Démocratie : « réenchanter » ou remettre le système politique à plat
Dans un article du Monde, on pose la problématique du réenchantement de la démocratie. La question se pose toutefois du bon choix sémantique car il ne semble pas que ce soit le chant des sirènes qui soient en cause mais plutôt la question de la gestion du bateau démocratique qui coule élections après élections.
Certains parlent en effet de réenchantement ou de recréditer le roman national , bref de libéraliser en quelque sorte l’opium du peuple. Or c’est sur le fond que le système politique est en cause. Améliorer le score des votants dans les urnes ne constituent qu’une dimension étriquée d’une problématique beaucoup plus large qui pose la question des conditions notamment d’émergence de la classe politique, de la démocratie participative, de l’évaluation des résultats dans leur cohérence et leur efficacité.
Bref c’est autre chose qu’une chansonnette qu’il faut pour redonner confiance en la démocratie.
L’article du monde
« Il faut réenchanter la démocratie ! » : Depuis l’annonce du taux d’abstention record lors du premier tour du scrutin des élections régionales et départementales en France, le 20 juin, en particulier chez les jeunes générations, le mot d’ordre s’est intensifié. Le sens de la métaphore se comprend intuitivement. Dans le cadre précis d’une crise de la participation démocratique et dans la bouche de ceux et celles qui l’emploient (politiques, chercheurs, journalistes…), elle signifie : rendre la démocratie plus « attractive », donner l’envie aux citoyens de s’impliquer dans son fonctionnement, lui redonner une capacité à mobilier les imaginaires.
Le succès de cette image dépasse pourtant largement le cadre du politique. Depuis plusieurs décennies, le réenchantement s’est imposé à l’ordre du jour dans tous les domaines de nos sociétés, ou presque : on appelle à réenchanter le pacte social, on affiche son intention de réenchanter la ville, on affirme avoir la solution pour réenchanter l’entreprise, mais aussi le voyage, les régions, le théâtre, la vie, le monde… Comme une promesse de remède miracle, l’expression fleurit ainsi partout où des crises se font jour. Mais de quoi ce désir de réenchantement général est-il le symptôme ?
« Le succès de la terminologie du “réenchantement” a probablement à voir avec l’épuisement d’un paradigme politique dominé par les exigences d’un libéralisme économique qui hypertrophie la rationalité en finalité », analyse Michel Lallement, professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers. Contre l’application d’un calcul coût/avantage à tous les domaines de la vie, le réenchantement entend ainsi replacer la quête de sens au centre des préoccupations.
Car pour chercher le « ré-enchantement », encore faut-il avoir été « dés-enchanté ». L’expression est en effet une référence directe au constat du « désenchantement du monde », une notion forgée par le sociologue allemand Max Weber au début du XXe siècle. « L’expression est une traduction de l’allemand “Entzauberung”, qui signifie littéralement “démagification” et elle renvoie chez Max Weber au refus d’admettre qu’un quelconque moyen magique permette de procurer la grâce divine », souligne Michel Lallement. Cette « démagification » est aux yeux de Weber un processus de long terme qui mène les croyants à ne plus se reposer sur des rituels « magiques » comme la transsubstantiation, mais à rationaliser leurs comportements pour assurer le salut de leur âme. Si Weber voit les prémices de cette association de la raison et du salut par les croyants dans le judaïsme antique, c’est bien son adoption par les sectes protestantes qui accélère le mouvement de rationalisation des sociétés occidentales, au point de constituer un marqueur de la modernité.