Politique : pourquoi le système marseillais perdure ?
Cesare Mattina, sociologue au Laboratoire méditerranéen de sociologie de l’université Aix-Marseille, revient dans l’Opinion sur les spécificités du système politique marseillais
Gaston Defferre, maire de Marseille de 1953 à 1986.
Martine Vassal a finalement renoncé à être la candidate du parti Les Républicains pour l’élection du maire de Marseille. Elle s’est toutefois accrochée à cette possibilité malgré sa défaite sur l’ensemble de la ville et dans son propre secteur. Qu’est-ce que cela dit de la politique marseillaise ?
Il y a deux explications à cela. C’est d’abord l’histoire de la ville. En 1983, pour la première élection municipale organisée suivant le mode de scrutin dit « Paris-Lyon-Marseille », Gaston Defferre devient maire alors qu’il est minoritaire en voix. L’autre explication tient au fait que Martine Vassal, présidente de la métropole et du conseil départemental, s’imaginait toute puissante en pouvant négocier des dépenses pour tel ou tel territoire. Le retrait de la course de Martine Vassal prouve au moins que le suffrage universel a encore un minimum de poids.
On a tendance à caricaturer Marseille en ville des outrances publiques mais n’est-ce pas plutôt une métropole qui décide de son avenir dans l’ombre des coulisses ?
La personnalité de Gaston Defferre a beaucoup marqué cette ville. Son anticommunisme, dans un contexte de guerre froide, ainsi que son lien personnel avec la bourgeoisie marseillaise – il a épousé la fille d’un armateur, lui a permis de nouer une alliance du socialisme et de la droite libérale et patronale représentée par la famille Rastoin.
Ce système ne s’est pas éteint à la mort de Gaston Defferre en 1986 ?
Non, Jean-Claude Gaudin a ensuite assuré la continuité de ce « defferisme ». Il a gardé les quartiers nord de la ville hors de la majorité, le centre du pouvoir dans le sud et des alliances de groupes sociaux composites entre entrepreneur, bourgeoisie locale et fonctionnaires municipaux, qui mêlent eux-mêmes classes moyennes et populaires. Pour qu’un tel système s’éteigne, cela prend du temps. D’ailleurs, la droite a bien résisté aux législatives 2017 dans un contexte national de vague LREM.
Et aux municipales cette année ?
La droite a perdu des secteurs mais il faut prendre en compte l’abstention. Avec une participation plus importante des électeurs âgés, elle aurait gagné le 6e secteur. La perte du 4e (dans lequel Martine Vassal s’est présentée, N.D.L.R.) est plus surprenante. C’est un premier élément de rupture intéressant. Le système bat de l’aile mais il n’est pas mort.
Existe-t-il une spécificité marseillaise ?
Tout ne fait pas partie du folklore local. Marseille est une ville très stigmatisée. Cette image de ville maudite biaise beaucoup la perception.
Mais Jean-Claude Gaudin lui-même expliquait qu’on ne pouvait pas comprendre Marseille si l’on n’était pas marseillais…
C’est une image qu’il voulait donner de lui-même à la population. Il dénonçait le « Marseille bashing », les journalistes parisiens qui ne descendent que lorsque se déroulent des fusillades dans les quartiers du nord de la ville. Dans le même temps, il a ouvert grand les portes à Netflix, qui a produit une série bourrée de clichés. Il était complètement dans la contradiction.
Qu’est-ce qui explique alors ce jeu complexe et historique d’alliances et de revirements ?
Ce n’est pas la ville mais le mode de scrutin par arrondissement qui en est à l’origine. La loi « PLM » avec huit secteurs, chacun composé de deux arrondissements, a favorisé les alliances entre des groupes sociaux différents. Finalement, une fois qu’un candidat a réussi à prendre les quartiers bourgeois, il a déjà en main trois secteurs sur huit (le 4e, le 6e et le 5e). Il ne lui en manque plus qu’un pour devenir maire de la ville : le 3e ou le 1er. Les quartiers « nord » restent ainsi à l’opposition. Leur abandon s’explique comme ça. Voilà ce qu’a permis la loi « PLM ».
Cette année, la gauche a repris à la droite les secteurs du centre et du sud. La droite a, elle, remporté le 7e secteur détenu par le Rassemblement national. Ces basculements ne sont pas le signe que la fracture entre le nord et le sud se résorbe ?
Pas du tout. Dans le 7e secteur, la gauche a commis une grosse erreur en se retirant face au RN. Elle aurait dû s’entendre avec Samia Ghali dans le 8e et maintenir sa liste dans le 7e. Ce n’est pas un changement de paysage politique mais une erreur stratégique.
Entre Gaston Defferre et Jean-Claude Gaudin, il y eut Robert Vigouroux, maire de 1986 à 1995. Etait-ce une parenthèse dans la gestion de la ville ?
Il n’était pas dans la continuité de Gaston Defferre. Il a mis en place une politique managériale, recentré toutes les ressources de la technostructure autour du cabinet du maire, fait venir des experts de Paris pour lancer des programmes de métropolisation. Les politiques urbaines ont pris le pas sur la politique. Dès son arrivée en 1995, Jean-Claude Gaudin a dénoncé ce mode de gouvernance. Il a redonné du pouvoir aux conseils municipaux et aux tractations politiques.
Vous dites qu’il va falloir du temps pour que Marseille change de système municipal. Même en cas d’élection d’un maire de gauche ce samedi ?
Les changements sont déjà là. L’effondrement de la rue d’Aubagne, la dégradation des services publics (piscines, écoles, musées), les scandales de gestion dénoncés par la Cour des comptes, ce n’est pas rien. Mais, il va falloir du temps pour que Marseille change, d’autant qu’une maire de gauche sera minoritaire face à la métropole, au département et à la région, tous à droite. Même sur un plan urbanistique, il y a beaucoup à faire. Marseille est une ville très étendue, très composite. Il faudrait beaucoup d’argent pour créer un système de transports efficient. Or, le temps urbanistique est plus long encore que le temps politique.