La parole aux universitaires pour relever le niveau politique
Les scientifiques peuvent être des « alliés précieux » pour éclairer le débat public, défend, dans une tribune au « Monde », l’astrophysicien Hervé Dole, vice-président de l’université Paris-Saclay.
Au-delà de la préoccupation légitime de nos concitoyens concernant le pouvoir d’achat, de nombreux sujets liés et structurants pour notre société sont quasiment absents du débat public.
Quels politiques abordent sérieusement et en profondeur des sujets comme la pérennité de notre système de santé, l’éducation et la recherche, la justice, la jeunesse, l’environnement, le climat, le développement soutenable, la justice sociale et fiscale, la culture, ainsi que les problématiques liées à la ruralité et au périurbain, à la mobilité, à la diversité dans les recrutements et emplois, au modèle énergétique et agricole de demain, aux migrations, à l’Europe ?
Les universitaires de toutes spécialités (sciences humaines et sociales, sciences naturelles, expérimentales, de santé et du vivant) ont des éléments concrets à apporter au débat afin d’éclairer la décision publique et les citoyens, dans le cadre d’un échange fructueux entre sciences et société, oblitérant l’hystérisation médiatique et les contre-vérités qui circulent.
Les universitaires participent à décrire et comprendre le monde dans l’espace et le temps. Ils scrutent l’émergence et la structure du monde physique depuis le Big Bang, le vivant durant les derniers milliards d’années, et les individus, leurs interactions, les sociétés ainsi que leurs représentations et imaginaires. Les scientifiques ont l’habitude d’analyser et d’objectiver les interactions et les systèmes complexes, qu’il s’agisse de particules élémentaires, de virus, du microbiote, de fourmis, des chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru, de la palette de Sonia Delaunay, de biodiversité, du climat, de réseaux sociaux ou de démocratie.
Les scientifiques (qui sont aussi des citoyens) ne détiennent pas la vérité, mais leurs méthodologies s’appuyant sur des faits ou mesures objectifs permettent d’appréhender le moins mal possible et avec nuance et réfutabilité la complexité du monde, en lien étroit avec la société et les citoyens, quand cela s’y prête.
A la différence de la liberté d’expression qui permet de tout dire, y compris n’importe quoi comme nous l’entendons quotidiennement, la liberté académique permet de tout dire, sauf justement n’importe quoi, puisqu’elle repose sur une démarche objective et exigeante dans la durée.
Dépasser les slogans puérils
Les scientifiques peuvent donc être des alliés précieux pour éclairer le débat public et aider à l’élaboration de politiques publiques. Encore faut-il qu’ils s’expriment ou qu’ils soient plus sollicités, et que le distinguo soit fait entre la science et la technologie, entre scientifiques (dans leurs domaines de compétences) et fabricants de doutes ou autres gourous médiatiques.
Dérèglement climatique : passer de la parole aux actes, comment ?
Dérèglement climatique : passer de la parole aux actes, comment ?
Il n’est pas étonnant que les jeunes (aussi de moins jeunes) manifestent de façon aussi massive contre l’inertie des différents pouvoirs politiques vis-à-vis du dérèglement climatique. En effet en dépit des conférences et des grandes annonces médiatiques, le monde fait presque du surplace même si on peut constater ici ou là quelques actions positives. Mais globalement des actions qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ce que réclament les jeunes qui ne sont pas encore prisonniers des contingences politiciennes, c’est de traduire les paroles en actes. Or la problématique est complexe car elle remet en cause le mode de production, le mode de consommation et même le type de civilisation. Ce que ne souhaitent pas évidemment les lobbys internationaux qui détiennent le vrai pouvoir et qui souhaitent continuer de transformer le citoyen en simples consommateurs. Pas question de changer le mode de production source pourtant de gâchis énorme de matières premières, de logistique, de transport ; source aussi d’émissions polluantes. Ainsi le moindre produit de base effectue des milliers de kilomètres pour sa production, sa commercialisation et sa distribution. Ceci vaut pour un produit un peu sophistiqué comme l’automobile mais aussi comme un produit élémentaire comme un simple yaourt. En outre nombre d’objets de consommation vivent une obsolescence programmée. À dessein ils ne sont pas réparables. Parfois quand ils le sont aucune organisation ne permet de les remettre en état. En outre la fiscalité qui pèse sur les systèmes de remise en état rend l’opération financièrement non rentable. Or il y aurait sans doute là d’énormes gisements d’emploi qui par ailleurs pourraient contribuer à la préservation de la planète. La responsabilité incombe à ces grandes sociétés multinationales qui ne voient que le consommateur dans le citoyen et développe une culture de consumérisme. . Elle incombe aussi aux pouvoirs politiques trop souvent sous la tutelle des grands lobbys financiers. On doit aussi mettre en évidence la responsabilité du consommateur qui peut et doit changer son mode de vie et n’est pas forcément contraint d’acheter des produits rapidement obsolètes ou encore des produits inutiles. Pour être cohérent, il convient évidemment de tenir et d’articuler les éléments économiques, environnementaux, sociaux voire culturels. L’exemple le plus caricatural est sans doute celui de l’automobile conçue pour transporter au moins cinq personnes en moyenne ou 500 kg alors que le taux d’occupation d’une voiture est en moyenne de 1,2 personne. Des voitures conçues toutes pour circuler 250 à 200 km/h voire davantage alors que la vitesse est limitée à 80 et 130 sur autoroute. On pourrait prendre bien d’autres exemples comme le business scandaleux de la commercialisation de l’eau en bouteille. Les jeunes en raison d’interpeller fortement les responsables du monde entier car en vérité rien ne change fondamentalement. Ajoutons à cela la folie de la métropolisation qui détruit les équilibres naturels et augmente largement des émissions polluantes. Certes on ne transformera pas du jour au lendemain le mode de production et le mode de consommation mais c’est maintenant qu’il convient de commencer pour obtenir des effets significatifs d’ici 10, 20 ou 30 ans.