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Radios : La nuance ou le racolage partisan

Radios : La nuance ou le racolage partisan

 

La semaine dernière, à la demande des autorités chinoises, Apple a retiré des applications Radio France de son App Store. Selon Pékin, celles-ci comportent du « contenu illégal en Chine ». Ce qui semble nous valoir cette soudaine censure : un podcast remarquable de France Inter, « Xi Jinping, le prince rouge », qui raconte la vie du dirigeant chinois de sa jeunesse à son ascension. Ce récit passionnant est aussi celui de l’histoire de ce grand pays, de la montée de la surveillance et de la censure.

 

par Sibyle Veil, PDG de Radio France dans la Tribun

 

Mardi 25 juin, la Russie a annoncé qu’elle bloquait l’accès sur son territoire à la diffusion de 81 médias européens, dont Radio France. Une fois encore, un pouvoir autoritaire étouffe toute contradiction et enlève des espaces d’ouverture et de réflexion permettant d’échapper aux appareils de propagande.

Cette double censure est paradoxalement un hommage à la qualité du travail des journalistes de tous les médias visés. Que craignent ces régimes pour tenter de nous réduire au silence ? Un podcast est-il si dangereux ? De l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne à l’artiste chinois en exil Ai Weiwei, nous savons que les mots et les œuvres sont dissidents. Ils peuvent réveiller les consciences et les peuples.

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ». Ces décisions brutales nous rappellent la relation vitale, existentielle, entre l’accès aux médias et notre liberté. Ceux qui veulent exercer un pouvoir sans partage commencent toujours par interdire de parole quiconque ose contredire ou nuancer les récits officiels.

Dans nos sociétés occidentales, la liberté fait face à une menace plus sournoise, mais tout aussi réelle que la censure politique.

Cette menace, c’est ce que j’ai appelé la société du défouloir. La révolution numérique, la prolifération des réseaux sociaux, les algorithmes qui poussent à la colère et à l’impulsivité, l’anonymat qui incite au défoulement, à l’injure et parfois au harcèlement, voilà les poisons qui sont en train de saper les bases de la démocratie. Confondre l’outrance et la violence avec la sincérité et l’authenticité est un autre moyen de faire taire l’esprit de nuance et de tuer la réflexion. Cette menace est d’autant plus troublante et difficile à contrer qu’elle s’instille dans nos comportements les plus anodins et quotidiens, comme de se saisir d’un smartphone, jouant de nos addictions et de nos émotions.

Ce business du buzz et du clash récompense ceux qui crient le plus fort et réduit au silence tous ceux qui se questionnent. Dans Les Ingénieurs du chaos, l’essayiste Giuliano da Empoli montre que ce phénomène n’est pas qu’un simple effet secondaire de la modernité numérique mais la conséquence de stratégies délibérées.

Il est temps de comprendre que la société du défouloir nous empoisonne, qu’elle nous fait du mal collectivement et individuellement. Nos sociétés sont capables de réagir quand elles identifient un fléau. Pendant des décennies, les industriels du tabac ont réussi à nous convaincre que fumer sans aucune limite était synonyme d’émancipation. Et puis des études ont démontré le lien entre tabagisme et cancer. On a compris que fumer était une addiction toxique et la liberté a changé de camp.

Et si nous avions le courage de faire avec le numérique ce que nous avons réussi avec la cigarette ? Il est temps de considérer avec la même exigence le poison du clash et celui de la désinformation.

Le travail des médias animés par une véritable éthique du débat démocratique, qu’ils soient grands ou petits, traditionnels ou nouveaux entrants du numérique, n’a jamais été aussi difficile tant il est à contre-courant de l’époque. À Radio France, nous faisons le maximum pour protéger le débat pacifique, la contradiction respectueuse, bref, la nuance. Traitement honnête de l’information, goût du débat d’idées pluraliste et partage de la culture qui nous relie. Sommes-nous toujours irréprochables ? Certainement pas. Mais nous faisons en sorte de nous améliorer sans cesse, de ne jamais être satisfaits car nous savons pour quoi nous œuvrons.

Dans la montée des divisions, il y a des sentiments d’abandon, des impressions de mépris, l’idée que certaines enceintes sont réservées à quelques-uns. Si l’on souhaite raccrocher les wagons d’une société morcelée, il est crucial que des lieux pour tous continuent d’exister sans exclusive, ni interdiction d’entrer. Face à la colère, la rationalité est parfois impuissante. Mais il ne faut pas renoncer à tisser du lien avec l’information, la culture, la musique ou le divertissement. C’est quand on se fréquente que l’on se comprend.

La loi du plus bruyant n’est pas démocratique. Nous avons besoin d’une nouvelle hygiène de l’esprit. La nuance nous rend notre liberté de choix et nous permet de ne pas réagir à des poussées d’émotion. La bataille pour la nuance, c’est celle pour la liberté. Elle n’est jamais finie, elle n’est pas encore perdue.

Démocratie :«La mort de la nuance»

 

  • «Pour Maxime Sbaihi est directeur général du think tank GénérationLibre,, il nous faut réapprendre à chérir et consommer sans modération les débats modérés, à nous méfier des réponses trop courtes, des solutions miraculeuses »(Tribune dans l’Opinion)
    • « Antigone a raison mais Créon n’a pas tort. » Cette magnifique phrase d’Albert Camus, prononcée lors d’une conférence donnée à Athènes en 1955, me suit depuis l’adolescence. Elle résume à elle seule toute la finesse de sa pensée et sa détestation des manichéismes propres aux idéologues. Elle est aussi et surtout la meilleure définition possible de la nuance, par la reconnaissance du caractère complexe et éparpillé de la vérité, écartelée ici entre les deux légitimités irréconciliables que sont les impératifs de la cité pour Créon et les lois divines pour Antigone.
    • La nuance est le meilleur des antidotes contre la démagogie. C’est grâce à son exigence que Camus est parvenu à déjouer tous les pièges totalitaires du XXe siècle. Récompensée en son temps, la nuance est aujourd’hui, affirmons-le sans nuance, en train de mourir. Elle agonise sous les coups d’un débat public qui l’assimile à de la faiblesse, lui préfère la radicalité et ses raccourcis, plus racoleurs qu’une réflexion longue et riche de doutes. Les polémiques quotidiennes aiguisées médiatiquement se confortent d’une réduction binaire entre un camp noir et un camp blanc, alors que la réalité est bien souvent grise.
    • « Le monde écœure, selon la formule célinienne, d’être rempli de gens qui ont raison »
    • Polarisation. Devenue trop longue, trop complexe, trop ennuyante, la nuance se noie dans les flots asphyxiants d’une information devenue indigeste par sa surabondance et sa vélocité. Bombardé de toutes parts sur les réseaux sociaux, notre cerveau n’a plus de temps pour la nuance. Sans elle, la polarisation triomphe, la politique s’appauvrit, et le compromis devient impossible. En jetant la science en pâture dans l’arène politique, le virus a provoqué un choc culturel entre une discipline qui la célèbre et une atmosphère politique qui ne la tolère plus. Les scientifiques ont gagné la bataille des vaccins mais perdu la bataille politique, dépassés par des populistes improvisés épidémiologistes. Piétinée par des cortèges bardés d’étoiles jaunes, mollardée par les accusations de dictature, disparue dans la confusion, auto-entretenue, entre les anti-pass et les antivax, méprisée par l’incapacité de nos responsables politiques à dire « je ne sais pas » quand ils ne savent effectivement pas, et bâillonnée par des familles qui n’arrivent plus à se parler, la nuance se meurt.
    • « Le monde ne vaut que par les ultras et ne dure que par les modérés », écrit Paul Valéry, oubliant de préciser que les modérés ont besoin d’être entendus pour sauver la vérité complexe de l’emprise des mensonges simples, pour protéger le monde contre les ultras. Ces derniers n’ont pas la force du nombre mais l’avantage disproportionné du bruit. Débarrassé d’une nuance passée de mode, le boulevard de la démagogie leur est désormais grand ouvert pour l’élection présidentielle.
    • Il nous faut réapprendre à chérir et consommer sans modération les débats modérés, à nous méfier des réponses trop courtes, des solutions miraculeuses. Et surtout de tous ceux qui ont une réponse à tout. Le monde écœure, selon la formule célinienne, d’être rempli de gens qui ont raison. En démocratie, la nuance n’est pas une bassesse mais un salut. Sans ce petit rien qui lui est si vital, et qu’aucun décret ne pourra ressusciter sinon nous, la campagne présidentielle promet de tourner au cauchemar pour tous ceux qui espèrent un moment d’introspection national en lieu et place d’un pugilat digne d’une tragédie grecque.
    • Maxime Sbaihi est directeur général du think tank GénérationLibre.



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