, dans nos sociétés, non à un « retour du religieux » mais à une simple réaction à la modernisation. Mais cette réalité ne saurait suffire pour lui, comme pour le Marcel Gauchet du Désenchantement du monde (Gallimard, 1985), à établir le diagnostic d’une « sortie de la religion ». Du reste, la discussion publique entre foi et savoir s’est imposée à Jürgen Habermas par la force des interrogations très contemporaines qu’ont suscitées, en Allemagne, les manipulations génétiques, associées aux souvenirs de l’eugénisme et de l’« effondrement moral » nazis.

Ainsi la confrontation entre la Révélation et cette « pensée scientifique sans être une science » que demeure à ses yeux la philosophie hante-t-elle non seulement le passé de la « métaphysique » mais détermine son actualité « postmétaphysique ». Par cet adjectif, qui s’applique à sa propre démarche, Habermas signifie que la philosophie ne saurait avoir de présent et d’avenir qu’en admettant le pluralisme et en abdiquant toute prétention à la totalité.

Le divin tiré hors du monde

Le détour par une ample histoire se donne pour but de déceler et de mettre en évidence la source commune de la « mentalité religieuse » et de la rationalité occidentale. Jürgen Habermas estime pouvoir situer cette source dans l’« âge axial » (environ 800-200 av. J.-C.), nom donné à l’irruption simultanée, et hors de tout échange d’influences connu, de doctrines en rupture avec la pensée mythique et magique propre aux sociétés premières. A cette époque, le divin est tiré hors du monde et s’installe dans une « transcendance » éminente. Au même moment, la constitution du canon biblique dans l’ancien judaïsme, le confucianisme, le bouddhisme, le zoroastrisme mais aussi l’éclosion de la philosophie dans la Grèce antique partagent ainsi les traits communs d’une révolution spirituelle mondiale. Elle bouleverse le « complexe sacral » qui accompagnait l’humanité depuis au moins cinquante mille ans, quand, en Australie, des peintures rupestres attestent pour la première fois la présence de lieux de culte, tandis que les premières sépultures remontent, chez Homo sapiens, à soixante-dix mille ou cent mille ans.

« Les Chemins de la philosophie » succès sur France Culture (chronique du Monde)

« Les Chemins de la philosophie » succès sur France Culture (chronique du monde)

Depuis qu’Adèle Van Reeth a pris la tête des « Chemins de la philosophie », la quotidienne de France Culture cartonne : selon la dernière vague Médiamétrie (novembre-décembre 2020), l’émission a rassemblé 378 000 auditeurs en moyenne, soit 95 000 de plus sur un an. Mieux : entre septembre 2019 et juin 2020, l’émission a cumulé 3,1 millions d’écoutes à la demande par mois en moyenne, ce qui en fait le programme le plus « podcasté » de France Culture.

Tout en assumant la dimension aride de la discipline et en refusant d’en faire un pseudo-remède à nos maux d’auditeurs confinés, Adèle Van Reeth a pris le parti de mettre de la vie dans la philosophie. Et d’alterner séries consacrées à des penseurs (Bachelard, Jankélévitch, Barthes), séries thématisées ou transversales et séries construites autour de la littérature, la peinture, la musique ou encore, un de ses pêchés mignons, le cinéma. « La philo est une manière de réfléchir sur les choses, assure-t-elle. Or, un livre, comme un film ou une chanson peuvent donner à réfléchir. Cela permet de faire circuler la pensée, de la décloisonner. Je n’ai pas de conception verticale des choses. Ce n’est pas que tout se vaut, mais tout est intéressant. »

A cette approche s’ajoute le souci de rendre l’émission accessible au plus grand nombre. Pour ce faire, Adèle Van Reeth table sur un ton propre à rendre sa soif de connaissances communicative. Elle sait également dégainer au bon moment l’archive, le son, la chanson qui viendront illustrer ou approfondir le propos de son invité. Bien que très cadrée, elle tient à ce que l’émission reste vivante, « au sens organique du terme »  à même, donc, d’accueillir son lot de possibles surprises.

Série sur Claude Chabrol

C’est d’ailleurs ainsi qu’est née sa série sur Claude Chabrol, la dernière mise en ligne. « Je suis très attentive à l’humeur générale, et je trouvais que c’était bien de le faire en ce moment. Pas forcément pour le côté débonnaire de Chabrol, en ce mois de janvier déprimant, mais parce qu’il ausculte au plus près l’être humain. » Chez le cinéaste aux cinquante-sept longs-métrages, mort en 2010, celle qui semble préférer le scepticisme au dogmatisme aime la suspension du jugement. Elle y consacre le premier épisode en compagnie de la critique Hélène Frappat : « Une question traverse toute l’œuvre de Chabrol, et qui en fait pour moi le Fritz Lang français : non pas “qui a tué ?” mais “qui est celui qui a tué ?” » – la question de savoir « a-t-on vraiment tué ? » est abordée dans l’épisode 4…

Dans l’épisode 3, c’est l’« indispensable » (comme le disait Chabrol) Isabelle Huppert qui évoque leur longue collaboration – en tout, sept films, de Violette Nozière (1978) à L’Ivresse du pouvoir (2006). La comédienne évoque leur confiance l’un dans l’autre, « terreau essentiel pour que les choses les plus extraordinaires, les plus inattendues adviennent ». Elle raconte aussi le Chabrol politique et féministe, celui qui disait : « Il ne faut pas avoir peur de ces femmes assassines. Elles ne sont assassines que lorsqu’on les empêche d’être libres » (voir aussi l’épisode 2, consacré à La Cérémonie, de 1995). Le même qui, dans un article publié en octobre 1959 dans les Cahiers du cinéma, écrivait : « Il n’y a pas de grand ou de petit sujet, parce que plus le sujet est petit, plus on peut le traiter avec grandeur. »

« Les Chemins de la philosophie », présenté par Adèle Van Reeth. Du lundi au vendredi à 10 heures. Série « Claude Chabrol dissèque le réel » (4 × 60 min), à la demande sur France Culture et sur l’application Radio France.

Pour une autre philosophie du partage de l’espace

Pour  une autre philosophie du partage de l’espace 

Les politiques en faveur du deux-roues renforcent l’attractivité des villes, notamment en ce qui concerne les jeunes, à condition d’en faire un levier d’accès pour tous, explique l’anthropologue suisse Sonia Lavadinho, dans un entretien au « Monde ».

Anthropologue et géographe suisse, Sonia Lavadinho travaille depuis quinze ans sur les enjeux de mobilité durable, et notamment sur la façon dont l’aménagement des villes peut renforcer la place du corps en mouvement, favorisant ainsi une plus grande cohésion sociale et intergénérationnelle.

En période de crise sanitaire, le vélo ouvre des marges de manœuvre et de liberté à un moment où des limites s’imposent. C’est un mode « porte-à-porte » qui permet de maîtriser sa vitesse et son amplitude horaire, ce qui n’est pas le cas des modes collectifs, ni même de la voiture, régulée par des contraintes extérieures. On peut décider de partir quand on veut pour éviter la cohue, et de choisir sa route pour privilégier les trajets calmes. L’absence d’habitacle facilite les interactions et, dans le même temps, le fait d’être perché sur une selle, à l’air libre, met à bonne distance des autres de façon naturelle.

Pour toutes ces raisons, le vélo est un formidable outil exploratoire de la ville par temps de Covid, à condition de ne pas le réserver à une catégorie de citoyens mais d’en faire un levier d’accès à la ville pour tous. Or ouvrir des pistes, lorsqu’elles sont étroites, encourage les 5 % de cyclistes hyperrapides – ceux qui font les trajets domicile-travail et les livraisons –, des publics en général assez lestes, plutôt jeunes, seuls et masculins. C’est mieux que rien mais cela ne suffit pas. Car la vitesse peut décourager les autres, cyclistes occasionnels, familles ou seniors, ou bien le différentiel de vitesses est susceptible de générer des conflits. On l’a vu lors de la grève à Paris, ou à certains moments de la crise sanitaire, lorsque les flux ont triplé tout à coup.

Les collectivités doivent veiller à ce que la pratique reste hybride avec des cyclistes réguliers et d’autres occasionnels. La logique de couloir garde du sens pour des connexions longues de dix ou quinze kilomètres, ou bien pour traverser les carrefours complexes, à condition de pouvoir s’y doubler et de ne pas grignoter sur l’espace public existant réservé aux piétons. Il n’est plus question de faire des petites pistes d’un mètre de chaque côté de la rue.

Philosophie de la sérendipité pour éviter la mode de la « disruptivité »

Philosophie de la sérendipité pour éviter la mode de la « disruptivité »

Un article diffusé dans la Tribune Jean-Baptiste Canivet, directeur associé de la startup Stig.Pro qui propose la séredipidité pour échapper au néologisme de la « Disruptivité ».

 

 

 

« Désormais sur toutes les lèvres, l’innovation disruptive s’est érigée en ambition suprême des entreprises. Il faut être disruptif, ou mourir. Une injonction qui se conjugue dans un contexte d’optimisation des moyens de tous bords et de recherche de rentabilité immédiate. On ne peut pourtant pas toujours être disruptif et d’ailleurs, le faut-il vraiment ? L’innovation de rupture serait-elle forcément plus porteuse que l’innovation du quotidien ?

Ce sont pourtant les innovations ordinaires et les avantages concurrentiels, qui permettent de hisser de nombreuses entreprises sur leurs marchés. Ce prétendu impératif de disrupter à tout prix s’accompagne de difficultés d’anticipation croissantes pour les gouvernants de plus en plus contraints de naviguer à vue dans un monde mouvant.

Pourtant, l’Histoire prouve que les grands progrès comme les petites révolutions émanent souvent de découvertes accidentelles, d’expérimentations « gratuites », d’explorations périphériques… Ce processus s’appelle la sérendipité. Cet état d’esprit et son aspect désintéressé, peut-il s’appliquer à l’entreprise, royaume du ROI systématique, pour innover au jour le jour, saisir l’air du temps et favoriser la créativité, face à l’impermanence et à la difficulté de planifier ?

L’un des concepts favoris des anglosaxons, « serendipity », est introduit dans le langage en 1945 par le sociologue américain Merton, et n’entre dans le Larousse en français qu’en 2012. Il désigne le fait de trouver quelque chose qui n’était pas initialement prévu par la recherche, et d’en tirer parti. Une sorte de hasard heureux, qui ne relève pas uniquement de la chance, puisqu’il est provoqué par une démarche quelconque, et s’associe à une certaine sagacité pour en tirer le bénéfice. Nombre de grandes découvertes ne sont pas nées de fulgurances créatives, mais issues de ce processus qui mène à trouver ce qu’on ne cherchait pas à l’origine : de la tarte tatin retournée par erreur, à la pénicilline dont les propriétés antibiotiques sont observées à partir de la moisissure, en passant par le viagra initialement conçu pour traiter les angines de poitrine et dont un effet secondaire en deviendra la vertu principale… Ce fut également le cas de la grotte de Lascaux trouvée par hasard par des adolescents. La découverte, encore sans valeur historique, arrive aux oreilles du préhistorien Henri Breuil réfugié dans la région, qui s’y attardera pour en révéler le trésor archéologique. Plus récemment, les lunettes permettant de rétablir la perception des couleurs pour les daltoniens sont nées d’un projet de mise au point de lunettes de protection laser initialement destinées aux chirurgiens.

Le cas le plus connu de découverte par sérendipité -qui n’en est finalement pas vraiment un- reste la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, parti à la conquête des Indes : il mourut certainement sans réaliser qu’il avait trouvé un nouveau monde.

Ces histoires de ratages réussis, de trouvailles fortuites, sont riches d’enseignements pour les organisations. Elles permettent de relativiser l’inattendu et d’appréhender l’aléa autrement qu’une menace. Comment se servir du désordre apparent comme outil de prospective ? Si, par définition, on ne peut pas maîtriser la sérendipité, peut-on créer un cadre favorable dans l’entreprise ? Comment ne pas passer à côté d’une découverte ou d’une innovation ? Une phrase du philosophe indien J. Krisnamurti dit : « On ne peut inviter le vent, mais il faut laisser la fenêtre ouverte ». La sérendipité n’est pas une méthode, elle n’est pas une stratégie, mais une attitude à ancrer dans la culture d’entreprise.

Avant toute chose, il est indispensable d’instaurer un management propice à responsabiliser les collaborateurs, en fixant le cap de l’organisation de façon précise sans être restrictif (ses ambitions et valeurs fondatrices), et en mobilisant l’intelligence collective.

La condition sine qua none à la sérendipité est une certaine dose de liberté : les managers doivent sensibiliser les collaborateurs et éveiller leur curiosité notamment sur l’extérieur. En effet, toute découverte issue de la sérendipité est le fruit d’une quête, d’un mouvement initial. A l’entreprise de l’impulser, en offrant aux collaborateurs davantage de latitude pour explorer les sentiers hors des tâches attribuées et des objectifs immédiats. Cela peut se concrétiser par un temps consacré, comme chez Google, qui alloue 20% du temps de travail des salariés à une initiative de leur choix. Ils peuvent ainsi approfondir une idée qui les intéresse personnellement sur leur temps de travail, en contrepartie, l’entreprise s’octroie les innovations réalisées dans ce cadre pour les intégrer à son offre. Aux Pays-Bas, les chercheurs ont pour tradition de consacrer leur vendredi à des recherches personnelles. Dans certains instituts d’études avancées, on réunit des chercheurs en leur demandant d’innover, provoquant ainsi un foisonnement entre disciplines diverses et parfois très éloignées.

Second préalable indispensable : la communication. La configuration des nouveaux espaces de travail peut favoriser le partage afin que la créativité rencontre l’expertise, avec les espaces de co-working, flex-offices, et zones communes de détente. Les nouvelles technologies sociales jouent un rôle essentiel pour que ce partage soit fertile : c’est précisément la communication de non-initiés à un expert, qui a permis à la grotte de Lascaux d’être révélée pour ce qu’elle est. Utilisables hors de l’entreprise, ces outils prolongent le brainstorming en échappant au cadre de référence du bureau, et concourent à plus de porosité entre les champs d’explorations personnelles et l’entreprise.

Pour que cette émulation soit féconde, reste à savoir repérer les opportunités qui en émergent. Louis Pasteur disait : « La chance ne favorise que des esprits préparés ». L’entreprise doit mettre en place une écoute permanente et alerte, pour saisir les fruits de ces expérimentations, identifier et accueillir ce « hasard heureux », pour l’articuler avec ses intérêts ou en déceler le nouveau potentiel. Une politique de recrutement qui introduit de la diversité au sein de l’entreprise, lui permettra de s’entourer d’esprits affûtés, des profils parfois atypiques.

Enfin, il est important que l’entreprise soit capable de se remettre en question pour se réorienter, lorsque le potentiel d’une découverte est supérieur, pour son développement.

Il s’agit de sortir d’une logique de planification, pour privilégier une approche d’opportunités. Paradoxalement, c’est en sortant d’une vision court-termiste que l’entreprise trouvera le chemin le plus court vers l’innovation. Un savant équilibre de stratégie et d’improvisation face aux éléments, de liberté et de contrôle, lui éviteront, à l’instar d’un Christophe Colomb, de passer à côté, qu’il s’agisse de grandes conquêtes ou de petites trouvailles. Ces dernières demeurent de précieuses alliées dans nos économies matures où ce sont souvent les services associés et les petits « détails » qui font toute la différence.

Banques centrales : changement de philosophie

Banques centrales : changement de philosophie

 

La semaine qui s’ouvre sera, pour les marchés financiers, dominée par la réunion de la Banque centrale européenne (BCE), les derniers indicateurs macroéconomiques confirmant l’extrême fragilité de la reprise et l’absence totale d’inflation (+0,7% sur un an en octobre) en zone euro, ce qui alimente des anticipations de baisse des taux. De leur côté, la Fed et la Banque du Japon ont décidé ces derniers jours de prolonger leur politique d’assouplissement quantitatif ou « quantitative easing » (QE) qui consiste à acheter massivement des actifs, obligations d’Etat et hypothécaires pour la Fed, obligations et actions pour la BOJ. « Le thème de la normalisation des politiques monétaires est un faux ami pour des raisons à la fois conjoncturelles et structurelles », juge Pascal Blanqué, directeur des investissements (CIO) chez Amundi, numéro un de la gestion d’actifs en France. Face aux risques déflationnistes, le Japon et l’Europe vont, selon lui, faire plutôt plus que moins de QE. La BCE ne procède pas à des achats massifs d’actifs mais elle peut baisser son taux principal, le refi (aujourd’hui à 0,5%) ou procéder comme à la fin 2011 à une opération de refinancement à long terme (LTRO à 3 ans), ajoute-t-il. Etienne Gorgeon, CIO chez Tikehau Investment Management, estime lui aussi que les banques centrales ne peuvent pas arrêter totalement le QE même si la Fed, bien que confrontée à une croissance sans emploi et sans inflation, peut être amenée à réduire ses rachats d’obligations (85 milliards de dollars par mois pour l’instant). Il explique que les montagnes de liquidités qui ont été déversées depuis cinq ans par les banques ont profité aux marchés financiers, notamment aux actifs risqués, actions et obligations d’entreprises, et non à l’économie réelle. Depuis le début 2009, rappelle-t-il, il y a eu 324 baisses de taux dans le monde, essentiellement dans les pays développés. La liquidité mondiale est passée dans le même temps de 12.600 milliards de dollars à 21.500 milliards, soit une hausse de 8.900 milliards, la capitalisation des marchés d’actions de 25.500 à 60.300 milliards de dollars (+34.800 milliards) et celle des marchés obligataires de 27.000 à 42.400 milliards (+15.400 milliards). Sur la même période, le PIB mondial nominal n’est passé que de 58.100 à 71.900 milliards de dollars, une croissance de 13.800 milliards sans commune mesure avec celle des actifs financiers. Au-delà des contraintes conjoncturelles, « le thème de la liquidité va continuer à dominer », dit Pascal Blanqué pour qui les banques centrales sont « en train de changer d’ADN ». « On est en train d’abandonner un modèle de Banque centrale du type Paul Volcker » (président de la Fed de 1979 à 1987) qui s’était fait le champion de la lutte contre l’inflation et du contrôle de la masse monétaire. »La nécessité a introduit une nouvelle pratique des banques centrales : le non-conventionnel », poursuit-il. « Il est clair qu’elles ont intégré le prix des actifs financiers dans leurs objectifs ». »On verra émerger une théorisation de ces pratiques. Le non-conventionnel qui dure devient du conventionnel », explique Pascal Blanqué.Selon lui, pour lire les politiques de la Fed ou de la BCE il faudrait savoir quels sont aujourd’hui leurs indicateurs clefs. »On est dans une mutation. Il y a un paradoxe de crédibilité : les marchés sont longs (acheteurs, ndlr) de banques centrales au moment où le cadre a perdu de sa lisibilité », souligne-t-il. »Je pense qu’elles vont assumer la présence du prix des actifs. Elles vont assumer le fait que les actifs sont pour elles un objectif et que les bulles existent, ce qu’Alan Greenspan (prédécesseur de Ben Bernanke à la tête de la Fed) niait ».Comme Etienne Gorgeon, il constate que depuis 2008-2010, certains segments de marché ne sont plus régis par les forces du marché. « La Fed est en train de nationaliser certains points de la courbe des taux américaine », dit Etienne Gorgeon qui précise que la banque centrale détient 70% des emprunts d’Etat de maturité 24 à 25 ans. Les deux CIO avancent un autre facteur qui milite en faveur du QE : l’ampleur de l’endettement public et une croissance trop faible. Les banques centrales chercheront donc à retrouver les canaux de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle, et à créer de l’inflation.

 




L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol