Coronavirus : pour une solidarité des pertes
Quatre enseignants-chercheurs en gestion proposent d’appliquer au financement des pertes économiques dues à la pandémie le principe des « avaries communes », qui répartissait les pertes des « fortunes de mer » du commerce maritime depuis l’Antiquité.
Tribune. Face à la pandémie, le gouvernement à fait le choix de mesures de confinement sans précèdent. Largement acceptée, cette décision a bouleversé le fonctionnement économique et social du pays, entraînant des conséquences majeures particulièrement inégales pour les citoyens, comme pour les entreprises. De nombreux secteurs sont durement impactés (restauration, transports, tourisme, etc.), tandis que d’autres s’en sortent mieux, voire sont gagnants (commerce en ligne, industrie du numérique, fabricants de matériel médical).
L’Etat s’est engagé à limiter les impacts négatifs du confinement en finançant par la dépense publique le chômage partiel, la suppression des charges ou les primes aux indépendants. Devant l’ampleur de ces dépenses, qui dépassent de loin les finances publiques habituelles, se posent inévitablement plusieurs questions : qui va payer ? Comment financer la relance sans accentuer les inégalités ? Faut-il, comme le proposent certains, rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou taxer les multinationales ?
Pour répondre à ces questions, il faut d’abord s’interroger sur les principes de justice adaptés aux sacrifices décidés au nom de l’intérêt public.
Or, c’est à ce type de situations que répond le principe des avaries communes. Né pendant l’Antiquité pour gérer le danger en mer – et en vigueur depuis 2 500 ans –, il impose aux participants et aux associés d’une expédition maritime d’être économiquement solidaires vis-à-vis des marchandises que le capitaine choisit de « jeter à la mer » pour éviter le naufrage. C’est ce principe de justice original qui justifie l’acceptabilité du sacrifice demandé.
En pratique, une fois le bateau sauvé, on estime les pertes dues au jet à la mer ainsi que les richesses sauvées. On peut alors calculer un « taux d’avarie » (pertes dues au jet/richesses sauvées), qui sera appliqué à la richesse à l’arrivée de chacun des membres et déterminera sa contribution au sacrifice collectif. Les pertes sont ainsi réparties entre tous les partenaires de l’expédition au prorata de ce que chacun a pu sauver grâce au geste du capitaine. L’effort ne pèse donc pas sur ceux qui étaient les plus riches avant le jet, mais sur ceux qui ont le plus bénéficié de ce dernier.