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Puits de carbone océaniques : Opportunités et limites

 

 

Encore peu connu, le rôle des puits de carbone océaniques et continentaux est pourtant majeur dans la lutte pour atténuer le changement climatique : en absorbant d’importantes quantités de CO2 chaque année, ils contribuent en effet à ralentir la vitesse à laquelle le climat se réchauffe.

 

par 

Research scientist, CNRS, Sorbonne Université dans The Conversation

La concentration de CO2 dans l’atmosphère est passée de 285 parties par million (ppm) au début de l’ère industrielle (1850) à 417 ppm en 2022. Sans l’existence de ces puits de carbone, elle atteindrait environ 600 ppm.

Ce sont 32 % des émissions anthropiques de CO2 depuis 1850 qui ont déjà été absorbées par les plantes et les sols (appelés ensemble « puits de carbone continental »). Pour les océans, cette proportion s’éleverait à environ 26 % (« puits de carbone océanique »).

Compte tenu de la difficulté à décarboner les activités anthropiques et l’économie mondiale, renforcer ces puits de carbone naturels apparaît indispensable si l’on ne veut pas dépasser les seuils de réchauffement de 1,5 ou 2 °C.

Ces techniques, regroupées sous le terme de « Carbon Dioxide Removal » (CDR), comprennent des approches conventionnelles telles que le reboisement, ainsi que des propositions controversées visant à améliorer le puits de carbone marin (on les appelle « Marine Carbon Dioxide Removal », ou mCDR).

Une partie de l’intérêt à renforcer le puits de carbone océanique découle de l’ampleur de ce stock : l’océan contient 38 000 milliards de tonnes (ou gigatonnes, Gt) de carbone, soit 50 fois plus que l’atmosphère et 17 fois plus que le puits de carbone de la biosphère continentale.

Sa capacité de stockage s’explique par le fait que le CO2 absorbé se transforme en deux autres formes inorganiques (les ions bicarbonate (HCO3⁻) et carbonate (CO32⁻) qui représentent ensemble environ 98 % du stock de carbone océanique et n’interagissent pas avec l’atmosphère. Dans les océans, les organismes vivants ne représentent qu’une infime fraction du carbone total (0,01 %).

 

Contrairement à la biosphère continentale, où le contact avec l’atmosphère est constant, les flux de CO2 entre l’atmosphère et l’océan sont pilotés par des processus physico-chimiques déterminés par le gradient de CO₂ à l’interface air-mer.

Deux propriétés chimiques de l’océan sont essentielles pour comprendre les différentes techniques de mCDR proposées :

  • La première est sa capacité à stocker le carbone sous forme de carbone inorganique dissous (ou DIC) : c’est la somme des trois formes qui existent dans l’océan (CO2 + HCO3⁻ + CO32⁻).
  • La seconde est l’alcalinité de l’océan, c’est-à-dire la capacité de l’eau à neutraliser les acides – soit l’équilibre entre les ions capables de céder ou recevoir un proton présents dans l’océan. C’est elle qui explique la répartition du carbone inorganique dissous entre ses trois formes possibles.

 

Les approches qui veulent renforcer les puits de carbone marins se concentrent sur la réduction de la concentration de CO2 dans les eaux de surface, afin d’amplifier le flux de carbone en provenance de l’atmosphère.

Pour y parvenir, il est possible de réduire la concentration de carbone inorganique dissous, par exemple en augmentant la quantité d’organismes marins pratiquant la photosynthèse, comme le phytoplancton ou les macroalgues.

On peut également y parvenir en augmentant l’alcalinité de l’eau de mer. On peut par exemple ajouter de la soude. Au final, cela permettrait d’augmenter la part de carbone inorganique dissoute sous forme de bicarbonate et de carbonate.

En théorie, chacune de ces approches permettrait d’augmenter les quantités de carbone stocké dans les océans :

  • Soit en augmentant les flux dans les régions océaniques qui absorbent le CO2 atmosphérique (par exemple, l’Atlantique Nord et l’océan Austral),
  • Soit en diminuant les flux dans les régions où le dégazage de CO₂ dans l’atmosphère se produit (par exemple, le Pacifique équatorial).

Les simulations numériques pour les propositions de mCDR précedentes ont néanmoins mis en lumière plusieurs contraintes physico-chimiques et biologiques. Elles ont revu leur potentiel à la baisse.

L’amélioration de l’absorption biologique du carbone inorganique dissous, à travers par exemple la culture d’algues, semble prometteuse. Mais son efficacité varie énormément d’une région à l’autre et ne produit souvent pas les résultats attendus en termes d’élimination du carbone.

Contrairement au puits de carbone continental, où une augmentation de la production primaire nette de carbone entraîne une réduction équivalente du CO2 atmosphérique, ce n’est pas le cas dans les océans.

  • D’abord parce que le carbone inorganique dissous dans l’eau par des processus biologiques ne réduit pas toujours les concentrations de CO2 dans l’eau.
  • Et d’autre part parce que la circulation des masses d’eau signifie que les temps de résidence de l’eau de mer de surface sont souvent insuffisants pour maximiser le transfert de CO2 de l’atmosphère vers l’océan.

Dans les simulations globales réalisées, seuls 70 à 80 % du carbone inorganique dissous capturé par par d’hypothétiques fermes de macroalgues sont effectivement remplacés par du carbone provenant de l’atmosphère.

Cette part peut même descendre à moins de 60 % lorsque les simulations prennent en compte les nutriments que doivent absorber les algues et les impacts sur le phytoplancton marin naturel, qui contribue également à réduire les concentrations de CO₂ dans la partie supérieure de l’océan.

La plus grande difficulté concernant le recours aux techniques de mCDR réside probablement dans la surveillance, le reporting et la vérification de l’augmentation du stockage de carbone dans l’océan dans le monde réel.

C’est pourtant une condition préalable avant l’attribution de crédits carbone, l’intégration dans les contributions déterminées au niveau national (ou CDN, NDC en anglais, qui représentent les engagements des États dans le cadre de l’accord de Paris, ndlr), ou même l’actualisation des stocks de carbone à l’échelle mondiale.

Il n’est pas surprenant que l’eau de mer se déplace et que des actions comme la culture d’algues ou l’alcalinisation à un endroit donné puissent influencer l’absorption et le stockage du carbone océanique à des centaines de kilomètres de là.

Ces effets à distance, ainsi que la dissociation entre les flux de CO2 air-mer en surface et le stockage du carbone dans l’océan en profondeur (contrairement à ce qui se produit sur terre) signifient que des réseaux d’observation étendus, des traceurs d’échanges gazeux et des simulations numériques seront probablement nécessaires pour permettre un tel ce suivi.

Même dans ces conditions, tout accroissement du stockage de carbone en mer serait une goutte d’eau dans l’océan, étant donné la quantité de carbone qui y est naturellement présente, et serait donc extrêmement difficile à quantifier.

Reste la question : quelle quantité de carbone ces méthodes pourraient-elles extraire de l’atmosphère et quelles pourraient en être les implications ?

L’augmentation de l’alcalinité des océans à l’aide d’un minéral alcalin abondant tel que l’olivine a été estimée, dans le meilleur des cas, à un accroissement du stockage de carbone dans l’océan d’environ un Gt de CO2 par Gt d’olivine ajoutée.

Si l’on voulait accroître l’absorption du carbone atmosphérique par les océans de 1 Gt de CO2 par an (ce qui représente une augmentation d’environ 10 % par rapport au puits océanique en 2023), il faudrait donc transporter 1 Gt d’olivine vers les régions océaniques d’intérêts, soit 13 fois le poids de la pêche marine mondiale actuelle !

Compte tenu des émissions humaines actuelles, qui sont de 40 Gt de CO₂ par an, et de la nécessité d’atteindre des émissions nettes nulles au cours des prochaines décennies pour stabiliser le réchauffement à un niveau acceptable, l’élimination du dioxyde de carbone par les techniques de mCDR ne pourra pas se substituer à des réductions drastiques des émissions. Cette élimination pourrait permettre cependant de compenser des émissions résiduelles dans des secteurs difficiles à décarboner.

Dérives ou opportunités des banlieues ?

Dérives ou opportunités des  banlieues ?

 

Erwan Ruty , entrepreneur social en banlieue, défend une autre idée et voit un autre avenir des banlieues dans une interview à l’Opinion. Il a publié «Macron et les banlieues» dans la revue Esprit (novembre 2017) et sort Une histoire des banlieues françaises (éditions François Bourin, février 2020).

Vous relevez que les banlieues sont la «somme de toutes les peurs». Pourquoi ?

Je dis surtout que la banlieue est le laboratoire de la France de demain, mais il est vrai qu’elle charrie toutes les représentations négatives. Son sens commun n’a plus rien à voir avec le sens étymologique, c’est-à-dire le territoire situé à une «lieue» des villes, qu’un homme peut rejoindre en une heure. C’est l’idée de coupure qui l’emporte : on voit la banlieue à travers la délinquance, la misère, les trafics, le salafisme, le terrorisme et, en miroir, à travers la panique morale des élites qui reflète l’impuissance de l’Etat. La France est hantée par ses banlieues, parce que celles-ci sont un concentré des crises de la société française. Il ne s’agit pas d’une indication géographique — on ne désigne pas Levallois ou Neuilly. On parle de relégation, de territoires constitués de grands ensembles, habités par une forte proportion de descendants de l’immigration africaine et des catégories populaires. La «banlieue» est un concept politique qui n’est pas devenu un outil de mobilisation, mais un repoussoir.

Emmanuel Macron parle de «sécession» et Marine Le Pen, de «zones de non France»…

La rupture entre les élites politiques et les classes populaires des banlieues semble consommée. Comme dans l’ensemble de la société qu’illustre l’«archipel français» de Jérôme Fourquet, chacun est dans sa bulle. Jusqu’aux années 1980, il y avait une capacité des politiques, notamment à gauche, d’être en lien avec ces quartiers et leurs habitants. En 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme, dite «des Beurs», était accompagnée par les chrétiens de gauche, les communistes, les grandes associations… Les choses se sont délitées. La campagne présidentielle de 2002 a installé le concept d’insécurité ; le quinquennat de 2007 celui de l’«identité nationale». Avec les émeutes de 2005, la perception collective s’est cristallisée autour des violences urbaines. Depuis 2015, c’est le prisme du djihadisme qui prévaut. Sans surprise : le massacre de Charlie Hebdo a été un traumatisme national qui a refermé une page de l’histoire de France. Le slogan des terroristes du 7 janvier («Nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie») sonne comme l’antithèse absolue de Mai 68. Et la peur du terrorisme a fait des quartiers un épouvantail électoral. Personne ne niera que la situation se dégrade dans certaines zones, que ceux qui tiennent le haut du pavé, mafieux ou religieux, leur font du mal. Le problème, c’est qu’aucun leader ne tient de discours audible par la majorité silencieuse, qui fait profil bas, et par les enfants de l’immigration qui ne croient plus au discours intégrateur «à l’ancienne».

 

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Cet échec est-il celui de la gauche ?

Pour partie. Une occasion en or a été manquée en 2013. Mitterrand avait accueilli les acteurs de la Marche de 1983. Trente ans plus tard, personne n’a été invité à l’Elysée. François Hollande a ignoré les demandes de commémoration émanant d’une partie de la société. Nous avions fait la tournée des ministères. Le ministre de la Ville, François Lamy, jugeait que c’était aux quartiers de tisser leur récit de cette histoire. Mais c’est à l’Etat de dire à quoi doit ressembler la Nation, pas aux associations qui n’en ont plus les moyens ! C’est une démission politique et intellectuelle. Christiane Taubira a même reconnu une faute. Or, ce raté arrive dans un contexte où, depuis des années, l’ascenseur social est en panne, les voies traditionnelles de sortie du ghetto ne font plus rêver… Emmanuel Macron arrive après cet échec et ramasse la mise.

En 2014, la droite a conquis des mairies du 93. Les banlieues deviennent-elles de droite ?

Elles participent de la droitisation de la société, par deux dynamiques parallèles : le retour au religieux et aux valeurs conservatrices, et le libéralisme économique, le consumérisme, l’entrepreneuriat… «Chacun pour soi et Dieu pour tous» est un slogan qui a de l’écho dans les quartiers. Les banlieues sont entrées dans une autre ère : les jeunes veulent se débrouiller, réussir, créer. Saïd Hammouche a créé Mozaïk RH pour repérer les talents, avant de soutenir Emmanuel Macron à la présidentielle. Moussa Camara parlait avec les élus et faisait de l’éducation à la citoyenneté ; il développe à présent l’esprit d’initiative en banlieues avec Les Déterminés, emmenant régulièrement des cohortes de jeunes des quartiers au Medef, à Paris. On sait que le 93 est le département à plus forte création d’entreprises, même s’il a un fort taux d’échec à moins de trois ans. Emmanuel Macron a perçu cet air du temps en 2016, quand il encourageait les jeunes à «devenir millionnaire». Dynamique, hors des codes, il a suscité un espoir, un appel d’air… Deux ans après, le résultat est plus que mitigé.

Reconquête républicaine, dédoublement des classes… Comment jugez-vous la politique d’Emmanuel Macron à l’égard des quartiers ?

L’enterrement du rapport de Jean-Louis Borloo à l’Elysée était le symptôme d’une tabula rasa de la traditionnelle politique de la ville. Pourquoi pas ? L’urbain c’est bien, l’humain c’est mieux ! Mais cela a surtout créé un grand vide. Nos interlocuteurs auprès des décideurs ont disparu. La coupure s’est accentuée. Le Conseil présidentiel des villes s’est révélé une coquille vide. L’Elysée s’est fié à des conseillers comme Yassine Belattar, qui ont de l’intuition, mais ni ligne, ni solutions. Au final, Emmanuel Macron a perdu la main sur les quartiers.

Il a adressé un discret signe lors de la sortie des Misérables, film nominé aux Oscars, qui raconte une émeute à Montfermeil. Pourquoi cet engouement ?

Ladj Ly donne une vision effrayante, brutale de la banlieue, peuplée de personnages antipathiques. Cela colle sans doute à la vision, l’intuition commune. Le cinéma a toujours été un puissant vecteur dans la perception que le pays se fait de ses quartiers. Dans les années 1930, c’était les guinguettes des bords de la Marne ou de la Seine, rendues célèbres par La Belle Equipe de Julien Duvivier. En 1960, Marcel Carné montre avec Terrain vague des larcins sur fond de HLM en chantier. En 1988, De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau, à Bagnolet, s’intéresse à l’apprentissage de la violence par des loubards. Il existe aujourd’hui une pluralité de visions. Avec Divines, récompensé par la Caméra d’Or, Houda Benyamina donne leur place aux femmes dans un tableau très dur et quasi-désespéré du ghetto. Swagger d’Olivier Babinet est plus poétique tout en étant criant de vérité.

Vous évoquez le «pessimisme maladif des élites». C’est-à-dire ?

Les élites intellectuelles ont peu de prise sur le réel des quartiers. Les grandes voix de la gauche, dont l’hégémonie idéologique est terminée, s’éteignent. Beaucoup se sont discréditées à force d’avoir cantonné les populations au statut de victimes. Le discours néoconservateur se développe. Mais Alain Finkielkraut et beaucoup d’autres n’ont qu’une connaissance livresque de ces réalités ; ils ne côtoient pas les gens dont ils parlent. Aucun n’évoque les phénomènes positifs à côté des phénomènes négatifs, qu’ils pointent à raison. Or, la face immergée de l’iceberg est numériquement plus importante. Et connaître le quotidien des quartiers permet de comprendre sur quels leviers jouer pour sortir de la crise. Les élites sont comme un lapin pris dans les phares d’une voiture : paralysées par la peur du délitement national.

Qu’est-ce que les élites ne voient pas ?

Les banlieues sont le terreau d’innovations sociales foisonnantes, d’une créativité culturelle prolifique. Les cultures urbaines sont au fondement de la culture populaire française : Médine, Youssoupha et Sofiane ont raison de dire «La banlieue influence Paname, Paname influence le monde». On assiste aussi à l’émergence d’élites nouvelles : Rachid Benzine, politologue et islamologue ; Marwan Mohammed, sociologue ; Mohamed Mechmache, fondateur du collectif «Pas Sans Nous»… D’autres, sans en être issues, y bâtissent leur engagement comme Nassira El Moaddem à Bondy, qui raconte dans Les Filles de Romorantin comment elle s’en est sortie quand son amie d’enfance est devenue Gilet jaune. Ce sont des influenceurs, qui s’imposent par eux-mêmes, leur parcours et leur message, et non plus dans le cadre de partis ou d’associations d’éducation populaire.

Est-il trop tard ?

L’enjeu est de prendre conscience qu’un fort potentiel d’avenir réside là, dans ces territoires. Les banlieues sont le back office des métropoles ; sans les infirmières, sans les conducteurs de bus et tous les autres, il n’y a pas de dynamisme métropolitain. Dans les années 1970, les cités étaient le cœur de la société industrielle et de la mixité sociale. Elles peuvent être le centre de l’économie circulaire de demain ; c’est là où il y a du foncier disponible et des compétences. Les élites politiques ont à saisir en quoi les banlieues sont conformes à l’humeur hexagonale, alors qu’elles sont rejetées comme étrangères. Il faut faire une histoire convergente, intégrée, sans quoi le pays se fracturera dans des conflits que la société française, depuis les Lumières et la République, avait réussi à dépasser en créant la citoyenneté.




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