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La fragilité du numérique face au climat

La fragilité du numérique face au climat

 

Un article du Wall Street Journal souligne la fragilité de la monnaie numérique face aux inondations. En fait, une fragilité plus globale du monde numérique aux aléas climatiques qui peuvent notamment priver d’électricité.

A Zhengzhou, les fortes pluies de juillet ont fait sortir les rivières de leur lit, provoquant de vastes pannes de courant qui ont désactivé le service de téléphonie mobile. Les Chinois urbains utilisant généralement des applications de paiement comme WeChat de Tencent et Alipay d’Ant Group en lieu et place de pièces et de billets, cette brusque coupure d’électricité a eu pour conséquence de laisser sans argent une bonne partie des 12 millions d’habitants de la ville qui n’avaient déjà plus de moyen de joindre les services d’urgences ou leurs proches.

Sur la scène internationale, la Chine est le précurseur dans le domaine de la création d’une version numérique de sa monnaie. Quatre jours avant les inondations de Zhengzhou, sa banque centrale avait publié la stratégie officielle de son déploiement et annoncé que les premiers essais avaient à ce jour été couronnés de succès. Puis, les coupures de courant de Zhengzhou ont paralysé l’infrastructure de paiement qui forme la colonne vertébrale du projet.

Sans argent à leur disposition, certains habitants de Zhengzhou ont opté pour le troc, notamment un homme qui a payé ses légumes avec des cigarettes, exemple parmi des milliers partagés sur les réseaux sociaux chinois illustrant ce qui se passe lorsque l’argent numérique se fait la malle.

Zhao Jun, employée d’exploitation laitière de 25 ans, raconte avoir été coincée loin de son appartement de Zhengzhou par les crues et avoir voulu se réfugier à l’hôtel pour la nuit — avant de se rendre compte qu’elle n’avait aucun moyen de payer sa chambre sans Alipay ou WeChat, et qu’elle était coupée du monde. « J’étais très angoissée », se souvient-elle.

Ce black-out financier a été une illustration relativement brève mais intense d’un risque auxquels les pays qui adoptent les monnaies numériques dépendant des téléphones portables peuvent s’exposer. Il convient désormais d’ajouter la fiabilité de la téléphonie mobile au piratage des portefeuilles numériques et des échanges en ligne à la liste des vulnérabilités auxquelles les gouvernements auront affaire en s’introduisant dans cette sphère instable qui était jusqu’à présent l’apanage du bitcoin et des cryptomonnaies.

Le type de choc subi pendant les inondations causerait des ravages dans n’importe quelle économie numérique moderne. A Zhengzhou, les plans de ville en ligne ne fonctionnaient plus et les voitures électriques se sont retrouvées à sec. Une version électronique du yuan ne fera qu’accentuer la dépendance technologique de la Chine. Cette société où l’argent liquide est de moins en moins utilisé connaît déjà des problèmes, comme la difficulté pour certaines personnes âgées de prendre un taxi faute de disposer des bonnes applications.

L’épisode des crues contredit certains engagements spécifiques pris par Pékin dans sa publication stratégique de juillet, dans laquelle il assure que son système de monnaie numérique aura les moyens de se protéger en cas de catastrophe naturelle.

« Le plus petit dénominateur commun qui affecte tout le monde, c’est le réseau électrique », explique Luke Deryckx, directeur technique chez Ookla, à Seattle.

En étudiant les pannes d’Internet advenues à la suite de catastrophes naturelles, poursuit M. Deryckx, son entreprise a vu des centrales électriques et des opérateurs mobiles restaurer rapidement leurs opérations au niveau central, pour voir disparaître leurs clients des réseaux à mesure que leurs batteries de téléphones portables s’épuisaient faute d’endroits où les recharger.

La banque centrale chinoise affirme que l’e-CNY—le nom officiel du yuan numérique—a été testé dans plus de 70 millions de transactions dans le monde réel depuis début 2020, sans que des difficultés majeures aient été signalées.

La Banque populaire de Chine n’a pas répondu aux questions sur l’éventuel impact de la catastrophe de Zhengzhou sur ses projets de monnaie numérique ; Alipay, WeChat et l’opérateur mobile China Mobile non plus. Si les hauts responsables chinois ont qualifié les inondations de juillet de catastrophe qui ne se produit qu’une fois par siècle, d’aucuns voient en elles un premier signe des effets du réchauffement climatique.

De nombreux pays, dont les Etats-Unis, observent ce que fait Pékin afin de se faire une idée sur la pertinence de numériser à leur tour leur monnaie.

La Chine se montre généralement prudente face aux innovations financières, et le pays ne s’est pour l’instant pas engagé dans un programme formel de déploiement de sa monnaie électronique. Rien n’indique que les problèmes de Zhengzhou aient modifié le planning, mais selon les analystes, Pékin pourrait être moins pressé de lancer ce programme que ne le suggèrent ses très nombreux tests.

« La barre est extrêmement haute. Vous n’avez aucune marge d’erreur avec ce genre de système », reconnaît Martin Chorzempa, chercheur au Peterson Institute for International Economics de Washington. « Il y a vraiment énormément d’inconnues ici, et c’est pourquoi je pense qu’ils veulent rester prudents et ne pas se précipiter. »

Mu Changchun, responsable de la Banque centrale chinoise en charge du projet d’e-CNY, a annoncé lors d’une conférence en ligne tenue en mars dernier que la monnaie numérique était en partie conçue pour servir de backup aux systèmes WeChat et Alipay, qui à eux deux représentent 90 % des transactions sur mobiles en Chine.

« S’il leur arrive quelque chose, que ce soit financièrement ou techniquement, cela aura forcément des impacts négatifs sur la stabilité financière de la Chine », a reconnu M. Mu lors de la conférence de la Banque des règlements internationaux (BRI) en mars dernier.

Comment le système de monnaie numérique aurait-il pu mieux fonctionner pendant les inondations, cela reste à éclaircir. La Banque populaire de Chine a exposé clairement que l’e-NCY aurait besoin d’applications pour être utilisé, dont une qui lui serait propre en plus de WeChat et d’Alipay. Pendant les inondations, les régulateurs financiers de la province du Henan ont diffusé des notifications d’urgence commandant aux banques de répondre rapidement aux clients dans l’incapacité de payer avec leurs téléphones portables — en particulier en mettant de l’argent liquide à leur disposition. Le yuan numérique semble conçu pour remplacer un jour l’argent physique, bien que la banque centrale chinoise déclare dans son rapport de juillet que pièces et billets resteront en circulation tant que les gens voudront les utiliser.

La Chine affirme que la monnaie numérique a été testée dans une grande variété de situations et que certaines solutions ont été pensées pour les utilisateurs privés de connexion internet. Mais les fonctionnalités hors-ligne semblent avoir été conçues pour un sous-groupe d’utilisateurs relativement réduit, comme les personnes les plus âgées et moins à l’aise avec les nouvelles technologies, et non pour des millions de citoyens déconnectés à la suite d’une catastrophe naturelle.

 

Euro numérique : une révolution monétaire

Euro numérique : une révolution monétaire

Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière explique que l’euro numérique constituerait une révolution monétaire pour l’Europe ( la Tribune, extrait)

 

C’est quoi un euro numérique ?

« Le but de nos travaux est de veiller à ce qu’à l’ère numérique, les ménages et les entreprises aient toujours accès à la forme de monnaie la plus sûre : la monnaie de Banque centrale »Christine Lagarde, présidente de la BCE. L’euro numérique devrait être disponible entre 2023 et 2026. D’après la BCE, il serait le bienvenu dans les situations où les ménages et les entreprises ne souhaitent plus payer en espèces. Il éviterait aux européens d’utiliser des instruments de paiement numériques non émis et contrôlés par l’Europe.

Ce que l’euro numérique pourrait changer au quotidien

Cet euro digital serait une forme électronique de monnaie de la BCE. Il est envisagé que chaque européen puisse déposer directement cette monnaie auprès de la Banque centrale dont l’accès est jusqu’ici réservé aux banques commerciales. Les transactions seraient instantanées.

Ne nécessitant pas de règlement interbancaire l’euro digital sera disponible 24h/24 et 7j/7. Pour éviter la fuite des épargnants vers cette monnaie électronique, et échapper aux frais excessifs d’un compte de dépôt classique (2,4% par an), la BCE prévoit de limiter le nombre d’euros numériques que chacun pourrait placer chez elle. Reste que le risque pour la création d’une monnaie entièrement numérique est la traçabilité des transactions et l’anonymat.

La fuite en avant de la BCE depuis 2008

En 2008 face à la crise financière, la BCE a injecté 4.000 milliards d’euros de 2011 à 2017 qui représentent un tiers du PIB de la zone euro. Elle a abaissé son taux directeur à zéro et elle a acheté de la dette publique et privée. Pour la France il n’y a pas eu de ruissellement et plusieurs milliards d’euros se sont établis dans les pays d’Europe du Nord. En 10 ansla crise financière a coûté approximativement 1.541 milliards d’euros en termes de produit intérieur brut (PIB) selon les calculs d’Éric Dor, directeur des études économiques à IESEG School of Management.

Avec la propagation de la pandémie de la Covid en Europe, les Banques centrales ont abaissé leurs taux d’intérêts comme premier choc. Malheureusement pour l’Europe, le taux directeur de la BCE était déjà à zéro, pas moyen d’une nouvelle baisse. En 2020 pour contrer les effets de la Covid, la BCE a préféré lancer un nouveau programme de rachats de dette souveraine de 750 milliards d’euros baptisé Programme d’achats d’urgence pandémique (PEPP). Le 4 juin 2020, le Conseil des gouverneurs de la BCE a de nouveau décidé d’augmenter l’enveloppe consacrée au programme PEPP, la portant à un total de 1.850 milliards d’euros.

Avec un rebond de l’inflation en zone euro et les taux d’emprunt des États en forte hausse, il y a une grande pression sur la BCE pour réduire son programme de rachat des dettes. Les politiques d’endettement de plusieurs pays européens, dont la France, sont tragiquement élevés. La BCE n’a plus beaucoup de moyens pour créer des liquidités. C’est le moment d’introduire l’euro digital et de recourir aux économies des ménages européens. Dans le cas contraire, les politiques d’austérité en Europe deviendraient inévitables au vu de la diminution des facilités.

Issu du traité de Rome de 1957, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit le financement monétaire des États par la BCE et limite le recours aux instruments de politique monétaire (article 123). La BCE ne peut pas financer directement les dettes publiques des États membres de la zone euro. D’après le traité de Rome il ne serait pas possible de forcer l’épargne privée à financer directement la croissance des dettes publiques. Mais voilà avec la pandémie, la France a déjà dévié ces règles

« L’ensemble constitué des banques commerciales et de la Banque centrale a donc recyclé l’épargne des ménages pour prêter à l’État« , explique Agnès Bénassy-Quéré, Chef économiste de la DG trésor

 La question qui se pose au vu de la situation actuelle : la BCE imagine-t-elle une nouvelle révolution monétaire qui sera proche du « Plan de Chicago » de 1936 ?

Il est peut-être déflationniste :

« En période d’expansion économique, la croissance est généralement accompagnée d’une augmentation de la masse monétaire, elle-même corrélée à l’inflation. En revanche, en période de contraction, telle que celle que nous avons traversée après 2008, la masse monétaire se resserre. Elle conduit, selon l’économiste américain Irving Fisher (1867-1947) à la déflation par la dette ».

Bruno Colmant, Membre de l’Académie Royale de Belgique. Les économistes à cette époque avaient imaginé un système de réserves obligatoires à 100% : tout ce qu’une banque commerciale peut récolter comme dépôts doit être intégralement entreposé à la Banque centrale.

Avec l’euro digital, il suffit que la BCE demande aux banques commerciales de déposer une fraction des épargnes des ménages en euro numérique sur leurs comptes à la BCE. Son passif va automatiquement augmenter. Ce passif pourra compenser de nouvelles dettes publiques qu’elle détiendrait à son actif. L’épargne des ménages européens financerait alors partiellement et directement l’endettement des États.

La France ne peut pas emprunter directement à la BCE, elle ne peut emprunter qu’aux banques commerciales. C’est la conséquence de la loi du 3 janvier 1973 ou celle de1993 après la loi sur l’indépendance de la Banque de France, votée dans le cadre de la transposition du traité de Maastricht dans la loi française. Le périmètre d’intervention de la BCE doit être clarifié. Avec le traité de Maastricht la BCE a un mandat principal : « maintenir la stabilité des prix » interprété par la BCE comme maîtriser l’inflation proche de, mais inférieure à 2%La BCE change son objectif après 18 ans et porte la cible de l’inflation à 2%. Il est très probable qu’en 2021 ce mandat ne puisse plus être assuré.

L’Europe doit répondre à la question : faut-il changer le mandat de la BCE ? L’euro numérique peut-il voir le jour sans remettre en question les traités de Rome et de Maastricht ?

Gabriel Gaspard

Emissions CO2 : « Le numérique comme l’ aérien » (Patrice Caine, Thales)

Emissions CO2 : « Le numérique comme l’ aérien » (Patrice Caine, Thales)

PDG de Thales Patrice interview accordée à La Tribune explique que le numérique par rapport aux émissions de CO2 va connaître une situation proche de celle de l’aérien.

 

 

Thales  a présenté la stratégie renforcée du groupe en matière ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance). Quelles sont les grandes lignes de cette ambition ?

PATRICE CAINE - Nous avons dévoilé mardi dernier à nos investisseurs notre nouvelle stratégie en matière de critères ESG. Nous nous sommes fixé des objectifs chiffrés, notamment sur des critères importants comme les émissions de CO2 générées par Thales. Comment le groupe veut aller plus loin et plus vite sur la réduction de ses émissions de CO2 issues directement de son activité et de celle de ses sous-traitants ? Aujourd’hui, nous sommes capables d’atteindre un objectif de réduction de 35 % de nos émissions dès 2023, et non plus 20 %. Nous avons déjà dépassé l’objectif que nous nous étions fixés pour 2023 et avons décidé d’accélérer. Nous sommes aussi mobilisés pour réduire nos émissions de CO2 de 50 % en 2030 (plutôt que de 40%). Enfin, nous nous sommes donné un objectif de neutralité carbone « net zéro » en 2040. Cet objectif est tout à fait nouveau. Thales accélère donc pour réduire plus vite que prévu son empreinte carbone. Nous avons également présenté des indicateurs ESG très importants relatifs à l’environnement, l’inclusion, avec notamment la féminisation des instances dirigeantes, la sécurité au travail et les questions d’éthique, notamment dans le numérique.

C’est-à-dire ?

Nous avons rendu publique une charte éthique du numérique mûrement réfléchie. D’autres groupes ont commencé à s’en doter, comme IBM et Capgemini par exemple. Il nous est apparu important de réfléchir collectivement et avec humilité à ce sujet afin de donner un cadre de référence, un guide pour nos équipes travaillant sur ces technologies numériques. Pourquoi maintenant ? Parce que ces technologies, comme l’Intelligence artificielle, le big data ou les objets connectés, changent en profondeur les organisations et les modes de collaboration. Elles ont aussi soulevé un certain nombre de questions, comme la place de l’humain ou encore les biais inconscients générés par certains algorithmes. Nous avons fait le choix d’aborder ces sujets de manière proactive pour affirmer que les systèmes et produits que nous concevons doivent à tout moment permettre un dialogue avec l’humain, être résilients et sécurisés et prendre en compte l’impérieuse nécessité de préserver notre environnement.

Pourquoi avez-vous présenté Thales sous cet angle ?

Cela nous paraissait plus original ou, en tout cas, plus nouveau dans notre dialogue avec les investisseurs : présenter nos activités à travers les grands défis sociétaux que nos métiers abordent. Pour un groupe d’ingénierie et de tech, il est important de montrer comment, au-delà de ses réductions d’émissions de CO2, Thales peut contribuer positivement à trois grands enjeux sociétaux : rendre le monde plus sûr (questions de sécurité et de défense), plus respectueux de l’environnement et plus inclusif, plus équitable. Nous avons donc donné à nos investisseurs une autre clé de lecture des activités de Thales. C’était un moment important qui leur a montré notre action globale en termes de critères ESG, depuis les enjeux environnementaux jusqu’à notre mode de gouvernance.

Estimez-vous que cette réunion correspondait bien à ce qu’attendaient les investisseurs de Thales ?

Il y avait une demande très importante, et donc de très grosses attentes des investisseurs, également partagées en interne. Un de nos grands challenges dans les 10 ans à venir est d’être toujours plus attractif dans la « guerre des talents ». C’est devenue une réalité en France et à l’international. Pour les jeunes générations, les attentes sur ces questions ESG sont encore plus grandes et il était important pour Thales de s’exprimer, de partager ses objectifs et de montrer que notre entreprise avance. Nous allons continuer à développer ces sujets en interne mais aussi sur les campus, dans les universités, dans les grandes écoles, les écoles d’ingénieurs.

Comment Thales contribue-t-il à améliorer un monde qui doit être plus inclusif ?

Thales contribue à apporter une identité à chaque être humain sur la planète. C’est l’un des défis sociétaux majeurs : plus d’un milliard d’êtres humains vit sans identité et par conséquent sans accès aux services administratifs, à la scolarité, aux droits sociaux les plus élémentaires, aux bureaux de vote, aux voyages, etc… Lutter contre la fracture numérique relève également du champ de l’inclusion. Pendant le confinement, chacun a pu constater que la connectivité était primordiale pour toutes les familles afin de communiquer mais aussi pour suivre les cours à distance pour les enfants ou même se soigner. Mi-2022, Eutelsat mettra en service son satellite de communication Konnect VHTS produit par Thales Alenia Space et doté d’une extraordinaire puissance. Il permettra d’offrir de la connectivité partout en Europe (en France avec Orange) et de réduire la fracture numérique pour les familles qui habitent, par exemple, dans des endroits peu connectés à la campagne ou à la montagne. Nos investisseurs ne disposaient pas nécessairement de cette grille de lecture, ainsi que celle de notre contribution en matière d’environnement ou de sécurité.

Justement, comment convaincre les investisseurs dans un groupe qui est présent dans le domaine de la défense au moment où il y a un débat pour exclure l’industrie de défense des financements dits vertueux ?

Nous avons d’abord de la pédagogie à faire. Nous devons rappeler que cette industrie est probablement la plus réglementée au monde – contrairement à ce que certains propagent. Thales exporte par exemple depuis de grandes démocraties comme la France, l’Angleterre, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie ou l’Inde. Et si nous pouvons exporter, c’est uniquement via une décision explicite d’un gouvernement, lui-même élu démocratiquement et qui décide, en responsabilité, que tel industriel exportera tel produit vers tel pays. Je ne connais pas d’industries qui soient aussi réglementées, aussi encadrées et aussi transparentes.

Mais les opposants disent que vos activités ne sont pas vertueuses ?

Il me semble majeur d’insister sur le fait qu’il n’y aura pas d’activités soutenables sur le long terme s’il n’y a pas, au préalable, des pays stables et des économies stables elles-aussi. Il faut bien considérer que la stabilité et la sécurité sont des pré-requis à la durabilité, une réalité qui est parfaitement comprise et admise par les Américains : « No Sustainability without Stability ». Les investisseurs américains estiment qu’investir dans la défense est légitimement un investissement socialement responsable.

Ce qui n’est pas du tout le cas en Europe pour l’instant…

C’est là où il faut que nous prenions part au débat en expliquant pourquoi, de notre point de vue, nous considérons que la stabilité est un des éléments fondamentaux du développement durable. L’industrie de défense est tout à fait ESG compatible, voire même au cœur de l’ESG. Les gouvernements commencent également à le dire. C’est pour cela que je reste très optimiste parce que dans la pratique, les fonds qui s’interdisent aujourd’hui d’investir dans la défense sont minoritaires. La grande majorité sont soit positifs, soit neutres, sous-entendu ils ne demandent qu’à être convaincus – « donnez-moi des arguments, expliquez-moi pourquoi cette activité de défense relève globalement de l’ESG ». Ce travail d’explication et de pédagogie doit être effectué et, dès lors qu’il le sera, la très petite minorité de fonds s’interdisant d’investir dans la défense restera minoritaire.

Pour autant, il y a un débat au sein de la Commission européenne qui n’est pas encore tranché…

L’Europe, contrairement aux Etats-Unis, a un regard plus ambivalent sur ces questions. Nous devons sortir de cette ambivalence qui est illustrée par le fait que cette même Commission considère aujourd’hui que les questions de souveraineté et, donc, de défense, sont importantes au point même d’y consacrer 8 milliards d’euros avec la mise en place du Fond européen de Défense. Sortir de cette ambivalence est tout à fait possible. Maintenant, il faut que chacun s’exprime. D’ailleurs, le gouvernement français le fait pour ramener de la rationalité dans ce débat et faire en sorte, qu’au bout du compte, les activités de défense et de sécurité soient bien considérées pour ce qu’elles sont : un contributeur important aux questions d’ESG sous l’angle de la stabilité. Stabilité des pays, stabilité des économies, stabilité de la planète.

Vos objectifs de décarbonation sont très ambitieux. Comment les investisseurs peuvent-ils vous faire confiance ?

Nous avons atteint plus vite que prévu nos objectifs de 2023. Nous devons continuer à nous challenger pour aller plus loin. Nous allons nous engager dans une démarche de certification auprès de SBTi (Science-Based Target Initiative) de manière à confronter nos résultats à une vision extérieure. Nous sommes sereins. Car nous utilisons d’ores et déjà toutes les méthodologies SBTi lorsque nous nous auto-évaluons. Bref, pour boucler la boucle, nous nous engageons dans un processus de certification unanimement reconnu pour achever de convaincre les sceptiques que notre démarche est sérieuse.

Comment pouvez-vous réduire significativement les émissions de carbone dans la filière aéronautique ?

Au-delà de l’accélération de la réduction de nos propres émissions opérationnelles, Thales peut avoir un impact majeur dans les émissions évitées, à travers ce que certains appellent le « Scope 4 », une catégorisation toujours en discussion. Nous travaillons par exemple sur l’optimisation des trajectoires des avions, en connectant le « cerveau » de l’avion (Flight Management System) au système de gestion du trafic aérien, deux domaines dans lesquels Thales dispose d’un leadership mondial.

L’impact est potentiellement considérable avec des réductions de l’ordre de 10% des émissions de CO2 réalisables à court terme. Travailler sur les émissions évitées a beaucoup plus de sens pour Thales qui peut contribuer, grâce à ses technologies embarquées, à réduire les émissions de ses clients. C’est également le cas quand le groupe travaille sur des algorithmes dits frugaux. Nous estimons qu’il existe un gisement inexploité qui est considérable. Le numérique va probablement connaître la même tempête que le transport aérien. Chacun réalise aujourd’hui qu’utiliser ordinateurs et smartphones et consommer tous azimuts Netflix ou GeForce Now contribuent au réchauffement climatique.

Dans le domaine du numérique, quelles sont les pistes pour réduire les émissions de carbone ?

Je peux vous donner plusieurs leviers. Le premier passe par l’utilisation la plus généralisée possible des algorithmes dits frugaux. Un algorithme similaire produit le même résultat avec la même efficacité, mais en utilisant moins de capacités de calculs. Cette piste fait l’objet de sujets de recherche et de développement tout à fait concrets.

Deuxième levier : le smart data plutôt que le big data. Qu’est-ce que cela veut dire ? Aujourd’hui, les algorithmes big data ingurgitent des quantités de données de manière massive. A-t-on finalement besoin de faire ingérer toutes ces données à un algorithme plutôt que de sélectionner le juste besoin afin de consommer le moins possible de capacités de calculs. Troisième levier, qui me semble très prometteur, le Far Edge Computing : faire en sorte que les algorithmes traitent la donnée au plus près de là où elle est créée. Par exemple, un pod optronique installé sous le Rafale va récupérer énormément d’images. Ne faut-il pas déjà les traiter ou les prétraiter à bord du pod plutôt que d’envoyer toutes les données brutes à Balard [au ministère des Armées] pour qu’elles y soient traitées ? Cela éviterait de mobiliser tout un tas de capacités de calcul et de communication qui sont consommatrices d’énergie et donc émettrices de CO2. C’est ce qu’on appelle le « Far Edge computing » qui permet de traiter la donnée au plus près des capteurs. Il y a, là encore, des gains qui ne sont pas négligeables.

Et le quatrième levier ?

Il est autant numérique que hardware. Thales travaille sur des processeurs dits neuromorphiques, qui miment le comportement du cerveau. Une de leurs caractéristiques est qu’ils sont potentiellement dix, cent, mille fois plus efficaces en termes de consommation énergétique que les processeurs standards. Ils seront opérationnels à un horizon de 5 à 10 ans. Dans 10 ans, ces processeurs permettront de réduire les émissions de CO2 à capacité de calcul équivalente.

 

 

Fiscalité internationale–La taxe numérique enterrée

Fiscalité internationale–La taxe numérique enterrée

Sur demande insistante des États-Unis la taxe numérique envisagée notamment sur les GAFA  est enterrée. Les États-Unis ont profité  de l’annonce de la réforme fiscale mondiale pour considérer qu’il était peu importun d’engager de nouvelles réformes fiscales tant dans le domaine du numérique ou sur les transactions financières. Du coup au total,  les États-Unis pourraient bien être les principaux bénéficiaires de la réforme fiscale mondiale qui va rapatrier des recettes budgétaires aux États-Unis.

Les ministres des finances du G20 ont approuvéune réforme jugée « révolutionnaire » qui vise à mettre fin aux paradis fiscaux. Elle prévoit notamment d’instaurer un impôt mondial d’au moins 15 % sur les profits des plus grandes firmes internationales et de répartir plus équitablement les droits à taxer ces entreprises. Les détails de cette réforme doivent être encore négociés jusqu’en octobre dans le cadre de l’OCDE pour une mise en œuvre à partir de 2023.

 Cet accord « invite les pays à accepter de démanteler les taxes numériques existantes que les Etats-Unis considèrent comme discriminatoires et à s’abstenir d’instaurer des mesures similaires à l’avenir », avait déclaré Mme Yellen dimanche. « Il appartient donc à la Commission européenne et aux membres de l’Union européenne de décider de la marche à suivre », avait-elle lancé devant la presse en marge du G20, à Venise.

 

Nouvelles technologies–Numérique : Pour une gouvernance internationale transatlantique

Nouvelles technologies–Numérique : Pour une gouvernance internationale transatlantique

 

Spécialiste des enjeux de l’économie numérique, Asma Mhalla plaide, dans une tribune au « Monde », pour la mise en place par les Etats-Unis et l’Union européenne d’une alliance numérique transatlantique.

 

Tribune.
Economie numérique et intelligence artificielle ont brutalement reconfiguré l’échiquier géopolitique mondial. Une nouvelle politique de puissance (power politics) s’installe entre la Chine et les Etats-Unis, avec, comme ambition, la domination des normes technologiques du nouveau système international. Pour fixer nos propres règles, il nous faut rapidement créer une instance de gouvernance numérique euroatlantiste. 

Le défi est grand. L’Europe rêve d’une troisième voie indépendante, les Etats-Unis, de maintenir le statu quo. Mais la conflictualité croissante du monde et l’interdépendance de nos économies appellent à une communauté de destin. Donc de valeurs. Plutôt qu’un repli souverainiste crispé, nous gagnerions à sortir de dogmes anachroniques pour dessiner les contours d’une forme nouvelle de souveraineté élargie et collaborative autour d’une alliance numérique transatlantique.

 

Sur un plan purement technique, l’innovation, relativement homogène, n’est plus un critère suffisamment différenciant entre les forces en présence. Le combat technologique est surtout idéologique. Les socles technologiques et algorithmiques ne sont en effet pas un simple empilement de fonctionnalités neutres. Leur conception, les arbitrages qui les précèdent, les finalités qu’ils poursuivent sont porteurs d’une certaine vision du monde.

Dans la course mondiale aux normes, les lignes de clivage entre les blocs portent donc désormais sur les valeurs, les projets de société, l’architecture politique et technologique associée. Mises sous pression par les puissances concurrentes, les démocraties occidentales, Europe et Etats-Unis en tête, doivent se positionner rapidement, en clarifiant la singularité de notre modèle éthique, technologique et politique.

Or, jusqu’à présent, l’absence d’une gouvernance numérique articulée de part et d’autre de l’Atlantique nous a fait perdre la première partie de la bataille normative internationale tout en fragilisant le pacte démocratique sur le plan national. Plutôt que de se démarquer, nos Etats ont massivement convergé vers le modèle techno-sécuritaire chinois, combinant démocratie et autoritarisme dopé aux algorithmes prédictifs.

 

Nous avons inextricablement enchevêtré les technologies numériques, par nature duales, dans la toile du capitalisme de surveillance. Outrepassant toute considération éthique et démocratique, marqueurs historiques du bloc occidental. A ce compte-là, quelle différence y aura-t-il demain entre le modèle chinois, russe ou occidental ? Pour exister face aux nouvelles puissances, nous allons devoir renouveler rapidement nos modes de gouvernance.

La BCE pour un euro numérique

La BCE pour un euro numérique

 

Après dix-huit mois de consultations préliminaires, le conseil des gouverneurs de la BCE a donné son feu vert, à l’unanimité, mercredi 14 juillet, au chantier de l’euro numérique. Mais cette nouvelle forme virtuelle de la monnaie ne devrait pas arriver dans les  portefeuilles électroniques des jeux européens avant cinq ans. Pour autant les pièces et billets continueront d’exister tant qu’il y aura une demande.

La taxe numérique enterrée

La taxe numérique enterrée

Sur demande insistante des États-Unis la taxe numérique envisager notamment sur les GAFA  à est enterrée. Les États-Unis ont profité  de l’annonce de la réforme fiscale mondiale pour considérer qu’il était peu importund’engager de nouvelles réformes fiscales tant dans le domaine du numérique ou sur les transactions financières. Du coup au total,  les États-Unis pourraient bien être les principaux bénéficiaires de la réforme fiscale mondiale qui va rapatrier des recettes budgétaires aux États-Unis.

Les ministres des finances du G20 ont approuvé, samedi, une réforme jugée « révolutionnaire » qui vise à mettre fin aux paradis fiscaux. Elle prévoit notamment d’instaurer un impôt mondial d’au moins 15 % sur les profits des plus grandes firmes internationales et de répartir plus équitablement les droits à taxer ces entreprises. Les détails de cette réforme doivent être encore négociés jusqu’en octobre dans le cadre de l’OCDE pour une mise en œuvre à partir de 2023.

 Cet accord « invite les pays à accepter de démanteler les taxes numériques existantes que les Etats-Unis considèrent comme discriminatoires et à s’abstenir d’instaurer des mesures similaires à l’avenir », avait déclaré Mme Yellen dimanche. « Il appartient donc à la Commission européenne et aux membres de l’Union européenne de décider de la marche à suivre », avait-elle lancé devant la presse en marge du G20, à Venise.

 

Taxe numérique : pédale douce des États-Unis

Taxe numérique : pédale douce des États-Unis

 

Si les États-Unis ont apporté leur soutien à la nouvelle réforme de l’imposition minimale mondiale de 15 % pour les multinationales par contre ils sont beaucoup plus réticents à la proposition européenne de taxer le numérique. En effet pour les États-Unis cette mesure vise particulièrement les entreprises américaines et ils considèrent que la réforme fiscale concernant l’impôt minimum de 15 % répond déjà à la préoccupation.

En outre la justification de l’Europe de cette taxe ne paraît pas évidente pour les États-Unis. En effet Bruxelles s’attaque ce numérique par la nécessité de financer son plan de 750 milliards soutien à l’économie. Notons que dans le même temps les États-Unis, eux, auront dépensé 3000 milliards et sans taxes supplémentaires en tout cas pour l’instant.

Les États-Unis freinent d’autant plus sur cette perspective d’imposition du numérique une troisième taxe est aussi envisagée concernant les transactions financières. Or trois taxes en même temps c’est peut-être un peu beaucoup à faire avaler aux superstructures américaines traditionnellement assez opposées à l’accroissement des différentes formes de fiscalité.

En outre la réforme fiscale mondiale va demander des modalités et des délais spécifiques. En particulier sur le volet 1 qui concerne les plus grandes multinationales et qui vise à répartir l’impôt entre le pays du siège et le pays de l’activité. Conséquence l’impôt minimum de 15 % pour tous pourrait s’appliquer bien plus vite pour toutes les entreprises pénalisants ainsi davantage les PME PMI que les GAFA.

Interrogée sur le sujet, Janet Yellen a indiqué dimanche que la réaffectation des droits d’imposition prévue par le pilier 1 de la réforme était sur une « voie légèrement plus lente » que l’impôt minimum mondial. La secrétaire au Trésor espère inclure des dispositions du pilier 2 dans un projet de loi de « réconciliation » budgétaire, cette année, que le Congrès pourrait approuver à la majorité simple.

L’ Euro sans version numérique est condamné.

L’ Euro   sans version numérique est condamné. 

Par Philippe Mudry   dans l’Opinion

C’est un avertissement salutaire que vient de lancer le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau. L’Europe doit « agir aussi rapidement que nécessaire » sauf à risquer « une érosion de (sa) souveraineté monétaire, ce que nous ne pouvons tolérer ! ». C’est peu dire que le temps presse. Déjà, le système financier international a senti la menace d’un bouleversement imminent avec le projet, heureusement tué dans l’œuf, de « Libra » de Facebook. Tous les jours, de nouvelles initiatives de création de cryptomonnaies rappellent le profond besoin des utilisateurs finaux de nouveaux moyens d’échanges qui se rêvent tous, peu ou prou, en devises de demain.

Surtout, le haut responsable français a mis le doigt sur la principale menace planant sur la souveraineté européenne, que fait peser la Chine avec son projet de renminbi digital déjà en phase d’expérimentation avancée. Il a le potentiel, ni plus ni moins, de faire basculer le monde de l’ère de « roi dollar » au « roi yuan ». Il a fallu deux guerres mondiales pour que le dollar accède formellement, au travers des accords de Bretton Woods, en 1944, à la suprématie qu’on lui connaît. La Chine entend emprunter une autre route, plus discrète mais pas moins efficace.

Elle consiste à se souvenir d’une règle absolue en matière monétaire : qui possède la monnaie dominante s’assure de la domination financière. Les destins de Londres et de New York sont là pour la rappeler. Pour y parvenir, outre une ouverture progressive des marchés financiers chinois de plus en plus poussée, il s’agit de convertir la masse chinoise à un usage numérique de sa monnaie, une évolution déjà en cours, pour l’étendre ensuite, grâce à l’architecture digitale ainsi créée, à d’autres usagers, étrangers cette fois.

« Pékin travaille avec d’autres pays et la Banque des règlements internationaux, à un grand registre des transactions dont on n’imagine pas que la conception puisse lui échapper »

« Zone yuan ». La « zone yuan » ainsi constituée ne pourra, par effet de masse, que s’élargir ; non seulement pour des raisons de coûts et d’efficacité, mais aussi parce que, qui dit architecture dit standards techniques. En prenant de l’avance sur ce terrain, la Chine se donne les meilleures chances que les siens, déjà tout prêts, s’imposeront à tous.

Déjà, Pékin travaille avec d’autres pays et la Banque des règlements internationaux, à un grand registre des transactions dont on n’imagine pas que la conception puisse lui échapper. Face à cela, où en sont ses concurrents ? Sûrs de leur suprématie monétaire, les Etats-Unis s’éveillent lentement à ce défi. Quant à l’Europe, plus avancée dans sa réflexion, elle n’a toujours pas ouvert concrètement le chantier de la création de l’euro numérique, qui seul peut permettre à ses choix digitaux et aux principes démocratiques qu’ils reflètent, en matière de protection des données personnelles, mais aussi plus généralement de régulation financière, d’être sérieusement pris en compte.

L’Europe sait pourtant ce qu’une domination monétaire étrangère veut dire. Quoiqu’alliée des Etats-Unis, elle a dû subir les conséquences de son « privilège exorbitant » dénoncé par la France dès les années 1960 et dont la plus fameuse illustration, et la plus funeste, demeure l’abandon unilatéral de la convertibilité du dollar en or, le 15 août 1971. Veut-elle vraiment un système monétaire et financier sous domination chinoise ? Si la réponse est négative, il faut agir, sans aucun délai.

Numérique et intelligence artificielle: Pour une gouvernance internationale transatlantique

Numérique : Pour une gouvernance internationale transatlantique

 

Spécialiste des enjeux de l’économie numérique, Asma Mhalla plaide, dans une tribune au « Monde », pour la mise en place par les Etats-Unis et l’Union européenne d’une alliance numérique transatlantique.

 

Tribune.
Economie numérique et intelligence artificielle ont brutalement reconfiguré l’échiquier géopolitique mondial. Une nouvelle politique de puissance (power politics) s’installe entre la Chine et les Etats-Unis, avec, comme ambition, la domination des normes technologiques du nouveau système international. Pour fixer nos propres règles, il nous faut rapidement créer une instance de gouvernance numérique euroatlantiste. 

Le défi est grand. L’Europe rêve d’une troisième voie indépendante, les Etats-Unis, de maintenir le statu quo. Mais la conflictualité croissante du monde et l’interdépendance de nos économies appellent à une communauté de destin. Donc de valeurs. Plutôt qu’un repli souverainiste crispé, nous gagnerions à sortir de dogmes anachroniques pour dessiner les contours d’une forme nouvelle de souveraineté élargie et collaborative autour d’une alliance numérique transatlantique.

 

Sur un plan purement technique, l’innovation, relativement homogène, n’est plus un critère suffisamment différenciant entre les forces en présence. Le combat technologique est surtout idéologique. Les socles technologiques et algorithmiques ne sont en effet pas un simple empilement de fonctionnalités neutres. Leur conception, les arbitrages qui les précèdent, les finalités qu’ils poursuivent sont porteurs d’une certaine vision du monde.

Dans la course mondiale aux normes, les lignes de clivage entre les blocs portent donc désormais sur les valeurs, les projets de société, l’architecture politique et technologique associée. Mises sous pression par les puissances concurrentes, les démocraties occidentales, Europe et Etats-Unis en tête, doivent se positionner rapidement, en clarifiant la singularité de notre modèle éthique, technologique et politique.

Or, jusqu’à présent, l’absence d’une gouvernance numérique articulée de part et d’autre de l’Atlantique nous a fait perdre la première partie de la bataille normative internationale tout en fragilisant le pacte démocratique sur le plan national. Plutôt que de se démarquer, nos Etats ont massivement convergé vers le modèle techno-sécuritaire chinois, combinant démocratie et autoritarisme dopé aux algorithmes prédictifs.

 

Nous avons inextricablement enchevêtré les technologies numériques, par nature duales, dans la toile du capitalisme de surveillance. Outrepassant toute considération éthique et démocratique, marqueurs historiques du bloc occidental. A ce compte-là, quelle différence y aura-t-il demain entre le modèle chinois, russe ou occidental ? Pour exister face aux nouvelles puissances, nous allons devoir renouveler rapidement nos modes de gouvernance.

La fin lobbying des géants du numérique ?

 

Les lobbyistes du secteur de la techologie, dont de nombreux anciens de l’administration Obama, sont désormais confrontés à des adversaires bien implantés au Congrès et à la Maison Blanche.

Un article de Joshua Jamerson dans le Wall Street Journal

 

Lorsqu’il dirigeait Google, Eric Schmidt a aidé l’équipe de la première campagne présidentielle de Barack Obama à développer des outils pour cibler ses partisans.

 

La décision du président Biden de nommer la croisée antitrust et progressiste, Lina Khan, à la tête de la Commission fédérale du commerce (FTC) montre bien à quel point la Silicon Valley est tombée en disgrâce dans la capitale américaine.

Au Congrès, les démocrates et certains républicains s’efforcent d’encadrer les plus grandes entreprises de la tech avec des propositions visant à réduire leur emprise sur le marché. Les parlementaires se félicitent des enquêtes antitrust menées par le département de la Justice (DoJ) et la FTC, qui pourraient obliger ces sociétés à se défaire d’entreprises dont le rachat avait été validé par les pouvoirs publics.

M. Biden a écarté les candidats ayant des liens avec les géants de la tech pour intégrer son administration à la Maison Blanche. Sa décision, annoncée mercredi, de nommer Mme Khan au poste de présidente de la FTC a mis en évidence une chose : la fête est finie pour le secteur technologique, qui avait été cajolé pendant les huit ans de mandat de Barack Obama à la tête du pays.

Au cours des quatre ou cinq dernières années, le balancier s’est radicalement déplacé, passant de « la technologie ne peut rien faire de mal » à « la technologie ne peut rien faire de bien », observe Adam Kovacevich, qui a été pendant douze ans l’un des principaux lobbyistes de Google. Il dirige aujourd’hui Chamber of Progress, un nouveau groupement d’entreprises de la tech, dont l’objectif est de reconquérir les démocrates.

Pendant des années, Amazon et Facebook, ainsi qu’Apple et Google (filiale d’Alphabet), ont figuré parmi les entreprises les plus influentes à Washington. Elles avaient commencé à s’y implanter sous l’administration Obama en apprenant aux hommes politiques à utiliser Internet pour collecter des fonds et diffuser leurs idées

Les groupes de pression du secteur sont confrontés à une nouvelle réalité. Jusqu’à récemment, les lobbyistes de Facebook enregistrés à Washington comprenaient l’une des ex-collaboratrices les plus appréciées de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, Catlin O’Neill — qui est également la petite-fille de Tip O’Neill, un ancien président de la chambre.

Mme O’Neill a travaillé comme chef de cabinet de Mme Pelosi avant d’entrer chez Facebook. Mais en 2019, le refus de l’entreprise de réseaux sociaux de retirer une vidéo truquée la mettant en scène a mis Mme Pelosi dans une rage telle qu’elle a interdit l’accès de son bureau à toute l’équipe de Facebook.

Mme O’Neill a quitté l’entreprise cette année. Facebook n’a pas répondu à une demande de commentaire.

L’ancien directeur de la communication de M. Biden, Jay Carney, supervise, lui, le bureau des affaires publiques d’Amazon à Washington. Sur son compte Twitter, on peut voir une photo des deux hommes affichant un large sourire. Ce passé commun ne semble toutefois pas lui être d’un grand secours : M. Biden a récemment déclaré qu’il n’était « tout à fait anormal » que l’entreprise paie peu d’impôts fédéraux.

Pendant des années, Amazon et Facebook, ainsi qu’Apple et Google (filiale d’Alphabet), ont figuré parmi les entreprises les plus influentes à Washington. Elles avaient commencé à s’y implanter sous l’administration Obama en apprenant aux hommes politiques à utiliser Internet pour collecter des fonds et diffuser leurs idées.

Alors qu’il dirigeait Google, Eric Schmidt avait aidé l’équipe de la première campagne présidentielle de M. Obama à développer des outils pour cibler ses partisans. Il avait également participé à la fête célébrant l’accession à la Maison Blanche du candidat démocrate, à Chicago, et avait siégé dans plusieurs commissions de la nouvelle administration.

En 2012, des membres du personnel de la FTC avaient conclu que Google avait enfreint les lois antitrust. Ils avaient donc demandé aux cinq membres de la commission d’engager des poursuites contre l’entreprise pour avoir illégalement entravé la concurrence. Après une série d’échanges avec de hauts responsables de l’administration Obama-Biden, les membres démocrates de la commission, nommés sur une base politique, avaient joint leurs voix à celles des républicains pour mettre fin à l’enquête et clore le dossier.

Alors que son second mandat touchait à sa fin, M. Obama avait rendu hommage à la Silicon Valley lors d’un événement organisé à la Maison Blanche, baptisé « South by South Lawn ». Les membres de l’aréopage présent avaient posté des selfies sur Instagram avec des constructions en Lego aux formes humaines, avaient enfilé les lunettes de réalité virtuelle de Google et avaient opiné du chef lorsque M. Obama et l’acteur Leonardo DiCaprio avaient exposé les dangers du changement climatique. Certains participants avaient décrit l’événement comme un salon de l’emploi pour les collaborateurs de l’administration en partance.

Beaucoup sont devenus lobbyistes d’entreprises de la tech. Selon l’organisme indépendant Center for Responsive Politics, plus de 80 % des 334 personnes enregistrées l’année dernière en tant que lobbyistes pour Apple, Amazon, Facebook et Google avaient auparavant travaillé au Capitole ou à la Maison Blanche.

Mais la relation des démocrates avec les firmes du secteur s’est dégradée après l’élection de M. Trump en 2016. Pour de nombreuses membres du parti, ces entreprises sont alors apparues comme des adversaires.

Facebook a reconnu que des agents russes avaient publié des documents hostiles aux démocrates sur sa plateforme. Une société de données liée à la campagne de M. Trump, Cambridge Analytica, avait siphonné les données des utilisateurs du réseau social. De nombreux démocrates considèrent que ces erreurs, et d’autres, commises par Facebook, ont contribué à la victoire de M. Trump.

Mais les républicains ont, à leur tour, eu des différends avec ces entreprises.

De hauts responsables de Facebook ayant des liens avec les républicains ont rencontré, en juin 2018, le chef de la majorité républicaine de la Chambre des représentants de l’époque, Kevin McCarthy (Californie), et la présidente du Comité national républicain, Ronna McDaniel, pour discuter des reproches du Grand Old Party qui accusait Facebook de museler les opinions conservatrices.

Lors de cette réunion, les responsables de Facebook ont affirmé que ces allégations étaient sans fondement et ont rappelé que nombre de ses publications les plus consultées étaient le fait de personnalités conservatrices de premier plan. Mais la réunion n’a pas permis de faire redescendre la tension, et le géant des réseaux sociaux a décidé de ne pas communiquer sur sa position, de peur d’attiser le conflit.

« Tout le monde savait que les contenus publiés par M. Trump étaient très vus sur les réseaux sociaux. Les entreprises auraient pu repousser plus fermement les accusations de partialité, soit avec nos propres données, soit en le mettant au défi de produire les siennes », explique Nu Wexler, qui a travaillé dans les équipes de communication de Twitter, Facebook et Google. « Mais nous avons esquivé le combat et la situation est devenue incontrôlable. »

Google a également connu des turbulences à Washington peu après l’élection de M. Trump.

Les sénateurs démocrate Richard Blumenthal (Connecticut) et républicain Rob Portman (Ohio) ont fait équipe en 2017 pour lutter contre le proxénétisme en ligne.

Au début, Google a refusé de discuter du projet de loi avec les sénateurs. « Ils nous ont fait un bras d’honneur », se souvient M. Blumenthal.

Lorsque les parlementaires ont continué à faire pression en faveur de l’adoption de ce projet de loi, Google a envoyé un duo de lobbyistes pour expliquer aux membres des équipes de M. Blumenthal que la législation nuirait au sénateur sur le plan politique, poursuit M. Blumenthal.

Lors de cette réunion dans le bureau de M. Blumenthal au Capitole, les deux lobbyistes de Google ont demandé aux membres du personnel de lui transmettre un avertissement : « Vous allez détruire Internet tel que nous le connaissons, et ce sera de votre faute », ajoute M. Blumenthal.

Google n’a pas répondu à une demande de commentaire.

« Aujourd’hui, j’en ris, mais au fond de moi, cela a renforcé ma détermination à faire passer ce projet de loi, et honnêtement, cela m’a encore plus énervé », déclare M. Blumenthal.

Le projet de loi a été adopté par une large majorité.

La sénatrice démocrate Amy Klobuchar (Minnesota), qui dirige une commission sénatoriale compétente en matière de droit antitrust, explique avoir connu le même sentiment de rejet vis-à-vis de ces entreprises, en 2017, alors qu’elle rédigeait un projet de loi pour les obliger à divulguer davantage d’informations sur les publicités politiques en ligne.

« Ce que j’ai appris d’eux, c’est leur prétention à ne même pas vouloir jouer selon les mêmes règles » que les autres diffuseurs de publicités politiques, comme les stations de radio et les journaux, précise-t-elle. Par la suite, les entreprises de la tech ont davantage soutenu son projet de loi, qui n’a finalement pas été adopté.

Tim Wu, qui a été choisi pour diriger le National Economic Council, a récemment publié un livre dans lequel il affirme que les géants de la tech étouffent l’innovation. Quant à Lina Khan, nouvelle patronne de la Commission fédérale du commerce, elle a été l’une des principaux détracteurs du secteur depuis la publication, en 2017, d’un document appelant à adopter une nouvelle approche de l’application de la loi antitrust pour encadrer les entreprises technologiques

Cette année, elle en a présenté un autre texte qui faciliterait le démantèlement des géants du secteur par les pouvoirs publics. Elle a repoussé les demandes des lobbyistes qui souhaitaient un assouplissement de sa proposition.

Alors que cinq projets de loi de la Chambre des représentants relatifs au secteur de la tech ont été présentés ce mois-ci, les lobbyistes des entreprises les plus concernées affirment qu’ils ont été exclus du processus d’élaboration et que les parlementaires ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour qu’ils n’aient pas accès aux avant-projets.

« Le secteur a été traité comme un ennemi qu’il fallait maintenir à distance », affirme un lobbyiste. Résultat, les projets de loi sont plus sévères pour les entreprises de la tech que si les parlementaires avaient sollicité leur avis pour élaborer des textes qu’ils seraient susceptibles de soutenir.

Mais le signe le plus clair du déclin de l’influence des entreprises de la tech à Washington vient de la Maison Blanche elle-même.

L’ancien directeur de la communication de M. Biden défend Amazon contre les attaques des progressistes, et notamment de la sénatrice démocrate Elizabeth Warren (Massachusetts), qui a accusé à plusieurs reprises le géant du e-commerce de faire du lobbying pour insérer des niches fiscales dans le code des impôts afin de réduire sa facture. L’entreprise utilise depuis longtemps des crédits d’impôt, notamment pour sa recherche et développement.

Le 5 avril, lorsque Mme Warren a écrit sur Twitter qu’elle était « lasse des entreprises qui resquillent », M. Carney a répondu directement, en tweetant : « Sénatrice @ewarren, avec tout mon respect, le crédit d’impôt pour la R&D existe depuis 40 ans, soit bien avant Amazon. Le sénateur Sanders a voté 8 fois en sa faveur. Le sénateur Biden a voté pour 10 fois. Et en 2015, vous avez vous-même voté pour le rendre permanent. »

Mme Warren n’a pas répondu à M. Carney, et M. Biden s’est récemment plaint du niveau des impôts payés par Amazon.

Le président a également remis en question le nombre d’emplois créés par le secteur technologique et a appelé à une réglementation plus stricte du contenu des plateformes Internet.

Pendant sa campagne présidentielle, une publicité de la campagne Trump, notamment diffusée sur Facebook, a accusé à tort M. Biden d’avoir fait pression sur les autorités ukrainiennes pour qu’elles renvoient le procureur chargé d’enquêter sur une entreprise ayant des liens avec son fils, Hunter.

L’équipe de campagne de M. Biden a demandé à Facebook de retirer la publicité, mais la société a refusé. Après sa victoire, le nouveau président a déclaré que le géant de Menlo Park et d’autres entreprises devraient être tenus responsables du contenu publié sur leurs réseaux.

Les lobbyistes des entreprises de la tech ont cherché à persuader M. Biden de nommer des partisans du secteur au sein de son administration, tout comme l’avait fait M. Obama. Au lieu de cela, le président a nommé deux éminents adversaires des Big Tech — Mme Khan et Tim Wu — à des postes clés.

M. Wu, qui a été choisi pour diriger le National Economic Council, a récemment publié un livre dans lequel il affirme que les géants de la tech étouffent l’innovation. Quant à Mme Khan, elle a été l’une des principaux détracteurs du secteur depuis la publication, en 2017, d’un document appelant à adopter une nouvelle approche de l’application de la loi antitrust pour encadrer les entreprises technologiques.

« Ce ne sont plus les mêmes interlocuteurs bienveillants que la dernière fois », résume Barry Lynn, un partisan du démantèlement des entreprises technologiques qui l’Open Markets Institute, un organisme marqué à gauche.

Chad Day et Ryan Tracy ont contribué à cet article

(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)

Traduit à partir de la version originale en anglais

Pour une vraie régulation du numérique

Pour une vraie régulation du numérique 

« Vouloir à toute force isoler les grandes plateformes et refuser qu’elles travaillent en France et en Europe, pénalisera autant, si ce n’est davantage, les entreprises européennes du numérique, que les Gafam eux-mêmes » Par Giuseppe de Martino  président de l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC) dans l’Opinion.

 

 

Le 3 juin prochain, les sénateurs vont débattre dans l’hémicycle de la « régulation des Gafam ». Cette manière de poser le débat, à partir de clichés et de concepts marketing, m’interpelle et m’inquiète.

Le terme Gafam, qui regroupe sous un acronyme facile à retenir, cinq grandes entreprises américaines, est avant tout un support à une détestation, un moyen de disqualifier. Il est tellement facile, face aux difficultés et aux échecs, de chercher des boucs émissaires, des « coupables » de tous les maux, que l’on adore détester et vilipender. Cela fait maintenant près de vingt ans que la détestation de ces entreprises est devenue un sport national en France, et qu’il se cristallise sur cet acronyme de Gafa, devenu Gafam. Cinquante ans après « US go home », on a toujours un problème avec la domination économique américaine.

Entrer dans le débat politique de manière aussi émotionnelle, et donc irrationnelle, permet rarement d’arriver à des solutions efficaces aux problèmes que l’on prétend traiter.

Ces cinq entreprises sont effectivement puissantes, mais sont également très différentes, tant par leurs modèles économiques que par leur culture propre. Vouloir toutes les traiter de la même manière, par une régulation unique, sans tenir compte de leurs différences, risque de mener à une impasse. Les débats européens sur le paquet législatif du Digital Market Act, qui débutent à peine, vont rapidement se heurter à cet obstacle méthodologique.

Une régulation économique doit donc se baser sur des critères objectifs, comme les modèles économiques. On régule des marchés, des activités, comme les moteurs de recherche, et pas seulement Google, les réseaux sociaux, et pas seulement Facebook. Une régulation économique ne se fait pas à la tête du client, ni en posant le débat en termes de « gentils » et de « méchants » !

« Ces entreprises investissent et s’implantent en Europe et en France. L’implantation d’un entrepôt d’Amazon à Metz est un projet à 250 millions d’euros. Microsoft et Google investissent plusieurs centaines de milliers d’euros dans des programmes de formation »

Entrer dans le débat par ce concept de Gafam, c’est oublier que derrière, il y a tout un écosystème, avec des chaînes de valeur où les plateformes que ne sont que des têtes de réseaux, un navire amiral autour duquel se trouve toute une flottille. Les grandes entreprises ont des budgets de R&D absolument fabuleux, qui sont un moteur essentiel pour l’innovation, qui irrigue en profondeur, là où les Etats et la recherche publique se désengagent. Pour un patron de start-up technologique, être repéré voire racheté par un Gafam est ce qui peut lui arriver de mieux. Cela veut dire que son innovation est bonne, et qu’il abrite des talents.

Ces entreprises investissent et s’implantent en Europe et en France. L’implantation d’un entrepôt d’Amazon à Metz est un projet à 250 millions d’euros. Microsoft et Google investissent plusieurs centaines de milliers d’euros dans des programmes de formation.

Elles travaillent avec des entreprises européennes et le récent partenariat de Microsoft avec Orange et Cap Gemini, pour développer un cloud souverain, est un exemple de travail en commun où tout le monde est gagnant. Vouloir à toute force isoler ces grandes plateformes et refuser qu’elles travaillent en France et en Europe, pénalisera autant, si ce n’est davantage, les entreprises européennes du numérique, que les Gafam eux-mêmes.

Le modèle des plateformes numériques amène, par des effets de réseau, à des positions fortes mais qui sont aussitôt contestées. L’innovation permanente et l’évolution des usages bouleverse en permanence ce secteur. C’est structurel, et le débat sur la nécessité de corriger des excès ou des effets de bord est tout à fait légitime. Mais de grâce, que cela soit fait de manière rationnelle, en tenant compte des réalités et pas par des débats à l’emporte-pièce, construit sur l’émotion et les clichés. Ne sacrifions pas l’écosystème.

Giuseppe de Martino est président de l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC) et co-fondateur de Loopsider.

Numérique: Éviter la mise à l’écart de l’Europe.

Numérique: Éviter la mise à l’écart de l’Europe.

Par Cyrille Dalmont (Institut Thomas-More) dans l’OPINION 

Chronique

 

Avec la défense et le spatial, le numérique est le domaine dans lequel le déclassement géoéconomique et géostratégique européen est le plus frappant. D’un côté, des discours, des conférences de presse, des tweets vantant les mérites d’une improbable et bien brumeuse « souveraineté numérique européenne » ; de l’autre la Chine, les Etats-Unis et même la Russie qui font chaque jour usage de leur souveraineté pour préserver leurs intérêts dans une économie mondialisée et ultra-connectée et la compétition technologique mondiale acharnée.

Soyons justes. L’Union européenne n’est pas un Etat. Elle est une organisation internationale, sans doute plus intégrée que beaucoup d’autres, mais une organisation internationale. La souveraineté appartient à ses 27 Etats membres et sa fonction principale, comme toute organisation internationale, reste l’élaboration de normes à destination des Etats ayant ratifié ses traités. C’est ce fait précis, que personne n’ose regarder bien en face, qui interdit toute « souveraineté européenne », numérique ou pas. Pire, dans le domaine numérique, c’est le carcan du droit européen de la concurrence et sa surabondance de normes qui empêche l’émergence de Gafam européens, dont la création ne peut reposer que sur une logique de souveraineté nationale.

Quand les Etats-Unis, la Chine ou la Russie font jouer à plein les ressorts de leur puissance étatique pour promouvoir leurs géants numériques (de taille mondiale pour les Gafam et les BATX ou régionale pour le russe Yandex), l’Union européenne est, et ne peut être, qu’aux abonnés absents. Elle ne peut en effet pas imiter la Chine qui n’hésita pas, par exemple, à protéger son économie en empêchant l’implantation d’entreprises étrangères comme Amazon ou Uber (et en finançant leurs concurrentes locales Alibaba et Didi) ou à exclure purement et simplement Google de son Internet national. Pas plus que les Etats-Unis et leurs sanctions économiques contre le géant chinois Huawei ou le blocage par décret du rachat du géant américain des microprocesseurs Qualcomm par son concurrent singapourien Broadcom (invoquant des motifs de sécurité nationale).

Consommateur anonyme. Bien loin d’actes aussi lourds et significatifs, l’Union européenne se contente d’appliquer les principes du droit européen de la concurrence au profit d’un consommateur anonyme de produits importés du monde entier, affaiblissant au passage l’outil productif européen. Les règles de concurrence, pensées dans le monde d’avant, celui de la « mondialisation heureuse » et de la dérégulation des marchés des années 1990, n’ont jamais été réévaluées. L’Union s’en tient donc au strict respect des principes du droit de la concurrence d’« égalité » et de « non-discrimination » à l’encontre de quelque opérateur que ce soit.

Pour les faire respecter, elle ne dispose que d’une « politique de la règle », selon l’exacte formule du philosophe néerlandais Luuk van Middelaar. Il en est ainsi des deux projets de règlements européens, le digital services act (DSA) et le digital market act (DMA), qui doivent entrer en application d’ici 2023 et dont nous savons déjà qu’ils n’auront qu’un faible impact sur des entreprises qui sont quasiment toutes extra-européennes et dont nous sommes dépendants.

«La surabondance de normes ne protège plus ni l’économie, ni l’industrie, ni la recherche européenne mais elle interdit l’émergence d’éventuels géants du numérique et la constitution d’un environnement propice à la réindustrialisation de l’Europe»

Mais nous avons aujourd’hui atteint un point critique. Non seulement cette surabondance de normes ne protège plus ni l’économie, ni l’industrie, ni la recherche européenne mais elle interdit l’émergence d’éventuels géants du numérique sur son territoire et la constitution d’un environnement propice à la réindustrialisation de l’Europe. L’ensemble de la structure du droit européen de la concurrence depuis le traité de Maastricht repose sur l’idée que les objectifs fondamentaux des règles de l’Union consistent à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur au profit du consommateur, et oublie complètement l’outil de production.

Les résultats de cette politique jamais remise en cause sont, hélas, éloquents. Dans le top 100 des entreprises mondiales par capitalisation boursière, 57 entreprises sont américaines, 13 sont chinoises et seulement 11 sont originaires de l’Union européenne. Si l’on regarde les 10 premières capitalisations boursières mondiales, huit appartiennent à l’univers du numérique, aucune n’est européenne. Dans le top 20 mondial des entreprises du secteur technologique par chiffre d’affaires, il ne reste plus qu’une seule entreprise européenne (Deutsche Telekom). Dans le top 5 mondial des entreprises de hardware, aucune entreprise européenne. Il en va de même pour les systèmes d’exploitation, le cloud, les data centers, les smartphones, les semi-conducteurs, les puces et microprocesseurs.

De nombreuses entreprises européennes seraient aujourd’hui capables de collaborer à l’élaboration de filières numériques d’excellence qui nous permettraient de rivaliser avec les géants mondiaux du secteur. Mais, en l’absence de commandes publiques, de marchés réservés, de levées de fonds suffisantes et de vision stratégique de ce que représente la numérisation de nos sociétés, elles ne peuvent espérer y parvenir. Un parallèle illustre à lui seul ce constat : alors que le montant du dernier contrat de Microsoft avec le Pentagone s’élève à 22 milliards de dollars (succédant au contrat « Jedi » de 11 milliards de dollars), le livre blanc de la Commission européenne sur l’intelligence artificielle de février 2020 prévoit un fonds d’investissement de 100 millions d’euros à destination des PME et des start-up européennes…

Boîte de Pandore. Il est donc urgent d’ouvrir les yeux : le principal frein à l’exercice de toute « souveraineté numérique » en Europe, nationale puisque la souveraineté ne peut être que nationale, est le droit européen de la concurrence qui empêche l’émergence de champions de taille mondiale et la création d’un environnement favorable à une réindustrialisation du continent. Pour autant, tout n’est pas perdu et il est possible d’agir. Nous formulons neuf propositions qui pourraient être adoptées à droit constant (sans ouvrir la boîte de Pandore de la renégociation des traités) afin de réagir vite et fort en vue d’enrayer le déclassement numérique définitif qui nous menace.

La première proposition, pierre angulaire de toutes les autres, consiste en l’adoption d’un règlement d’exception visant à la non-application du droit européen de la concurrence dans les domaines stratégiques liés au numérique. Cela permettra de stimuler la réindustrialisation européenne, en permettant des commandes publiques massives et en protégeant les secteurs stratégiques de nos économies numérisées (domaines régaliens).

Nous proposons également de réviser le statut des groupements européens d’intérêt économique (GEIE) et de créer des zones économiques spéciales européennes (ZESE) et des groupements d’intérêt public européen (GIPE) au travers de deux nouveaux règlements européens. Cela aidera à sécuriser le marché des puces électroniques et des semi-conducteurs et à mettre en œuvre une stratégie d’innovation industrielle dans le secteur des objets connectés. Des efforts massifs pourraient ainsi être accomplis afin de réinvestir le marché des smartphones et des systèmes d’exploitation, de favoriser l’émergence de data centers et de cloud souverains de niveau mondial dans les Etats membres, et d’assurer le déploiement d’antennes 5G et de câbles sous-marins « made in Europe », en en conservant la propriété ou au minimum l’exploitation.

C’est donc un ensemble de mesures que nous proposons pour créer un véritable écosystème numérique permettant l’émergence de nouvelles entreprises de taille mondiale, à droit constant. De très nombreux professionnels sont plus que conscients du dénuement total de l’Europe dans le domaine numérique et attendent que les dirigeants européens prennent les décisions courageuses qui s’imposent.

Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas-More, vient de publier le rapport « L’impossible souveraineté numérique européenne : analyse et contre-propositions » (avril 2021).

Administration :Les limites du numérique

Administration :Les limites du numérique

 

Trois cadres de la fonction publique territoriale appellent, dans une tribune au « Monde », à plus de prudence dans la « dématérialisation » de l’administration, trop souvent source de surcoûts, d’inefficacité, de tensions avec les usagers et d’émissions de gaz à effet de serre.

 

Tribune. 

 

Injonction paradoxale ou hasard de calendriers ? Le Sénat a adopté, le 12 janvier, la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique ; dans le même temps, le gouvernement affirme à grand renfort de financements et d’appels à projets son objectif de dématérialiser 100 % des démarches administratives d’ici à 2022.

Le numérique, vecteur du « zéro papier », est souvent présenté comme une solution écologique. Mais le terme « dématérialisation » est trompeur car il y a bien exploitation et création de matière. Derrière la transformation numérique de nos organisations se cachent ainsi des impacts environnementaux et sociaux que nous devons saisir en pleine conscience et responsabilité.


La crise sanitaire a drastiquement accéléré le mouvement en matière de déploiement des outils informatiques et des usages numériques. Or, selon le think tank [sur la transition énergétique] The Shift Project, le numérique serait déjà responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau national (7 % en 2040 !), alors que seulement 20 % des démarches administratives sont aujourd’hui dématérialisées.

Le numérique est assurément un allié pour améliorer la performance des administrations et la qualité du service rendu aux citoyens. Mais poursuivre l’objectif d’une dématérialisation à 100 % nécessitera de revoir les stratégies numériques publiques (voire de les créer !) afin d’assurer leur soutenabilité au sens économique, social, démocratique et environnemental.


Dès lors que les deux tiers de l’empreinte carbone du numérique proviennent des terminaux (ordinateurs, smartphones…), en grande partie lors de leur fabrication, les acteurs publics doivent veiller à la systématisation des dotations en matériel. Ils doivent améliorer la qualification des besoins, jouer sur l’allongement de la durée de vie et la réparabilité des matériels, favoriser leur réemploi au bénéfice des usagers fragiles et des associations locales.

Le tiers restant de l’empreinte carbone provient des millions de données publiques stockées dans les data centers. Il convient également de réguler les dispositifs de sauvegarde et l’accès au cloud, en privilégiant les infrastructures locales, moins polluantes.


S’engager dans la nécessaire sobriété numérique implique de profonds changements dans les usages des agents publics : réduire l’usage excessif des e-mails (un arbre absorbe 20 kg de CO2 par an, 666 e-mails avec un fichier attaché de 1 Mo en produisent autant), revoir la collecte et la sélection des données (41 % des données collectées ne sont pas utilisées pour des analyses), développer les compétences numériques et sensibiliser à la cybersécurité.

Bientôt un euro numérique ?

Bientôt un euro numérique ?

 

 

Nombre de Banques Centrales s’interroge sur l’intérêt ou pas de réguler les cryptomonnaies y compris en créant une version numérique des monnaies classiques C’est le cas aussi de la Banque centrale européenne. Mais cette fois comme le ministre des finances allemand s’est prononcé pour la création d’un euro numérique la question pourrait avancer de façon significative et la BCE pourrait décider dès l’été de son principe.

 

L’Europe doit être « aux avant-postes » de la création d’une monnaie numérique commune et « activement » œuvrer pour que ce nouvel outil de paiement voit le jour, a plaidé vendredi 16 avril le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz.« Une Europe souveraine a besoin de solutions de paiement innovantes et compétitives », a-t-il déclaré en amont d’une visioconférence des ministres des Finances de la zone euro (Eurogroupe), qui doit aborder cette question.

 

La BCE décidera cet été si elle se lance ou non dans la création d’un euro numérique, à l’issue d’une vaste consultation et d’études engagées ces derniers mois, a indiqué cette semaine l’un de ses responsables. Selon une enquête publique de l’institution de Francfort, également dévoilée cette semaine, les particuliers et les professionnels interrogés attendent en premier lieu de la monnaie numérique la confidentialité (43%), suivie de la sécurité (18%), la capacité de payer dans la zone euro (11 %), l’absence de frais supplémentaires (9%) et la possibilité de payer en dehors de l’internet (8%).

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