Affaire Mila : La conséquence aussi de la bêtise ordinaire
Au fondement de « l’affaire » Mila se trouve le refus de distinguer entre préjudice (direct) et offense (indirecte), mais aussi entre les êtres humains et les figures non humaines, écrit le sociologue Smaïn Laacher dans une tribune au « Monde ».
Tribune.
On a beaucoup dit, lors du procès des harceleurs de Mila, que nous étions en présence d’un « procès hors norme ». Quantitativement, cela ne fait aucun doute : une vidéo vue environ 35 millions de fois, des centaines de milliers de messages adressés à une seule personne. Et, pour la première fois, dix hommes et trois femmes entre 18 et 28 ans sur le banc des prévenus pour harcèlement et menaces de mort [onze ont été condamnés à des peines allant de quatre à six mois de prison avec sursis mercredi 7 juillet par le tribunal de Paris].
En face, une seule personne, Mila, devenue, malgré elle, une sorte de « chose publique » ; seulement un prénom (même pas un nom de famille) qui suscite exclusivement haine ou soutien, ce dernier se faisant rare publiquement, en particulier venant d’associations féministes et LGBT. Bien entendu, puisqu’il s’agit des réseaux sociaux, dans ce procès comme ailleurs, on s’est empressé d’opérer une distinction entre la « virtualité » et la « réalité », atténuant du même coup le mobile, l’intention et les conséquences. Tous les prévenus ont expliqué leur geste, non à l’aide de ces trois catégories d’intelligibilité, mais par une subite « émotion » leur interdisant tout début de réflexion : « j’ai tweeté à chaud », « j’ai tweeté pour rigoler », « je me suis senti choqué », etc.
Le rapport pratique à Twitter des treize prévenus s’inscrit dans une routine, une sorte de préréflexion. La moindre délibération intérieure est inexistante ; leur réaction se réduit à une série de microdécisions sans hésitation ; c’est « liker » ou répondre à la « communauté », comme disent les twittos, ou s’adresser directement à Mila. Comme si le champ de vision se limitait à quelques mots et à un écran, avec un espoir à peine dissimulé d’accès à la lumière et à la célébrité.
Ces treize jeunes sont tous issus de milieux populaires, peu ou pas diplômés, certains ayant même été harcelés pendant leur scolarité, faiblement socialisés, majoritairement athées (ou se qualifiant comme tel), et aucun d’entre eux n’est converti à l’islam. Dans ce cas précis, leur « solidarité » avec les musulmans indignés n’est pas une fraternité entre dévots mais le produit d’une affinité sociale avec des jeunes du même âge partageant les mêmes conditions d’existence et le même rapport approximatif à l’islam comme culture et identité. Contrairement à leur affirmation sur la théorie de la « réaction à chaud », ils procédaient, dans une très large mesure, dans une « improvisation réglée » permettant ainsi de faire l’économie, parce que ni possible ni nécessaire, d’une réflexion élémentaire sur leur geste et ses conséquences.