Nouvelles technologies– »Intelligence artificielle : renaissance de l’expérience humaine « !
Un plaidoyer pour l’intelligence artificielle par Gianmarco Monsellato, Avocat, Ancien dirigeant de Deloitte-Taj, Senior Partner Deloitte dans l’Opinion . Une vision quand même un peu réductrice du champ de l’intelligence artificielle et en même temps un peu excessive voire caricaturale.
Tout est écrit. Le futur peut se lire dans l’interprétation des données à notre disposition, des signes que la nature nous donne. Ces conclusions ne viennent pas d’une entreprise technologique du XXIe siècle mais des alchimistes du XVe. Serions-nous en train de vivre un retour en arrière, assisterions-nous à une nouvelle forme de pensée magique sous le couvert du vocabulaire technologique ? Les professions d’expertises et notamment les services professionnels pourraient être tentés de le croire tant leur fin, ou leur mutation complète, est souvent annoncée à cause de l’essor de l’IA. A quoi bon des experts, lorsqu’un algorithme peut vous donner toutes les réponses à vos questions ? Et pourtant…
L’IA découle de la rencontre entre la technique des algorithmes, qui n’est pas nouvelle, une masse de données immense grâce à internet, et des puissances de calcul en augmentation exponentielle. Elle constitue une formidable capacité à calculer des corrélations entre des données apparemment indépendantes, permettant de mettre en lumière des liens de causalités jusque-là ignorés. Grâce au « machine learning », les algorithmes améliorent la pertinence de leurs résultats en éliminant les corrélations aboutissant à des conclusions hors contexte, autrement dit absurdes pour un humain.
Pour les professions d’expertise (consultants, avocats, juges, auditeurs…), l’IA permet de disposer rapidement d’une analyse précise et exhaustive des précédents dans toutes leurs dimensions. Ce qui avant devait être effectué par des collaborateurs durant un temps assez long et avec un taux d’inexactitude non négligeable est désormais rapidement disponible, sans erreur et de manière exhaustive. Sur le plan du droit, l’IA permet de disposer d’analyses de précédents d’une profondeur sans équivalent, réduisant à néant le risque d’erreur ou d’omission. Elle apporte ainsi une sécurité juridique sans faille. A tel point que certaines Cours suprêmes de pays de Common Law travaillent sur des projets d’IA pour effectuer toute la préparation analytique au jugement.
Par construction, une IA ne fait que répéter le passé. Le présupposé fondateur des études de corrélation est de croire que les phénomènes passés ont vocation à se répéter dans le futur
Pour puissante qu’elle soit, l’IA n’en demeure pas moins entravée par des limites indépassables. En premier lieu, elle est sujette aux biais. Puisqu’elle traite des données existantes, ces conclusions reflètent nécessairement les a priori présents dans l’historique des environnements analysés. Plus un biais, ou une erreur de jugement sur le plan moral, a été répété de manière insidieuse dans le passé, plus il influencera les analyses de corrélations et donc les conclusions de l’IA. En second lieu, toutes les corrélations ne se valent pas. Certaines identifient des liens entre données qui sont de fausses causalités uniquement créées par la répétition non signifiante de certains aléas, ce que les mathématiciens arabes du Moyen Age ont appelé « hasard ». Enfin, par construction, une IA ne fait que répéter le passé. Le présupposé fondateur des études de corrélation est de croire que les phénomènes passés ont vocation à se répéter dans le futur. Ce qui va à l’encontre de l’aspiration humaine à la créativité qui n’est rien d’autre que le refus du déterminisme.
Est-ce à dire alors que l’IA serait un faux savoir à renier au même titre que l’alchimie de la fin du Moyen Age ? Bien sûr que non, ne fût-ce que parce que certains parmi les plus grands savants à l’origine de la Renaissance étaient aussi des alchimistes. Il faut en revanche l’utiliser pour ce qu’elle est sans lui prêter des capacités qu’elle ne peut avoir.
L’IA permet dès aujourd’hui, et encore plus demain, à tous les métiers de savoir, de bénéficier d’analyses techniques de plus grande qualité et plus rapidement que par le passé. Pour autant que l’on sache s’en servir. Les collaborateurs qui auparavant effectuaient les recherches techniques doivent désormais se concentrer sur le fonctionnement de l’IA pour corriger ses biais ou a minima les comprendre pour en nuancer les conclusions. Quant à ceux qui sont en position de décider, ou de conseiller, ils doivent considérer les conclusions de l’IA pour ce qu’elles sont : une vision du passé appliquée au futur, qui ne peut appréhender l’intelligence des situations si importante à la qualité de la prise décision.
. C’est la responsabilité du conseil, de l’avocat ou de l’auditeur, de comprendre que décider c’est créer l’avenir et non pas répéter le passé. L’expérience permet de savoir quand il est nécessaire de s’écarter des chemins déjà tracés, ou quand une évidence provenant du passé deviendrait une erreur si elle était projetée dans le futur. Les plus grandes évolutions juridiques créatrices des droits fondamentaux qui fondent nos sociétés n’auraient jamais été possibles si les jugements ou décisions avaient été rendues par des IA, justement par ce que ces évolutions sont le fruit de décisions qui ont voulu rompre avec ce qui existait déjà.
En réalité, l’IA met sur le devant de la scène l’importance de la qualité de la prise de décision, fruit de l’expérience et de la volonté créatrice. Elle valorise la qualité du jugement humain. Et elle nous renvoie à un texte fondateur de la culture occidentale. Dans l’Odyssée, Ulysse connaît le jugement des dieux et le déterminisme qu’il impose. Il choisit de s’en départir et de tracer son propre chemin, dans un voyage qui ne cesse de nous inspirer 3 000 ans après. Finalement, le principal mérite de l’IA est de nous rappeler que nous sommes humains.
Gianmarco Monsellato, Avocat, Ancien dirigeant de Deloitte-Taj, Senior Partner Deloitte