Elections : le parachutage , un vrai scandale démocratique
par Anne Chemin dans le Monde
C’est une métaphore politique qui renvoie au registre de la guerre : le « parachutage » consiste à envoyer sur le front électoral un officier étranger au bataillon. Pour les législatives, Eric Zemmour avait ainsi choisi de mener campagne dans le Var, Manuel Bompard à Marseille ou Jean-Michel Blanquer dans le Loiret – ce qui leur a valu un procès en illégitimité. Les débarquements de dernière minute, constate le politiste Michel Hastings dans le livre collectif Le Parachutage politique (L’Harmattan, 2003), suscitent le plus souvent une « réprobation éthique » opposant « le petit au gros, la province à la capitale, les gens d’en bas aux gens d’en haut, le bon sens à l’idéologie ».
La pratique est pourtant très ancienne. Sous la monarchie censitaire, au début du XIXe siècle, Guizot et Lamartine se portent candidats dans des régions où ils n’ont aucune attache. « Cette tradition se poursuit sous la IIIe République, observe Bernard Dolez, professeur de science politique à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. A la fin du XIXe, le système des candidatures multiples permet à Thiers, à Gambetta ou au général Boulanger d’être élus dans plusieurs départements – donc, forcément, dans des endroits qu’ils ne connaissent pas. La règle est supprimée en 1889, mais les parachutages restent fréquents : en 1929, Léon Blum devient député d’un département où il se rend très rarement, l’Aude. »
Si l’usage a plus de deux siècles, le terme, en revanche, est récent. Pour l’universitaire François Rangeon, il apparaît en 1951 dans un ouvrage de Maurice Duverger consacré aux partis. « L’auteur met le mot entre guillemets, ce qui indique qu’il s’agit, à l’époque, d’un néologisme », note-t-il dans Le Parachutage politique. Huit ans plus tard, le terme « parachuté » est cité dans L’Année politique, la revue des faits politiques, diplomatiques, économiques et sociaux d’André Siegfried, Roger Seydoux et Edouard Bonnefous : l’adversaire poujadiste d’Edgar Faure lors des législatives de 1958 est alors qualifié de « parachuté de la dernière heure ».
Le parachutage ne constitue pas « une entorse à la loi ou à la théorie démocratique », souligne le politiste François Rangeon. Parce qu’un député n’est pas censé représenter ses électeurs mais la nation tout entière, rien n’interdit en effet à un candidat aux législatives de se présenter dans une circonscription où il n’a aucune attache. « Cette pratique est cependant stigmatisée : elle sert à délégitimer son adversaire, souligne Bernard Dolez. Ce n’est pas le cas en Grande-Bretagne, où la vie politique est beaucoup moins territorialisée que dans l’Hexagone : la coutume veut ainsi qu’un ministre dépourvu de mandat parlementaire se présente dans la première circonscription qui se libère – où qu’elle soit. »