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L’agriculture numérisée des multinationales peut-elle être souhaitable et responsable ?

L’agriculture numérisée des multinationales peut-elle être responsable ?

Tant qu’elle restera entre les mains des multinationales, l’incursion croissante du numérique dans l’agriculture suscitera des résistances. Par Ysé Commandré, Université de Montpellier; George Aboueldahab, Université de Montpellier et Romane Guillot, Université de Montpellier

Une partie des agriculteurs voient toutefois d’un mauvais œil cette incursion croissante du numérique dans leurs champs. Le 9 février 2022, après la parution du volet agricole du plan de relance du gouvernement, la Direction départementale des territoires de la Drôme a été occupée par des collectifs d’agriculteurs contestant les 3 axes énoncés dans le plan par l’ancien ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, pour l’avenir de l’agriculture : le numérique, la robotique et la génétique. Car, si elle est souvent présentée comme une solution face aux enjeux environnementaux – par exemple pour réduire l’usage des intrants – « l’agriculture 4.0 » pourrait aussi rendre le secteur tout autant voire plus polluant qu’auparavant.

Aux pollutions « classiques » engendrées par l’agriculture industrielle viendrait s’ajouter la contamination du numérique. Autrement dit, si celui-ci peut contribuer à réduire certaines pollutions agricoles comme celle des intrants, les outils utilisés pour le faire ne sont pas sans impact. Les plus sceptiques perçoivent également le risque d’une perte d’autonomie des agriculteurs et la disparition de formes d’agriculture non productivistes. Dans un rapport de 2021, le bureau d’études Basic concluait que la logique dominante de la numérisation de l’agriculture demeurait la maximisation des rendements et l’industrialisation du secteur.Après une première révolution engendrée par la mécanisation (dans les années 1950) puis une seconde fondée sur l’utilisation d’intrants chimiques (à partir des années 1960), le numérique semble incarner la troisième révolution agricole, largement soutenue par les pouvoirs publics.

L’OCDE incite par exemple les États à s’équiper en images satellitaires afin de « réduire le coût de surveillance de nombreuses activités agricoles. Les responsables de l’action publique pourraient ainsi opter pour des mesures plus ciblées en vertu desquelles les exploitants se verraient octroyer des versements (ou seraient sanctionnés) en fonction de résultats environnementaux observables ».
En France, le secteur public investit 1,1 milliard d’euros dans la recherche agricole en 2015 et ses dépenses sont en hausse de 1,2 % en volume sur un an. Aucun chiffre ne ventile des distinctions entre la R&D liée à l’agriculture numérique et le reste de la R&D mais l’État est actif dans la constitution d’un écosystème en faveur de « l’agriculture numérique ». En témoigne la ferme digitale qui a remis un état des lieux et des besoins de l’écosystème au ministère de l’Agriculture en février 2022.

L’Institut de Convergence DigitAg, visant à rassembler les projets de recherche scientifique sur l’agriculture numérique, s’est vu doter d’une enveloppe de 9,9 millions d’euros sur huit ans. La chaîne YouTube de Public Sénat relaie d’ailleurs aussi des vidéos faisant la promotion du numérique en agriculture.

Tandis que les associations de défense de l’agriculture voient leurs subventions publiques conditionnées à l’engagement de « ne pas troubler l’ordre public » – des subventions ne sont pas reconduites en cas d’actions de leur part considérées portant atteinte à l’ordre public -, les start-up de l’AgTech fructifient sur des levées de fonds, avant d’être rachetées par de grands groupes ou de faire faillite alors même que de l’argent public y avait été investi. Nombre de celles gravitant autour de la robotique et de l’intelligence artificielle sont rachetées par le géant américain du machinisme agricole, John Deere, emblématique des enjeux que posent l’industrialisation et la numérisation de l’agriculture.
Perte d’autonomie
Après l’opposition d’agriculteurs au Digital Millennium Copyright Act, ce constructeur a en effet fait l’objet d’un combat législatif aux États-Unis. Cette loi lui confère l’exclusivité sur la réparation et la modification des logiciels que l’entreprise intègre aux tracteurs qu’elle vend, ce qui force ses clients à passer par des réparateurs agréés… ou bien à pirater le logiciel. Aux États-Unis, la question de l’ouverture au droit à la réparation est maintenant conditionnée à la législation en vigueur dans chaque État fédéré.
Ce type de barrières restreint les capacités de résilience et d’autonomie des agriculteurs qui n’ont plus le droit officiel d’adapter ou réparer ces machines, même s’ils en ont les compétences. Le cas John Deere est le plus décrié à ce sujet et pour cause, en France, un tracteur roulant sur 5 serait un John Deere. Certaines associations comme l’Atelier paysan, essaient de contrer ce phénomène qui consiste à rendre l’autoréparation du matériel agricole impossible.

Bien que les pièces détachées et les services de réparation soient 3 à 6 fois plus rentables que les ventes d’équipements d’origine, John Deere affirme que sa démarche vise avant tout à sécuriser les utilisateurs des engins agricoles. Autrement dit, la tentative d’effectuer une réparation seul•e serait dangereux pour ceux qui sont amenés à conduire ultérieurement les machines.
Uniformisation et appropriation du vivant

Si l’usage du numérique suscite des résistances, c’est aussi parce qu’il est souvent associé à des innovations génétiques, notamment dans le cadre de pratiques de sélection génétique (végétale et/ou animale) dont les modalités sont loin de faire consensus.

Pour être inscrite dans le catalogue officiel, et donc utilisée et vendue légalement à des fins commerciales et productives, une variété doit respecter les critères de « Distinction, Homogénéité, Stabilité », limitant fortement la diversité génétique et la sélection par les agriculteurs. Plusieurs communautés paysannes – au niveau français le Réseau semences paysannes ou en Amérique latine la Via Campesina – demeurent attachées à des pratiques ancestrales qu’elles considèrent plus vertueuses et respectueuses de la biodiversité.
Certains estiment par ailleurs que l’usage du numérique pour les avancées génétiques est responsable de l’appropriation industrielle de ressources naturelles communes.

La multiplication des capteurs et des objets connectés questionne aussi la capacité de l’agriculture 4.0 à évoluer dans des systèmes de cultures diversifiés. Le recours aux semences paysannes, de variétés anciennes et de mélanges variétaux est pourtant recommandé par certaines associations pour mieux s’adapter aux changements climatiques et aux conditions locales. Seulement, la forte hétérogénéité de ces variétés (tailles, formes, besoins en intrants, et autres) les rend difficiles à cultiver à une échelle industrielle. Les avancées génétiques vont au contraire dans le sens d’une logique d’uniformisation du vivant pour faciliter l’usage des nouveaux outils, comme cela a été le cas lors de la mécanisation agricole, en adaptant le vivant aux outils plutôt que les outils au vivant.

Autre dimension controversée liée à la numérisation, la collecte de données qu’elle engendre : grâce aux capteurs et aux ordinateurs embarqués, les logiciels enregistrent et transmettent une multitude de données comme l’humidité du sol, niveau d’azote et autres nutriments, placement des semences, des engrais et des pesticides mais aussi qualité et quantité de la récolte.
Plusieurs chercheurs évoquent le risque de la revente de ces données pour développer de nouvelles solutions à destination… des agriculteurs eux-mêmes. Dès 2011, John Deere a ainsi collecté et transmis à d’autres entreprises du secteur les données de production des agriculteurs utilisateurs de ses tracteurs connectés, et ce sans les avertir.

Mais certains agriculteurs sont aussi prêts à divulguer leurs informations à ces entreprises pour qu’elles améliorent les solutions qu’elles vendent. Le 4e constructeur mondial de tracteurs AGCO Corp., qui fabrique les machines Challenger et Massey Ferguson, refusait initialement de divulguer les données de production de ses clients à un tiers. Certains agriculteurs réclamant plus de services liés aux données, cette politique a été modifiée

À l’échelle sociétale, l’alliance des géants de l’agrochimie et du numérique laisse présager le danger d’une dépendance grandissante de notre alimentation envers les multinationales. La captation et l’usage de données agricoles rendent l’agriculture plus vulnérable : cyberattaques et prédictions de récoltes par territoire constituent des menaces pour la sécurité alimentaire. Or des faiblesses importantes ont été identifiées dans le logiciel de John Deere et les systèmes CNH Industrial de New Holland.

Une agriculture 4.0 aux mains des multinationales fait courir de grands risques au secteur agricole et aux agriculteurs, mais tout n’est pas à jeter dans les outils numériques.
Certains ont peut-être un réel potentiel pour soutenir le développement d’une agriculture résiliente et autonome. À travers leur instantanéité et leur simplicité d’accès, ils peuvent augmenter le partage de connaissances et contribuer à la conservation du savoir paysan. Via les réseaux sociaux, les agriculteurs échangent conseils, retours d’expériences, savoirs liés aux pratiques culturales…

La mise à disposition des données à travers des processus libres, transparents et consentis peut aboutir à la construction de réseaux collaboratifs et améliorer l’accessibilité des agriculteurs aux technologies. Ces initiatives sont cependant limitées par les craintes légitimes des agriculteurs de se voir déposséder de leurs données et de leurs savoirs.
La création des connaissances et des outils numériques par, avec et pour les agriculteurs apparaît indispensable. Certaines initiatives, comme le pôle InPACT, une plate-forme associative issue du rapprochement de réseaux associatifs agricoles, proposent la construction d’une souveraineté technologique des paysans grâce à l’intégration active des agriculteurs aux processus d’innovation et de création. L’objectif est de construire des outils à la fois mieux adaptés, mais aussi intensifs en savoir-faire et en connaissances et qui ne dépossèdent pas les agriculteurs de leur expertise.
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Par Ysé Commandré, Doctorante en sciences de gestion, Institut Convergences Agriculture Numérique, Université de Montpellier ; George Aboueldahab, Doctorant, Université de Montpellier et Romane Guillot, Doctorante, Université de Montpellier.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Présidentielle : Pécresse peut-elle gagner contre Macron?

Présidentielle : Pécresse peut-elle gagner contre Macron?

 

Pour l’instant il est sans doute prématuré de faire des pronostics définitifs quant au résultat possible des élections présidentielles. Aujourd’hui quatre candidats semblent en mesure de se qualifier pour le second tour à savoir évidemment macro mais aussi Le Pen, et Zemmour. La bataille électorale se situe à droite car la gauche est complètement out au point d’ailleurs que des candidats comme Anne Hidalgo ou Montebourg proposent  même de laisser tomber en habillant leur débâcle avec l’illusion d’une possible union de la gauche.

Pour gagner contre Macron, il faudrait que Pécresse gagne environ 10 points  dans l’opinion. La question de savoir si dans son programme et dans sa posture les électeurs trouveront des éléments convaincants. Sans doute pas totalement d’autant que ce n’est pas la première fois qu’un représentant des républicains- depuis Chirac-  promet beaucoup et tient peu. La remontée de Pécresse pourrait surtout venir des déçus de plus en plus nombreux de Macron. Macron qui ne parvient pas vraiment à paraître de gauche mais qui ne parvient pas non plus à convaincre une grande partie des électeurs de droite. Comme d’autres, Macron a beaucoup promis mais son bilan sera cependant assez insignifiant au regard des espérances de la plupart de ceux qui l’ont porté au pouvoir. Macron a déçu beaucoup trop de monde et c’est surtout par rejet de Macron que Pécresse pourrait triompher à condition bien sûr de se qualifier pour le second tour.

Le scénario le plus favorable pour Macron serait d’être affronté à nouveau à Marine Le Pen  pour éviter le très sérieux danger Pécresse.

« La gauche peut-elle s’unir sur l’Europe ? » ( Thomas Piketty )

 « La gauche peut-elle s’unir sur l’Europe ? »( Thomas Piketty )

Dans sa chronique au « Monde », l’économiste regrette les divisions des partis de gauche européens sur la politique commune.

En France comme en Allemagne et dans la plupart des autres pays, la gauche est lourdement divisée sur la question européenne, et plus généralement sur la stratégie à adopter face à la mondialisation et à la régulation transnationale du capitalisme.

Alors que les échéances nationales s’approchent à grand pas (2021 outre-Rhin, 2022 en France), de nombreuses voix s’élèvent pour que ces forces politiques s’unissent. En Allemagne, les trois principaux partis (Die Linke, le SPD et les Grünen) risquent toutefois d’avoir du mal à s’entendre, en particulier sur l’Europe, et certains prédisent déjà que les Grünen finiront par gouverner avec la CDU. En France, les différentes forces ont recommencé à se parler, mais rien ne garantit pour l’instant qu’elles parviendront à s’unir, notamment sur la politique européenne.

Le problème est que chacun des camps en présence est persuadé d’avoir raison tout seul. Du côté de La France insoumise (LFI), on rappelle volontiers que le Parti socialiste (PS) et ses alliés écologistes avaient déjà promis, avant les élections de 2012, de renégocier les règles européennes. Or, sitôt élue, la majorité de l’époque s’était empressée de ratifier le nouveau traité budgétaire, sans rien modifier, faute de plan précis sur ce qu’elle souhaitait réellement obtenir. Les « insoumis » insistent aussi sur le fait que les socialistes n’ont toujours pas indiqué en quoi leur stratégie et leurs objectifs avaient changé et pourraient conduire à un résultat différent la prochaine fois. Force est de reconnaître que la critique est assez juste.

Mais du côté du PS, d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et des autres forces non rattachées à LFI (Génération.s, Parti communiste, etc.), on fait remarquer que le plan des « insoumis » pour changer l’Europe est loin d’être aussi précis et convaincant qu’ils ne le prétendent, et que Jean-Luc Mélenchon paraît parfois plus intéressé par la critique (voire la sortie pure et simple) de l’actuelle Union européenne que par sa reconstruction sur une ligne sociale-fédéraliste, démocratique et internationaliste. Malheureusement, cette critique n’est pas fausse non plus.

Une véritable Assemblée européenne

En théorie, la stratégie de LFI repose certes, depuis 2017, sur l’articulation « plan A/plan B ». Autrement dit, soit on convainc tous les autres pays de renégocier les traités européens (plan A), soit on sort des traités existants pour en construire de nouveaux avec un plus petit groupe de pays (plan B). L’idée n’est pas forcément mauvaise, sauf que les « insoumis » passent plus de temps à brandir la menace de la sortie qu’à décrire les nouveaux traités qu’ils souhaiteraient proposer aux autres pays, que ce soit dans le plan A ou le plan B.




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