Le numérique pour renforcer la sécurité
« Promulguée en janvier 2023, la Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) vise un objectif majeur : faire de la présence des policiers nationaux et des gendarmes sur le terrain la règle, et le temps au commissariat ou en brigade l’exception » (par Benoît Fayet et Boris Laurent dans la Tribune )
Les épisodes de violence, qui se sont déroulées en juin et juillet dernier, ont été un véritable choc pour l’opinion et les pouvoirs publics, à plusieurs niveaux. D’abord, l’ampleur géographique avec 66 départements et 516 communes concernés [1]. Ensuite, des modus operandi inédits par les ciblages des forces de l’ordre mais aussi d’élus de la République. Enfin, le passage à l’action très rapide des émeutiers et la décrue soudaine des actes de violence, qui s’explique en partie par le déploiement massif et rapide des forces de l’ordre. La présence de ces dernières sur la voie publique renforce la sécurité au quotidien. Quod erat demonstrandum (CQFD).
Or, un récent rapport indique que les commissariats de police sont saturés de dossiers et de procédures en attente de règlement [2]. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 2,7 millions de dossiers anciens et 3,5 millions de nouvelles procédures enregistrées la même année. Les services de police sont ainsi complètement engorgés de dossiers liés à la délinquance quotidienne comme les cambriolages, les voies de fait mais aussi les coups et blessures plus graves. L’équation semble se compliquer pour le ministère de l’Intérieur, qui veut renforcer la présence policière dans la rue mais doit aussi désengorger les commissariats saturés de dossiers. Elle n’est pour autant pas insoluble.
La Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) prévoit de renforcer les effectifs des forces de l’ordre [3]. Promulguée en janvier 2023, la LOPMI vise un objectif majeur : faire de la présence des policiers nationaux et des gendarmes sur le terrain la règle, et le temps au commissariat ou en brigade l’exception. Pour « mettre plus de bleu dans la rue », le ministère de l’Intérieur compte également sur la transformation numérique de l’activité opérationnelle de ses agents sur le terrain par le déploiement d’outils numériques sur mesure pour les policiers nationaux et les gendarmes. C’est d’ailleurs le sens à donner à la LOPMI qui s’impose comme une « révolution numérique » ouvrant de nouvelles possibilités digitales pour les forces de sécurité intérieure.
La mise en place de la procédure des amendes forfaitaires délictuelles (AFD) opère cette double bascule numérique et opérationnelle. Les AFD permettent aux forces de l’ordre de verbaliser des délits directement sur la voie publique, en flagrance. Cette procédure est rendue possible grâce à un équipement numérique mobile mis à disposition des forces de l’ordre, appelé NEO. Ce terminal permet aux policiers nationaux et aux gendarmes d’accéder à tout moment et en tout lieu à leurs applications professionnelles. Il garantit un haut niveau de sécurité et permet donc de rédiger un procès-verbal électronique via une application dédiée et d’établir une AFD dans la rue.
L’ambition des AFD est double : réduire le volume de contentieux simples qui génèrent des lourdeurs sur l’ensemble de la chaîne pénale grâce à la suppression de tout passage devant les tribunaux, et lutter contre des infractions qui détériorent le quotidien des citoyens en générant de l’insécurité (usage de stupéfiants, occupation illicite de hall d’immeuble et conduite sans permis). Rendre les policiers et les gendarmes plus mobiles sur la voie publique et plus près des citoyens est tout le sens à donner à cette procédure des AFD.
Fort du succès des équipements mobiles NEO, évoqués plus haut, le ministère de l’Intérieur veut aller plus loin avec le déploiement d’une nouvelle génération, dite NEO 2. Les NEO 2 disposent de batteries et d’une capacité de calcul et de mémoire de meilleure qualité, ce qui va dans le sens d’une plus grande utilisation dans la rue pour les forces de l’ordre. Ils offrent des capacités de communications radio supplémentaires via le Réseau radio du futur (RRF) avec la mise à disposition d’un débit 4G ou 5G priorisé pour les communications des forces de sécurité. À terme, les technologies offertes par le RRF pourront aussi permettre de consulter plus de données en temps réel sur la voie publique et une meilleure interopérabilité avec d’autres acteurs producteurs de sécurité comme les polices municipales et leurs centres de supervision urbain (images issues de la vidéoprotection).
Enfin, le numérique peut aussi permettre de développer la présence des forces de l’ordre sur le terrain, comme en témoigne le dispositif Ubiquity déployé par la gendarmerie nationale pour renforcer son ancrage territorial et son lien avec la population. Il s’agit d’ordinateurs portables connectables en tout lieu, aussi bien au réseau de la gendarmerie qu’à un réseau wifi classique. Cet outil numérique dispose de fonctionnalités pour la rédaction de procédures en mobilité sur la voie publique, dans les espaces France Service, dans les hôpitaux ou les domiciles de victimes par exemple, facilitant ainsi la prise d’une plainte, l’audition d’un témoin ou la verbalisation d’infractions. Au-delà du rôle qu’il joue dans le renforcement de la présence des forces de l’ordre sur le terrain, le numérique permet ici d’offrir une nouvelle forme de relation entre les forces de l’ordre et la population. Il s’agit d’un changement de paradigme, de l’accueil en unité à une dynamique d’« aller vers » les citoyens.
L’action des forces de l’ordre sur la voie publique doit être assurée par un continuum de services numériques. Celui-ci doit suivre une logique de « chaîne intégrée » couvrant l’ensemble des gestes métiers qu’un policier ou un gendarme peut effectuer sur le terrain. Cela peut se traduire, en amont, par la consultation de fichiers de police sur la voie publique et par l’alimentation de fichiers de police par des informations issues d’une verbalisation dans le cadre d’une AFD, par exemple. Cette « chaine intégrée » doit offrir plus de possibilités d’actions aux forces de l’ordre sur la voie publique (prise d’empreintes digitales, par exemple) et être adaptée à leurs contraintes opérationnelles avec des matériels peu nombreux, idéalement intégrés aux NEO ou modulables et embarqués.
En patrouille ou en ilotage, il s’agira à terme de collecter et de traiter en temps réel toujours plus d’informations et de données. Plusieurs pistes de réflexion existent, comme les outils à commande vocale (possibilité de dicter les références d’une plaque d’immatriculation plutôt que de les saisir, etc…), ou encore l’amélioration d’outils de conduite des opérations « command and control » (C2) bénéficiant d’une géolocalisation fiabilisée des forces de l’ordre et des événements, et de suite logicielle de visualisation de données 3D. Les gains pour les politiques et les stratégies de sécurité territoriales et locales seraient dès lors conséquents.
De même, si on souhaite favoriser la consultation en temps réel de plus d’informations issues des fichiers de police sur les équipements mobiles NEO, il faut réfléchir à la manière dont ces informations sont affichées sur ces équipements pour permettre une consultation confortable sur des écrans de taille réduite avec les informations contextuelles clés et strictement nécessaires à la sécurisation des interventions (conduite à tenir si personne dangereuse, photo du visage, etc.).
Il faut enfin s’appuyer sur les innovations technologiques les plus récentes de l’IA pour développer autour des NEO 2 par exemple des briques de commandes vocales allant au-devant des solutions existantes de « speech to text » permettant de la rédaction de compte-rendu simplifié à la voix ou encore réfléchir à l’interopérabilité à terme avec d’autres équipements mobiles innovants du type lunettes connectées (lunettes XR/VR).
Une réflexion sur le cadre règlementaire de ces nouveaux usages devra être posée en amont. La question des données consultées et transmises est un enjeu clé, dans un contexte évolutif, et leur contrôle doit être systématisé au regard des finalités opérationnelles visées par les forces de l’ordre et selon un principe de proportionnalité.
Ainsi, la réflexion sur l’apport des outils numériques dans la sécurité publique fait apparaître en creux la question de l’équilibre entre la demande toujours plus forte d’efficacité de la police et de la gendarmerie, et le renforcement nécessaire de la réglementation pour la protection des données. L’enjeu est donc d’identifier des solutions permettant des gains opérationnels tout en ne transigeant pas sur la protection des données et leur bon usage par les forces de l’ordre, qui sont autant de principes fondamentaux de notre société.
De plus, il convient de ne pas minimiser la question du risque de vols d’équipements mobiles plus nombreux et qui pose des enjeux éthiques importants, considérant l’accès aux données sensibles que ces équipements permettent aujourd’hui et encore plus à terme (données recensant des personnes mises en cause dans des affaires pénales, etc…). Les systèmes de désactivation à distance doivent être renforcés et systématisés, tant cet aspect sécurité n’est pas à laisser de côté.
Enfin, qui dit numérique, dit sécurité des systèmes et cyberattaque. La multiplication des opérations réalisées par les forces de l’ordre en dehors de leurs unités appelle à une réflexion sur l’intégration des couches techniques socles des équipements mobiles. En effet, ces dernières sont indispensables au bon fonctionnement des équipements mobiles dont il faudra veiller continuellement à leur sécurité informatique, voire à la renforcer. L’objectif est d’empêcher les mauvais usages, l’utilisation non autorisée, la modification ou le détournement de ces outils numériques et les données concernées.
Pour concilier les objectifs de présence visible sur la voie publique, de performance de l’offre de sécurité du quotidien et de réponse pénale efficace, il convient donc de poursuivre le déploiement d’outils numériques adaptés, sur mesure et sécurisés, pour plus de services et de proximité avec les citoyens, tout en veillant à garantir le respect de la protection des données et leur bon usage par les forces de l’ordre, deux principes fondamentaux de notre société.
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[1] Contre 25 départements et 200 communes lors des émeutes de 2005.
[2] Les commissariats de police saturés par 2,7 millions de procédures en souffrance (lemonde.fr)
[3] 7.390 policiers et gendarmes supplémentaires d’ici à 2027 auxquels s’ajoutent 238 nouvelles brigades de gendarmes dans les zones rurales et péri-urbaines. La réserve opérationnelle de la police nationale devrait passer de 6.000 à 30.000 personnels et celle de la gendarmerie de 50.000 à 60.000 personnels.