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Bruit de bottes dans le golfe Persique

Bruit de bottes dans le golfe Persique

 

l’Europe et la France doivent jouer leur rôle de médiateur en condamnant avec fermeté l’usage abusif de l’option militaire pour Emmanuel Dupuy*, président de l’Institut Prospective & Sécurité en Europe (IPSE)– chronique dans la tribune:

 

 

Il y a quelques jours, la revue Foreign Policy nous apprenait que, en juin 2017, l’Arabie saoudite avait l’intention d’envahir le Qatar. Pensé en concertation avec les Émirats arabes unis (EAU), ce projet visait à « punir » Doha pour sa politique étrangère jugée trop indépendante vis-à-vis des positions dominantes et dominées par Riyad et Abou Dhabi au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG). En prévoyant de transformer le Qatar en protectorat, Riyad et Abou Dhabi souhaitaient aussi réimposer leur leadership régional dans un contexte de bras de fer tendu avec l’Iran.

Cependant, ce plan n’a pas été mis en œuvre même si, à la place, il en a résulté, en juin 2017, un long blocus auquel a su faire face le Qatar, eu égard à la résilience de la « gazomonarchie », deuxième exportateur de gaz naturel (GNL). La prestigieuse revue américaine a notamment précisé que c’était Donald Trump en personne qui avait alors émis son veto au roi saoudien Salman ben Abdelaziz.

Il y a quelques jours, les EAU décidaient d’officialiser leur rapprochement avec Israël, en ouvrant des relations diplomatiques, rejoignant ainsi l’Égypte et la Jordanie qui avaient fait de même en 1979 et 1994.

Une région aux fractures incandescentes

Cette décision, fragilisant de facto la position palestinienne, conforte aussi l’idée selon laquelle cette décision a été prise dans la même logique opposant les États du golfe Persique, sur fond de crise entre le Qatar et le Quartette (EAU, Arabie saoudite, Bahreïn et Égypte), d’accusations de rapprochement avec l’Iran et désormais d’options diplomatiques de plus en plus divergentes sur les dossiers libyens et syriens.

Même si le président américain était connu à l’époque pour être un fervent partisan de l’axe Riyad-Abou Dhabi-Tel Aviv, ses plus proches conseillers lui avaient rappelé que ce coup de force risquait de mettre gravement en danger la base américaine d’al-Udeid. Situé au sud de Doha, ce camp – qui peut abriter jusqu’à 10 000 soldats – représente la plus grande base militaire de l’US Army en dehors du sol des États-Unis et constitue la base arrière de son action armée contre Daesh en Syrie et en Irak.

L’option militaire reste ainsi, pour certains responsables politiques de la zone, une voie légitime de règlement des conflits, dans une région du monde déjà traversée par des lignes de fractures incandescentes entre les rives septentrionales et méridionales du Golfe. Celles-ci fragilisent et touchent les populations, mettent en péril l’approvisionnement international en pétrole et en gaz et fragilisent, de facto, tous les efforts menés depuis des années par certains États, dont la France, pour lutter contre des défis aussi considérables que la lutte contre le terrorisme ou la prolifération des armes de destruction massive (ADM).

 

Certes, la défense de l’intérêt national demeure une priorité pour les États et nul ne peut remettre en cause cette réalité qui a toujours guidé les acteurs de la scène internationale. Mais cette considération doit-elle, pour autant, nous laisser passif et silencieux face à des comportements dangereux ?

C’est, en ce sens, qu’il est important que la société civile, la communauté académique, les think tanks ainsi que les parlementaires se mobilisent pour que l’opinion publique prenne enfin conscience que, dans un monde où la sécurité collective est devenue l’affaire de tous et où la conflictualité entre États ne peut se réduire à un jeu à somme nulle, ce genre de provocations nous éloigne de la paix et de la stabilité auxquelles les peuples de cette région du monde aspirent. Au sein du Golfe, même s’il convient de garder des liens étroits avec tous les États, notamment ceux qui ne partagent pas entièrement notre vision de la démocratie, à l’instar de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, cette lecture « réaliste » des rapports de force ne doit pas pour autant nous interdire de tenir un langage de vérité avec nos alliés.

Car l’invasion du Qatar aurait eu deux conséquences majeures. Non seulement, elle aurait plongé le golfe Persique dans le chaos faisant ainsi basculer tout le Moyen-Orient dans un nouveau cycle de violences. Mais, de plus, elle aurait envoyé un signal dévastateur pour tous ceux qui caressent la sombre idée que la brutalité et l’usage de la force non régi par le droit international peuvent constituer une voie légitime pour sceller des différends et ainsi remplacer la diplomatie.

L’impuissance de l’Europe en question

Devant ce triste constat, il importe à l’Europe, en général, et à la France, en particulier, de jouer davantage son rôle de médiateur et de facilitateur. À cet égard, l’actuelle dérive inextricable de la situation en Libye doit également nous interpeller. L’impuissance de l’Europe a permis de transformer ce pays central du pourtour méditerranéen en théâtre des rivalités extérieures où ce sont désormais des puissances aux relents expansionnistes comme la Turquie et la Russie qui tiennent les rênes.

Au cœur de la région du Golfe et en Méditerranée orientale, cet effacement européen risque d’avoir les mêmes effets. Déjà meurtrie par le drame sans nom du Yémen, la péninsule Arabique ne peut se permettre une nouvelle tragédie, notamment à l’heure où la communauté internationale se mobilise pour freiner le risque terroriste et résorber la crise sanitaire de la Covid-19 et la récession économique qui s’en suit.

Sur ce sujet, l’apport de notre pays demeure capital. La France doit ainsi être au rendez-vous de cette histoire, comme elle le fut au début du Vingtième siècle au Levant, en 1990-1991 dans le golfe Persique ou en 2003-2004 en Irak durant la guerre.




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