Le « Green New Deal» européen : défi irréaliste et coûteux
- par Samuel Furfari, professeur de géopolitique de l’énergie à l’Université libre de Bruxelles, ancien haut fonctionnaire de la Commission européenne. dans les Echos
Se vantant de sa stratégie énergétique qui doit montrer la voie au monde entier, stimulée par les innombrables ONG vertes, aveuglée par l’autoconviction qui règne au sein des institutions de l’Union européenne, celle-ci s’enfonce dans la crise énergétique. L’UE, face au fiasco de la COP26, au lieu de constater que le reste du monde ne la suit pas, s’entête à promouvoir encore plus les énergies renouvelables pourtant à la base de cette crise.
Les prix du gaz naturel sur le marché spot ont été multipliés par cinq en un an, en raison de la très forte reprise économique en Chine et donc de l’augmentation tout aussi forte de sa consommation d’énergie. Grâce à l’abondance de gaz naturel – l’énergie du futur - , un seul marché devenu fluide existe à présent entre l’UE et l’Asie alors que les Etats-Unis, isolés géographiquement, se réjouissent du prix très bas de leur gaz de schiste.
La Chine préparée
La Chine, qui, elle, n’a pas mis tous ses oeufs dans le même panier, se débrouille en important plus de charbon d’Indonésie, en déchargeant après un an des cargaisons de charbon australien bloquées dans les ports chinois à la suite des sanctions décrétées envers l’Australie, en exploitant à fond ses petits charbonnages qu’elle était pourtant en train de fermer par manque de rentabilité économique.
Elle s’est préparée à la croissance de la demande en construisant des centrales nucléaires – l’électricité de l’avenir. Bref, elle fait le contraire de l’UE, car elle sait qu’il ne peut y avoir de croissance sans énergie abondante et bon marché comme l’avaient dit les pères fondateurs de la Communauté européenne à Messine le 2 juin 1955.
L’Europe est nue
Il y a quelques semaines, Kristoph Leith, le président d’Eurochambre, la fédération des chambres de commerces de l’UE, en quittant sa fonction a déclaré que les objectifs du Pacte vert de l’UE sont irréalistes. On aurait aimé qu’il ait eu le courage de le dire lorsqu’il était en fonction. Car c’est précisément là la force, et la faiblesse, de la Commission. Tout le monde se tait et elle croit qu’elle est dans le bon, et, pourtant, c’est une grosse déficience, car la situation actuelle est la conséquence de la politique énergétique soumise au dictat de la politique climatique. Comme l’empereur qui croit avoir des habits neufs dans la fable d’Andersen, l’Union européenne est nue face à cette crise qu’elle a contribué à créer.
Pour parer au plus pressé, on a vite jeté l’opprobre sur le président Poutine alors que Gazprom respecte les contrats signés en 2005 par Gaz de France et voulus par Jacques Chirac. Ne voulant pas détériorer ses bonnes relations commerciales – l’URSS avait commencé à vendre du gaz dans les années 1970 -, M. Poutine a déclaré que la Russie fournirait autant de gaz que possible. Vladimir Chizhov, l’ambassadeur russe auprès de l’UE, a déclaré : « Changez l’adversaire en partenaire et les choses se résolvent plus facilement. »
En effet, le président Obama porte, lui aussi, sa part de responsabilité en nous ayant entraînés en 2014 dans des sanctions contreproductives. Son pays possède tout le gaz qu’il veut, tandis que l’UE, pour son approvisionnement en gaz, doit compter d’abord sur son voisin russe. On ne peut pas exiger que la Russie danse comme siffle le parlement européen.
Vassalisation envers la Chine
Heureusement que Mme Merkel a tenu tête à la fois à la Commission européenne et à Jo Biden pour assurer l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2 , car, bien entendu, les dirigeants allemands ne sont pas dupes : les éoliennes et les panneaux solaires photovoltaïques ne vont pas pouvoir remplacer le nucléaire et le lignite.
Depuis le choc pétrolier de 1973, la Commission, appuyée avec conviction par le Parlement européen, a fait le maximum pour pousser ce qu’on appelait alors les énergies alternatives. Pourtant, l’énergie éolienne et celle solaire représentent, en 2019, 2,9 % de la demande en énergie primaire de l’UE, après avoir dépensé plus de 1.000 milliards d’euros depuis 2000. L’entêtement ne va rien modifier, le caractère variable et intermittent et la très haute occupation au sol ne changeront jamais, quel que soit le nombre de COP et de manifestations des activistes.
L’opiniâtreté de l’UE de saboter son économie au nom d’objectifs climatiques irréalisables restera dans l’histoire comme la cause de la vassalisation envers la Chine et l’Inde du continent qui avait inventé la modernité et la technologie. Il est urgent que l’UE s’arrête dans sa course folle, mais j’ai peu d’espoir que cette décision soit prise. Il nous restera le plaisir dérisoire d’avoir prévenu.
Samuel Furfari, professeur de géopolitique de l’énergie à l’Université libre de Bruxelles, ancien haut fonctionnaire de la Commission européenne.