Changement climatique et pluralité des opinions
« A quoi sert de mettre en avant, dans un journal de référence, des points de vue qui nient tout ce que la science nous apprend ? », interroge Anne-Sophie Anglaret, lectrice du Monde au sujet d’une tribune sur les réductions d’émissions de gaz à effet de serre parue dans « Le Monde ».
Je vous écris suite à la tribune de Dominique Finon, publiée le 4 décembre dans Le Monde. Je sais que cette tribune ne vient pas de votre rédaction, mais il me semble qu’il serait de la responsabilité du Monde de ne pas propager de tels discours. Le texte de Dominique Finon rentre tout à fait dans ce que plusieurs chercheurs ont récemment décrit, dans la revue Global Sustainability, comme des « discourses of climate delay ».
Autrement dit, des discours qui ne nient plus le changement climatique mais qui prétendent notamment (il y a plusieurs catégories dans leur article) qu’agir serait plus coûteux que de ne pas agir. Au final, comme le démontrent les auteurs, ces discours n’ont pas d’autre but que ceux des climatosceptiques : freiner les tentatives de limiter les émissions de carbone.
Et de fait, Dominique Finon ne propose rien, dans son article, sinon d’aller beaucoup plus lentement. Or tous les climatologues (ce qu’il n’est pas, il faut le rappeler, car la mention « spécialiste du climat », sous son nom, pourrait être trompeuse) s’accordent à dire que nous n’avons pas le temps d’attendre. En faisant croire qu’agir nous mènerait à un choc plus grand que de ne pas agir, Dominique Finon ignore donc sciemment les vrais spécialistes du sujet (dont les prévisions sont horrifiantes, faut-il le rappeler ? Avec des scénarios probables aujourd’hui de 3 à 4° d’augmentation des températures, disparition de niches écologiques à certains endroits, augmentation des morts dues aux canicules, famines, sécheresses, pandémies…).
En tant qu’historienne, je ne peux pas ne pas faire un parallèle avec la place que Le Monde a un jour accordée à Robert Faurisson. Pas pour faire un point Godwin facile, mais parce qu’il me semble que la situation est assez comparable du point de vue du rapport de la science et des médias : en publiant des avis qui s’opposent à ceux de l’écrasante majorité des spécialistes, vous avez peut-être l’impression de favoriser la pluralité. Mais quand le déséquilibre entre spécialistes est aussi énorme, il faut s’interroger : à quoi sert de mettre en avant, dans un journal de référence, des points de vue qui nient tout ce que la science nous apprend ? Les conséquences peuvent être catastrophiques, et la catastrophe climatique n’a pas besoin qu’on lui donne un coup de pouce.
Anne-Sophie Anglaret, Paris