- Olivia Grégoire: Pour un capitalisme citoyen ou la grande confusion des soldats perdus du parti socialiste
Peut-être pour masquer le vide et la confusion de sa pensée Olivia Grégoire, Ministre de quelque chose, ancienne socialiste ralliée à Macron, récupère la sémantique à la mode chez les sociologues : refaire économie, refaire société ! Elle défend un capitalisme citoyen dans un charabia politico-philosophique qui repose sur une sorte d’approche d’en même temps permanente ( dans l’Opinion)
Pourquoi dites-vous qu’il faut « refaire économie » pour « refaire société » ?
La crise que nous venons de traverser dévoile à quel point l’économie n’est pas une discipline sans tête, elle doit être conduite par une vision politique. Un exemple : la baisse des cotisations salariales de 2018 est destinée à montrer que le travail paie davantage. Elle était une réponse par avance aux Gilets jaunes, mais elle n’a pas suffi à calmer une colère ancrée depuis vingt ans. Autre exemple, la réforme de l’ISF et la création du prélèvement forfaitaire unique sont destinées à favoriser l’investissement et la réindustrialisation, pas à faire plaisir aux riches. Entre 2018 et 2019, 50 000 emplois industriels ont été créés, performance inédite depuis quinze ans. J’en ai assez d’entendre les « Y’a qu’à » et les « faut qu’on » des uns et des autres. Quand vous dites qu’il faut redonner sens à la valeur travail, vous n’avez rien dit. Quelle est la réponse de Xavier Bertrand ? Il ressort la prime Macron ! La politique, c’est l’art du détail, l’art de l’exécution. Les grandes envolées contribuent à la défiance.
Le signataire de votre préface en est pourtant un spécialiste…
S’il est capable d’envolées, le président de la République est surtout obsédé par le faire, par l’action et par les résultats. Il revalorise le travail : 170 euros de plus par mois pour une personne au smic en 2022, ce n’est pas une envolée, c’est une réalité.
Mais il ne fait pas, aussi : la réforme de l’Etat, par exemple !
En cinq ans, on ne peut pas rattraper l’intégralité des retards pris depuis trente ans. La réforme de l’Etat, c’est vrai que nous ne l’avons pas finie. Mais j’attends de voir si Les Républicains sont en accord avec leur programme de 2017. Je défie quiconque d’aller dire aux Gilets jaunes que l’on va supprimer 500 000 postes de fonctionnaires, ou des emplois dans les hôpitaux et les écoles, après la Covid-19. Dans les conditions qui ont été les nôtres durant ce quinquennat, nous n’avons pas pu tout mener. Ce que j’aime chez Emmanuel Macron, c’est ce pragmatisme, première caractéristique du macronisme. Durant ce mandat, la France a regagné sa place de cinquième économie mondiale. Sur la taxation des Gafa, sur la création d’un impôt minimum sur les sociétés de 15 % au niveau international, ou le lancement d’un plan de relance européen, qui peut nier l’impulsion et le rôle du Président ?
Vous vantez la plasticité du capitalisme. Au fond, vous êtes d’accord avec cette phrase prêtée à Lénine : « Les capitalistes vendront la corde qui nous servira à les pendre » ?
Je ne suis pas léniniste, même si je cite beaucoup Marx ! Je dis que le capitalisme est polymorphe, il mue en fonction des attentes. Dans les années 1980, il s’adapte à la montée de l’individualisme. Après la crise financière de 2008, il adopte des règles prudentielles. Avec la Covid, il est déstabilisé car, pour la première fois, cette crise est totalement exogène. Mais c’est une occasion pour accélérer la prise en compte des exigences environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Je l’avais fait avec la loi Pacte, je poursuis avec Impact [plateforme qui permet aux entreprises de publier leurs performances ESG]. Ou en promouvant la « double matérialité » : en France, la réglementation oblige les entreprises à prendre en compte non seulement les risques climatiques pour elles-mêmes, mais aussi ceux de leur activité sur l’environnement, la cohésion sociale ou les tiers. Alors que les Etats-Unis promeuvent la matérialité simple, ne retenant que ces risques pour l’entreprise. La France est la locomotive de ce combat pour la double matérialité et nous progressons avec de bonnes chances d’aboutir au niveau européen.«Les gens sont capables de faire des choix responsables. Je suis choquée que certains veuillent interdire la vente des SUV ou du Nutella. Les politiques oublient souvent l’importance de la sanction de marché: quand des gamines refusent d’aller chez certaines enseignes parce qu’elles veulent défendre les droits des Ouïghours, il n’y a rien de pire pour la marque
Si le capitalisme devient citoyen, les citoyens, eux aussi, s’emparent du capitalisme…Il n’est pas un jour sans qu’on accole le mot responsable à la consommation, à l’énergie, à l’alimentation, à la gouvernance, etc. J’assume mes origines libérales : je crois plus que jamais au libre arbitre. Si on leur en donne la possibilité, les gens sont capables de faire des choix responsables. Je suis choquée que certains veuillent interdire la vente des SUV ou du Nutella. Les politiques oublient souvent l’importance de la sanction de marché : quand des gamines refusent d’aller chez certaines enseignes parce qu’elles veulent défendre les droits des Ouïghours, il n’y a rien de pire pour la marque. Cet enjeu de respectabilité est sans doute plus fort que beaucoup de régulations. Il y a quinze ans, le risque de réputation se résumait à un mauvais buzz. Aujourd’hui, il a des effets directs sur le chiffre d’affaires et sur les entreprises : c’est la meilleure garantie pour faire bouger les boîtes.
Pour vous, le monde de l’argent peut provoquer une bascule vertueuse ?
La transition doit se faire avec tous. Nous sommes en train de définir les nouvelles normes comptables qui vont s’appliquer aux entreprises en matière durable. Cet outil sera effectif en 2024 : le bilan extra-financier ne sera plus une annexe du bilan financier, les deux permettront de mesurer la performance globale de l’entreprise.
En quoi le rôle des investisseurs est-il déterminant ?
Un règlement européen est entré en vigueur au mois de mars 2021, en déclinaison du Green deal. Avec ce texte, les investisseurs seront incités à évaluer précisément la performance extra-financière des actifs qu’ils ont sous gestion. Si les grands acteurs comme Amundi, Tikehau ou BNP acquièrent des actifs à mauvaise performance, la leur s’en trouvera dégradée. Cela fait des années que la finance est touchée par cette puissante vague de fond. Ce n’est pas un gadget ni une mode. Tous les éléments non financiers vont être audités, certifiés et notés par des agences. A un kilomètre d’ici, à Bercy, Standard & Poor’s a installé son bureau de notation non financière – à Paris, pas à Londres, ni à Francfort ou Amsterdam. Ce n’est pas un hasard, non plus, si L’Oréal a installé une direction de la finance durable au sein de sa direction financière. La France est un moteur en Europe en matière de finance à impact.
Quel peut être le rôle de l’Etat dans ce mouvement ?
Entre les entreprises, la société civile et l’Etat, c’est à ce dernier de prendre ses responsabilités en se faisant le pivot des efforts de chacun, mais non le décideur : son rôle est de construire les rails, pas les locomotives. La crise actuelle a ravivé la question du bon niveau de l’intervention de l’Etat dans le marché et celle de la conditionnalité des aides. Pour le plan de soutien, une réponse d’urgence, il était légitime de ne pas en fixer : quand on se noie, on ne s’interroge pas sur la couleur du gilet de sauvetage. En revanche, cette conditionnalité existe pour le plan de relance et le plan d’investissement. Quand l’Etat finance la décarbonation, l’entreprise doit avoir un plan de décarbonation. Pour bénéficier du plan 1 jeune, 1 solution, il faut embaucher un jeune. La seule exception est la baisse des impôts de production, parce qu’elle est nécessaire pour retrouver de la compétitivité. Ensuite, il faut que les aides soient conditionnées à des résultats ex post et non sur des critères ex ante. Sinon, on prend le risque de casser la confiance. A l’inverse, l’Etat ne doit pas financer les transitions à fonds perdu. Le bon modèle est celui d’un Etat qui joue un rôle de levier, comme dans le plan d’investissement France 2030 que le chef de l’Etat vient d’annoncer. L’économie n’est pas un monde binaire, où il suffirait d’inventer une taxe pour punir et un crédit d’impôt pour récompenser.