La conversion verte du lobby pétrolier : du bidon ?
Un article du Wall Street Journal s’interroge sur la réalité de la conversion verte du lobby de l’industrie pétrolière.
Plus grand lobby de l’industrie pétrolière et gazière de Washington, l’American Petroleum Institute (API) a passé des décennies à mettre sa force de frappe financière au service du dézingage de la moindre initiative écologique se mettant en travers de sa route.
Puis, en mars dernier, tout a changé. L’API a publié son « Cadre pour l’action climatique », un ensemble de recommandations pour faire baisser les émissions et favoriser les énergies propres.
Au centre de la démarche, deux mesures auxquelles le groupe s’est opposé pendant des années : le durcissement de la réglementation du méthane (un gaz à effet de serre qui se dégage lors de l’exploitation et du transport du pétrole et du gaz) et la fixation d’un prix pour le carbone (une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone).
Le défi du changement climatique, affirme le lobby, exige « de nouvelles approches, de nouveaux partenaires, de nouvelles politiques et une innovation constante ».
Les observateurs sont unanimes : le revirement est spectaculaire. Sauf qu’il ne fait plaisir à personne.
Les démocrates restent favorables aux énergies alternatives et sceptiques vis-à-vis de l’industrie pétrolière. Alliés historiques d’un secteur qu’ils ont toujours défendu, les républicains se sentent trahis. Le Congrès, lui, envisage de dépenser des centaines de milliards de dollars pour aider les sociétés de services aux collectivités et les spécialistes de l’éolien et du solaire, en partie en imposant de nouvelles taxes aux compagnies pétrolières et gazières.
Au sein même de l’API, la situation a accentué des dissensions presque aussi vieilles que le secteur : les géants, dont Royal Dutch Shell, BP et Exxon Mobil, ont demandé au lobby d’en faire davantage pour la transition vers des carburants moins polluants et le respect de la réglementation, alors que les autres (les indépendants et les raffineurs) considèrent la démarche comme une menace pour leur activité et estiment que les géants veulent, grâce à elle, consolider leur pouvoir.
Organisation centenaire, l’API essaie tant bien que mal de trouver un consensus acceptable par ses quelque 600 membres, ce qui semble de plus en plus délicat puisqu’aucun n’est d’accord sur la réponse à apporter aux inquiétudes climatiques et aux réactions politiques.
« L’API se trouve en position de faiblesse en ce moment, estime Trent Lott, ancien responsable de la majorité républicaine au Sénat désormais salarié du lobby Crossroads Strategies à Washington qui a travaillé sur les questions de politique énergétique et de taxe carbone. Ils sont tiraillés de tous les côtés. »
Avec un chiffre d’affaires annuel de 200 millions de dollars, essentiellement tiré des cotisations des membres et de son activité de normalisation et de certification, l’API est un géant du lobbying washingtonien. Grâce à ses bureaux en Chine, au Brésil, aux Emirats arabes unis et à Singapour, selon des documents fiscaux, il a une envergure mondiale, ce qui le rend intéressant aux yeux de multinationales très présentes aux Etats-Unis, comme BP ou Shell
De fait, l’API est bousculée par l’évolution des mentalités qui a suivi la conclusion, en 2016, de l’Accord de Paris sur le climat. Outre les majors pétrolières, d’anciens alliés historiques du secteur à Detroit et à Wall Street plaident désormais pour un avenir moins dépendant des énergies fossiles. Autre mauvaise nouvelle : le Parti démocrate a désormais les clés du Congrès et de la Maison Blanche.
L’évolution de la situation influencera la manière dont le secteur pétrolier répondra aux initiatives climatiques, mais aussi la capacité future de l’API à peser sur les lois et les réglementations. En désaccord sur la stratégie climatique, plusieurs membres ont menacé de claquer la porte et TotalEnergies a résilié son adhésion en janvier de cette année.
Pour l’heure, le lobby a réussi à endiguer l’hémorragie, et même accueilli de nouveaux membres.
Avec un chiffre d’affaires annuel de 200 millions de dollars, essentiellement tiré des cotisations des membres et de son activité de normalisation et de certification, l’API est un géant du lobbying washingtonien. Grâce à ses bureaux en Chine, au Brésil, aux Emirats arabes unis et à Singapour, selon des documents fiscaux, il a une envergure mondiale, ce qui le rend intéressant aux yeux de multinationales très présentes aux Etats-Unis, comme BP ou Shell.
Outre son activité de lobbying, l’API est aussi l’arbitre des normes techniques du secteur (exigences pour les équipements de pompage ou le forage en eaux profondes), des normes intégrées aux règles locales et fédérales qui servent de référence aux régulateurs du monde entier. De son côté, sa division services certifie le matériel de forage, les stations-service et les différents types de carburant.
Pendant des années, l’API a usé de son influence pour entraver la montée en puissance du lobby écologiste, minant les tentatives de durcissement des normes de pollution à l’ozone, contribuant à la levée de l’interdiction des exportations de pétrole et anticipant l’adoption de mesures de limitation des émissions de méthane.
Son coup de maître ? Participer, en 2009, au sabordage du projet de loi dit Waxman-Markey, dernière tentative législative ambitieuse pour limiter les émissions de gaz à effet de serre par des sanctions pécuniaires.