Revenir aux origines de l’Europe
Le 9 mai, journée de l’Europe, devait être un moment de célébration de la paix et de l’unité puisqu’il marque l’anniversaire de la déclaration Schuman, établie pour forger une coopération plus forte afin d’éviter la guerre. Il est donc poignant que la journée de l’Europe 2022 soit éclipsée par la guerre en Ukraine, qui cause de terribles souffrances humaines et déstabilise la reprise économique post-Covid sur le continent. Par Luc Frieden, président d’Eurochambres et Alain Di Crescenzo, président de CCI France.
Les chambres de commerce et d’industrie ont été des acteurs importants de la trajectoire économique de l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, Eurochambres a contribué activement au processus d’intégration européenne, qui est passé d’une coopération sectorielle entre six pays à une union politique et économique complexe reposant sur le plus grand marché unique du monde et englobant 27 États membres. Ce sont des réalisations dont les Européens peuvent être fiers et auxquelles les CCI attachent une grande importance.
Nous pouvons nous inspirer des origines de l’Europe dans notre recherche de solutions aux défis d’aujourd’hui. L’intégration européenne a commencé par la mise en commun de la production de charbon et d’acier ; en 2022, alors que nous nous efforçons d’absorber les fortes hausses des prix de l’énergie tout en luttant pour la neutralité climatique, unissons-nous de la même manière pour élaborer une stratégie énergétique européenne coordonnée.
D’un point de vue commercial, le stockage stratégique et collectif des réserves énergétiques est judicieux et permettrait également à l’UE de jouer un rôle proactif dans la transition mondiale vers les énergies renouvelables.
En fait, il n’est pas nécessaire de remonter aux années 1950 pour trouver un précédent ; l’UE a prouvé sa capacité d’achats groupés récemment, dans le contexte complexe et extrêmement pressant des vaccins et des équipements médicaux Covid-19. Inspirons-nous de cette expérience afin de trouver des solutions au grave problème de l’énergie.
La journée de l’Europe est l’occasion d’examiner nos forces et nos faiblesses, nos opportunités et nos risques. Il ne peut s’agir d’une réflexion introspective. Au fil des décennies, l’UE est devenue l’une des économies les plus ouvertes sur l’extérieur et un fervent défenseur d’un système commercial multilatéral fondé sur des règles. Ces principes doivent continuer de guider notre action au moment où nous tentons de mitiger l’impact de la pandémie et de la guerre en Ukraine et relevons les défis mondiaux, tels que la transition environnementale. Ils doivent également nous éclairer pour préparer l’UE à faire face à de futures crises.
Ces principes doivent continuer de guider notre action au moment où nous tentons de mitiger l’impact de la pandémie et de la guerre en Ukraine, où nous relevons les défis mondiaux de la transition environnementale, et où nous préparons l’UE à faire face à de futures crises.
Le 9 mai 2022, l’Europe est plus importante que jamais. Alors que nous arrivons au milieu du cycle politique de l’UE 2019-2024, il est impératif que la Commission européenne et les co-législateurs restent très conscients des conditions d’affaires difficiles qui demeurent à travers l’Europe au cours de la seconde moitié de la législature actuelle de l’UE.
Tel a été le récent message d’Eurochambres aux présidents von der Leyen, Metsola et Michel. Le réseau des CCI accentuera ses actions auprès des décideurs politiques au niveau européen et national pour préconiser des mesures qui relanceront l’économie et renforceront la compétitivité des entreprises européennes. L’UE a besoin d’une communauté d’entreprises saine et prospère, tout comme les entreprises ont besoin d’une UE saine et prospère.
Luc Frieden et Alain Di Crescenzo (*)
Comment faire face aux origines des inégalités
Comment faire face aux origines des inégalités
Un article de Xerfi qui pose la question de la redistribution ( La Tribune)
« Face à la montée des inégalités de revenu et de patrimoine, on songe immédiatement à la redistribution. La progressivité de l’impôt d’une part. Tout l’arsenal des transferts sociaux d’autre part, les revenus dits secondaires (prestations sociales en espèce et en nature, les revenus de solidarité). Réduire les inégalités, c’est plus de progressivité de l’impôt d’un côté, et c’est flécher les aides vers ceux qui sont en position de fragilité de l’autre.
De ce point de vue, la France est un cas d’école. Les indicateurs d’inégalité avant et après impôt et transferts montrent que le système fiscalo-social contribue très fortement à la réduction des inégalités primaires. Si l’on se réfère à l’outil standard de mesure des inégalités que constituent l’indice de Gini, les inégalités primaires de revenu avant impôt et transfert sont d’ampleur similaire, voire légèrement supérieure à celles des principales économies développées. Après impôts et transferts, la France figure plutôt en bas de l’échelle. De façon incontestable, l’État providence continue à jouer un rôle décisif en matière de cohésion.
Le débat s’engage alors inévitablement sur les effets collatéraux non désirés des politiques correctrices. Taxer le capital, ponctionner le revenu des plus riche, affecter des revenus de substitutions à ceux qui ne travaillent pas ou peu, revient à punir l’efficacité d’un côté et à récompenser la sous-qualification de l’autre. Une distorsion qui saperait les racines mêmes de l’attractivité et de la productivité et dégraderait la performance d’ensemble de l’économie. Ce dilemme équité / efficacité, on le connaît. C’est un des plus structurants en économie. Et l’accroissement des inégalités primaires ne fait qu’attiser ce conflit d’objectifs. Il faut alors s’interroger sur le risque d’épuisement de la capacité correctrice de nos outils standards de redistribution. Et sur l’acceptabilité de ces politiques quand elles mettent de plus en plus à contribution les classes moyennes supérieures, pour éviter le risque de fuite de l’assiette fiscale des plus riches.
S’attaquer autrement aux inégalités, est-ce possible ? Il faut d’abord être conscient que nos indicateurs monétaires ne donnent qu’une image très partielle des inégalités. Parmi les angles morts, il y a le fait que pour un même niveau de revenu monétaire, dans certains pays, les ménages ont accès à une ample gamme de services collectifs dont le coût est socialisé, en matière de santé et d’éducation de formation de service de l’emploi notamment, et dans d’autres pas. Ces services sont selon les pays de bonne qualité, d’accès homogène ou sont au contraire dégradés. C’est précisément sur ce terrain que se bâtit l’égalité des chances. Et il est clair c’est une des dimensions décisives de la construction de la cohésion sociale. Ce que certains appellent l’investissement social. C’est en enjeu monétaire certes, mais aussi d’organisation, de ressources humaines, qui engage le grand chantier de la réforme de l’État.
Autre angle mort de la mesure des inégalités de revenu. C’est tout ce qui relève des plus-values. Les inégalités de revenu se cristallisent en inégalités de patrimoine, et les revenus du patrimoine créent une dynamique propre d’accroissement de la richesse qui concentre les gains sur les plus riches. Dans nos mesures standards de revenu, il y a bien ce que l’on appelle les revenus de la propriété, loyers, qui peu ou prou évoluent comme l’inflation, les intérêts et les dividendes qui diminuent avec la baisse des taux. Mais ne figurent pas les plus-values, qui sont la source numéro 1 de concentration des effets de richesse depuis trois décennies. On peut certes taxer ces plus-values au risque que les détenteurs aillent rechercher des cieux fiscaux plus cléments. Mais il faut surtout s’interroger sur le métabolisme de la finance, dont la rentabilité est de plus en plus bâtie sur ces plus-values. Avec des acteurs de la gestion d’actifs de plus en plus concentrés, et influents, to big to fail, et des banques centrales dont la mission première est de maintenir en apesanteur le prix des actifs, au risque de provoquer la grande culbute de la planète finance. Il y a là un dérèglement majeur, dont la correction devrait faire appel à la politique de la concurrence, et mobiliser un arsenal réglementaire qui aujourd’hui demeure toujours insuffisant.
Reste enfin le champ de la réglementation des revenus primaires. Revenu minimum … on connaît. Revenu maximum ? Le débat revient régulièrement sur la table quand certains scandales défraient la chronique. Je n’entrerai pas dans ce débat complexe, mais il est clair que là encore, dans le dégradé des solutions possibles, tout n’a pas été fait pour éviter les dérives extrêmes. Il existe surtout, tout un pan sur lequel le législateur fait du surplace : celui du pillage de la data et du travail informel qu’opèrent les plateformes numériques. C’est pourtant là aujourd’hui, avec la finance, que se concentrent les revenus extravagants parmi les 0,1% les plus riches qui s’arrogent le plus gros des fruits de la croissance.
Réforme de l’État, réglementation financière, formalisation de l’économie des plateformes… on ne le dit pas assez, mais ce sont trois chantiers qui s’attaquent aux sources de la machine inégalitaire. »