L’emploi sous perfusion en France
Le plein-emploi vanté par le gouvernement repose sur un double trompe-l’œil, analyse, dans une tribune au « Monde », l’économiste Bruno Coquet, qui pointe deux failles : le niveau anormalement haut du nombre de départs avec l’assentiment de l’employeur et le montant aujourd’hui élevé des aides publiques et subventions à l’emploi.
Des économistes avancent tout de même plusieurs éléments pour expliquer La relative bonne situation de l’emploi en France. D’abord, de nombreuses entreprises auraient fait de la rétention de main d’œuvre dans la perspective d’une reprise économique vigoureuse une fois la crise sanitaire terminée. Un maintien des effectifs d’autant plus facile qu’il a été encouragé par toutes les aides Covid versés par l’Etat.De la même manière, l’emploi subventionné, notamment à travers les aides à l’apprentissage, explique sans doute en partie les bons résultats du marché du travail en cette période pourtant perturbée. Tout comme les tensions de recrutement qui restent très fortes NDLR
L’épaisseur du code du travail aux oubliettes, les difficultés de recrutement sont la nouvelle boussole des réformes, désignées comme le frein ultime au plein-emploi alors même qu’elles en sont un symptôme qui ne peut qu’empirer à l’approche du Graal. Quel que soit l’indicateur, barrières à l’embauche, pénuries, tensions, emplois vacants, la difficulté à recruter atteint en effet des niveaux inégalés depuis très longtemps. Le ministère du travail les attribue à de multiples causes : principalement le rythme très élevé des embauches, un déficit d’actifs, de compétences, l’inadéquation géographique en offres et demandes, la qualité des emplois, etc.
Cette complexité un peu ennuyeuse à analyser est éclipsée par des explications plus imaginatives : c’est la faute de l’époque, de la crise sanitaire, d’une prise de conscience existentielle, en particulier chez les jeunes dont l’engagement professionnel serait plus utilitariste que celui de leurs aînés, etc. dont même la loi sur la « réforme du travail » fait son miel : « les actifs modifient leurs aspirations professionnelles et changent davantage d’entreprise, voire de métier. Les entreprises connaissent de ce fait des difficultés de recrutement bien plus importantes qu’avant la crise ».
Une occasion bienvenue de faire un sort à tout ce qui est susceptible de favoriser la très française « préférence pour le chômage ». L’assurance-chômage fait office de coupable idéal : les contrôles de Pôle emploi et les droits rognés ne suffisant pas, les chômeurs indemnisés continueraient de préférer le confort des allocations-chômage à la reprise d’emploi. C’est aller un peu vite : d’une part les chômeurs indemnisés sont une minorité, d’autre part leur nombre diminue très vite, alors que celui des demandeurs d’emploi inscrits mais non indemnisés est inerte.
Au-delà d’anecdotes évoquant des fraudes, les faits ne montrent pas que les règles d’assurance-chômage stimulent les difficultés de recrutement actuelles. En théorie, ce lien est possible, mais avant de l’invoquer il faut résoudre une énigme bien plus épaisse encore : pourquoi des chômeurs non-indemnisés n’acceptent-ils pas ces emplois vacants ? On l’ignore.