Parole d’expert : le pétrole à 90 dollars et la baisse des taux aux Etats-Unis
Comme disait un humoriste célèbre, la difficulté en prospective c’est de prévoir l’avenir. En cette période d’incertitude et de bouleversements mondiaux nombre d’experts s’exercent pourtant aux travaux de prévision. Ainsi est-il intéressant de relire une prévision d’un expert Nicolas Meilhan, ingénieur économiste, parue dans le monde en juillet. L’intéressé prédit que le baril de pétrole sera à 90 $ en fin 2016 et que la banque fédérale baissera encore ses taux du fait des signes de récession des États-Unis. Des prédictions qui se fondent sans doute largement sur le marc de café car contredite par les réalités aujourd’hui. Faut-il pour autant se passer de l’avis des experts ? Sans doute non, mais on doit accueillir leurs visions avec une certaine prudence compte tenu des incertitudes des facteurs explicatifs interactifs qui alimentent les grandes évolutions économiques et sociales. Ce monde à caractère systémique est de plus en plus difficile à observer et encore davantage à prévoir. Ce que démontre l interview de Nicolas Nicolas Meilhan de juillet 2016
L’interview de Nicolas Meilhan dans le Monde
Nicolas Meilhan : Il existe plusieurs types de pétrole. En ce qui concerne le pétrole conventionnel, l’a reconnu que le pic pétrolier avait été passé en 2010. Le pétrole non conventionnel (schiste, sables bitumineux), lui, est en forte croissance. Depuis 2014 et la chute de 70 % du prix du pétrole, les investissements ont ralenti significativement, notamment aux Etats-Unis.
En novembre 2015, on a atteint un pic de production – plus de 80 millions de barils par jour. Aux Etats-Unis, la production a déjà baissé de 1 million de barils par jour depuis son pic de juin 2015. Du côté des investissements de l’industrie pétrolière et gazière, on est passé de 760 milliards de dollars par an en 2014 à 380, ce qui est du jamais vu dans l’histoire de l’industrie: deux années de suite de baisse de l’investissement, qui auront un impact sur la production en 2017, 2018 et 2019. Ajoutez à cela la production de l’OPEP déjà à son maximum. Il n’est pas sûr que l’on puisse dépasser à nouveau ce maximum de novembre 2015.
La ressource du pétrole est-elle encore disponible en quantités considérables ?
La ressource pétrolière est là en quantité infinie. Le problème est de savoir quelle quantité on va être capable d’extraire et à quel prix. Aujourd’hui, le pétrole qu’on peut se payer, c’est 100 dollars. A ce prix là, on va être capable d’en extraire de moins en moins.
Le prix du baril ce n’est pas 100 dollars aujourd’hui. Comment va se comporter ce prix, et quels sont les facteurs qui le déterminent ?
Les prix ont baissé de 70 % depuis juin 2014. L’explication donnée à cela est l’exploitation de pétrole de schiste américain qui a abreuvé le marché. A l’ASPO, nous avons une explication un peu différente : depuis 13 ans, il y a une corrélation très forte entre le prix du pétrole et la valeur du dollar. Plus le dollar baisse par rapport à l’euro, plus le prix du pétrole monte. Depuis fin 2008, la Réserve fédérale américaine (Fed) a imprimé beaucoup d’argent via différents assouplissements quantitatifs, qui ont dévalué le dollar à chaque fois. En juin 2014, la Fed a annoncé la fin de cet assouplissement quantitatif, le dollar s’est donc renforcé considérablement. On connait actuellement un plus haut du dollar sur les 15 dernières années. Mais cette situation n’est pas tenable : l’économie américaine montre des signes d’entrée en récession. Le dollar va donc faiblir et nous pensons au sein des Econoclastes que d’ici la fin de l’année, la Fed va à nouveau baisser ses taux, imprimer de l’argent, ce qui dévaluera le dollar de 20 %, et fera remonter les prix du pétrole. Ma position, c’est un prix du baril à 90 dollars d’ici la fin de l’année. Je pense aussi que beaucoup de gens ont donné l’OPEP comme mort, et je crois que c’est faux. Maintenant que l’Iran est revenu à sa production pré-sanction, personne ne les attendait à ce niveau cette année, l’OPEP peut renaitre de ses cendres et pourrait même décider de réduire sa production de quelques millions de barils afin de mettre le marché en déficit afin de faire remonter les prix.
On va donc voir doucement se réduire les quantités de pétrole disponible ?
La consommation de pétrole est difficile à estimer. Le pétrole ça ne coûte rien. C’est moins cher que de l’eau. 100 dollars, qu’est-ce que c’est ? C’est 50 centimes le litre. Combien coûte 1 litre d’eau minérale ? Plus de 50 centimes. Et on en « boit » deux fois plus (environ 4 litres par jour de pétrole pour un Européen). Aux Etats-Unis, depuis que les prix du pétrole ont baissé, comme leur carburant est beaucoup moins taxé qu’en Europe, les Américains se sont tous mis à racheter des 4×4 et la demande est repartie. Le record de consommation d’essence de toute l’histoire des Etats-Unis a été battu la semaine du 23 juin 2016. L’Inde est également un gouffre à pétrole. La demande est très souvent sous-estimée.
Dérèglement climatique : passer de la parole aux actes, comment ?
Dérèglement climatique : passer de la parole aux actes, comment ?
Il n’est pas étonnant que les jeunes (aussi de moins jeunes) manifestent de façon aussi massive contre l’inertie des différents pouvoirs politiques vis-à-vis du dérèglement climatique. En effet en dépit des conférences et des grandes annonces médiatiques, le monde fait presque du surplace même si on peut constater ici ou là quelques actions positives. Mais globalement des actions qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ce que réclament les jeunes qui ne sont pas encore prisonniers des contingences politiciennes, c’est de traduire les paroles en actes. Or la problématique est complexe car elle remet en cause le mode de production, le mode de consommation et même le type de civilisation. Ce que ne souhaitent pas évidemment les lobbys internationaux qui détiennent le vrai pouvoir et qui souhaitent continuer de transformer le citoyen en simples consommateurs. Pas question de changer le mode de production source pourtant de gâchis énorme de matières premières, de logistique, de transport ; source aussi d’émissions polluantes. Ainsi le moindre produit de base effectue des milliers de kilomètres pour sa production, sa commercialisation et sa distribution. Ceci vaut pour un produit un peu sophistiqué comme l’automobile mais aussi comme un produit élémentaire comme un simple yaourt. En outre nombre d’objets de consommation vivent une obsolescence programmée. À dessein ils ne sont pas réparables. Parfois quand ils le sont aucune organisation ne permet de les remettre en état. En outre la fiscalité qui pèse sur les systèmes de remise en état rend l’opération financièrement non rentable. Or il y aurait sans doute là d’énormes gisements d’emploi qui par ailleurs pourraient contribuer à la préservation de la planète. La responsabilité incombe à ces grandes sociétés multinationales qui ne voient que le consommateur dans le citoyen et développe une culture de consumérisme. . Elle incombe aussi aux pouvoirs politiques trop souvent sous la tutelle des grands lobbys financiers. On doit aussi mettre en évidence la responsabilité du consommateur qui peut et doit changer son mode de vie et n’est pas forcément contraint d’acheter des produits rapidement obsolètes ou encore des produits inutiles. Pour être cohérent, il convient évidemment de tenir et d’articuler les éléments économiques, environnementaux, sociaux voire culturels. L’exemple le plus caricatural est sans doute celui de l’automobile conçue pour transporter au moins cinq personnes en moyenne ou 500 kg alors que le taux d’occupation d’une voiture est en moyenne de 1,2 personne. Des voitures conçues toutes pour circuler 250 à 200 km/h voire davantage alors que la vitesse est limitée à 80 et 130 sur autoroute. On pourrait prendre bien d’autres exemples comme le business scandaleux de la commercialisation de l’eau en bouteille. Les jeunes en raison d’interpeller fortement les responsables du monde entier car en vérité rien ne change fondamentalement. Ajoutons à cela la folie de la métropolisation qui détruit les équilibres naturels et augmente largement des émissions polluantes. Certes on ne transformera pas du jour au lendemain le mode de production et le mode de consommation mais c’est maintenant qu’il convient de commencer pour obtenir des effets significatifs d’ici 10, 20 ou 30 ans.