Nouvelles technologies–L’aliénation par les machines parlantes
Tout d’abord, l’installation d’enceintes connectées de plus en plus perfectionnées dans l’espace domestique va accroître considérablement le potentiel d’« intimité » entre l’homme et ses machines. Même si leurs utilisateurs continuent à les considérer comme des objets perfectionnés, beaucoup risquent de leur octroyer dans leur vie quotidienne des formes de prévenance traditionnellement réservées aux humains, à commencer par la politesse, et de les intégrer au monde de leurs relations sociales. Certains pourraient même être tentés de leur attribuer un peu « d’humanité », selon une gradation pour laquelle j’ai proposé de parler de degrés de « personnéité », puisque l’objet n’aura évidemment pas de personnalité, et encore moins d’humanité. L’homme qui parle à la machine parle en réalité toujours à l’homme qui est derrière la machine.
Il en résultera évidemment des problèmes inédits liés à la sécurité et à la préservation de la vie privée. Comment évoluera la représentation que nous avons de ce qu’est notre intimité ? Et que deviendra notre désir de partage quand une machine se présentera à tout moment comme attentive, disponible et jamais fatiguée de nous écouter ? Comment accepterons-nous d’avoir des émotions non partagées quand des machines capables de simuler l’attention et la compréhension humaine rendront à tout moment possible ce partage ? Et même, pourrons-nous encore éprouver une émotion sans la partager ?
Les capacités d’autorégulation, qui permettent à l’être humain d’organiser ses choix, risquent d’être, elles aussi, fortement impactées par la révolution des machines parlantes. La machine « sujetisée », c’est-à-dire partiellement perçue comme un sujet parce qu’elle est dotée d’une subjectivité artificielle, peut rapidement acquérir des pouvoirs de suggestion. Google, Amazon, Facebook et Apple – les fameux GAFA – ne cachent d’ailleurs pas leur ambition de faire de leurs enceintes connectées un cheval de Troie capable non seulement de capturer nos données les plus intimes, mais aussi de nous faire accepter, à terme, d’autres technologies plus invasives encore, utilisant des avatars numériques, puis des robots physiques dotés de capacités « empathiques ».