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L’antisémitisme : la névrose de l’ultra gauche

L’antisémitisme : la névrose de l’ultra gauche

La barbarie de l’attaque menée en Israël par le Hamas le 7 octobre 2023 a suscité des commentaires qui réactivent un débat déjà ancien au vu des propos tenus par certains membres de la classe politique et des indignations qu’ils ont suscités. Les positions récentes sur le Hamas ou les prises de paroles clivées sur le conflit israélo-palestinien soulignent-elles un antisémitisme latent à gauche, et plus précisément à gauche de la gauche ?

Michel Wieviorka
Sociologue, membre Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Adans The Conversation France

La question est rémanente, même si dans l’histoire, la haine des Juifs se situe plus à droite et à l’extrême droite, d’abord du côté du christianisme, puis de courants proprement racistes, avec le sommet qu’a constitué le nazisme.

À peine forgé en Allemagne par Wilhelm Marr en 1879, le terme « antisémitisme » a connu un succès mondial, dans un contexte qui précédait de peu l’affaire Dreyfus (1894) et relevait déjà de la « guerre des deux France », opposant une droite antisémite, nationaliste, antirépublicaine et catholique, à une gauche républicaine, souvent laïcarde.

L’antijudaïsme, puis l’antisémitisme avaient cependant déjà trouvé de longue date un espace à gauche.

Voltaire, Marx, Proudhon aussi, portés par de profonds sentiments anti-religieux, et sans que l’on puisse alors parler d’antisémitisme ce qui serait anachronique, ont eu des mots lourds de préjugés haineux vis-à-vis des juifs et du judaïsme .

Karl Marx, 1875, né dans une famille juive, a eu des mots très durs vis-à-vis du judaïsme.
À la toute fin du XIXe, Jean Jaurès, avant de se rallier à Zola et aux dreyfusards, a pris à partie la « race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain » (1898, discours au Tivoli. Une histoire notamment bien documentée par Léon Poliakov dans son Histoire de l’antisémitisme.

Après la destruction des juifs d’Europe par les nazis, la haine des juifs, jusque-là de l’ordre de l’opinion, relevait désormais du crime, et on aurait pu s’attendre à ce qu’elle décline, en général, et plus particulièrement à gauche. Ç’aurait été une erreur.

C’est d’abord que certains communistes français de la moitié du XXe siècle y étaient perméables, ne serait-ce que pour combattre Léon Blum ou Pierre Mendès-France ou en conformité plus ou moins aveugle au « Parti » lui-même à la botte de Moscou.

L’homme politique de gauche Pierre Mendès France faisait l’objet de campagnes antisémites de la part de ses adversaires politiques, y compris à gauche. Picryl
Staline vouait ainsi aux juifs une haine ancienne. Le dictateur avait d’ailleurs a terminé sa vie en délirant, accusant ses médecins juifs de comploter contre lui – les « blouses blanches » n’ont dû leur survie qu’à sa mort en mars 1953.

Et en 1968, le dirigeant polonais Władysław Gomulka avait obligé la plupart des derniers juifs de Pologne à partir au fil d’une campagne antisémite.

À des expressions spectaculaires s’est ajoutée, plus subtile, la minimisation de la spécificité juive du camp d’Auschwitz, patente sur place dans plusieurs pavillons de pays de l’empire soviétique lorsqu’on le visitait, jusque dans les années 80, comme si la destruction des personnes ne les avait pas visées comme juives.

Comme le rappelle Valérie Igounet, le négationnisme n’a pas été le monopole de l’extrême droite.

L’antisémitisme de la gauche de la gauche en France, lourd de préjugés associant les Juifs à l’argent et au capital, ainsi qu’au pouvoir médiatique, n’a revêtu après-guerre une réelle importance qu’à partir de la fin des années 60.

Le phénomène est d’autant plus marqué avec la question israélo-palestinienne qui prend alors un essor particulier.

C’est d’abord à l’extrême-gauche que la tentation antisémite a cheminé, par identification au mouvement palestinien.

Mais l’attentat terroriste de Münich, en 1972, au cours duquel le commando « Septembre noir » a tué plusieurs athlètes israéliens participant aux Jeux Olympiques a douché les ardeurs gauchistes les plus haineuses.

Les JO de Munich 1972 sont les premiers organisés en Allemagne depuis la seconde guerre mondiale. La RFA veut effacer le souvenir des JO de Berlin de 1936. Mais les 5 et 6 septembre huit terroristes du groupe armé pro-palestinien « Septembre noir » prennent en otage neuf athlètes de la délégation israélienne, deux autres sont tués en tentant d’empêcher l’assaut.
L’événement a notamment généré au sein de la gauche prolétarienne une prise de conscience ayant certainement contribué au rejet du terrorisme par ce mouvement, puis à son auto-dissolution, même si Sartre avait déclaré un mois après l’attentat, dans J’accuse. La Cause du Peuple, (15 octobre 1972) :

« Dans cette guerre, la seule arme dont disposent les Palestiniens est le terrorisme, c’est une arme terrible mais les opprimés pauvres n’en ont pas d’autres. »

Sartre, comme certains militants à l’époque, reviendra ensuite sur ce positionnement.

Puis plusieurs évolutions ont déplacé la donne. L’immigration de travail récente, en provenance d’Afrique du Nord, avait muté pour devenir « immigration de peuplement », fortement impactée par le chômage et la précarité.

Cette dernière est en butte avec un racisme lui-même en cours de transformation, différencialiste, lui déniant toute capacité d’intégration. En même temps, au sein des populations qui en étaient issues, une double identification s’est ébauchée : nationale, avec la cause palestinienne, et religieuse, avec l’islam.

À gauche, l’antiracisme n’en est alors pas moins pleinement compatible avec la lutte contre l’antisémitisme, ce qu’incarne le Président François Mitterrand ; aussi bien la Marche de 1983 contre le racisme que la naissance de SOS-Racisme l’installent du côté de valeurs universelles qui ne laissent aucune place à la haine des juifs.

1985, la naissance de SOS Racisme (INA).
Le traumatisme de Sabra et Chatila
L’image d’Israël va se dégrader aux yeux de l’opinion française en général à partir de 1982 et plus précisément de l’invasion du Liban et du siège de Beyrouth par l’armée israélienne. Les massacres commis par les milices chrétiennes dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila ont révulsé le monde entier.

L’opinion, y compris au sein de la gauche en Israël, y voit en effet, non sans raison, la main israélienne, une passivité délibérée, une autorisation d’agir qui a rendu possibles ces crimes. Le discrédit vis-à-vis de l’État hébreu fait son chemin à gauche, et pas seulement dans la gauche de la gauche.

Cependant, la sensibilité favorable aux Palestiniens n’a pas encore pris de forte coloration antisémite. L’attentat du 3 octobre 1980 visant la synagogue de la rue Copernic n’est d’ailleurs pas associé à la cause palestinienne. La gauche dans son ensemble participe alors d’une opinion presque unanime pour y voir une action d’extrême droite – il faudra du temps avant que l’hypothèse d’un groupe terroriste venu du Proche-Orient puisse s’imposer. Plus tard, François Mitterrand, alors candidat à l’élection présidentielle, fera partie des manifestants en 1990 venus signifier leur refus de l’antisémitisme après la profanation d’un cimetière juif.

Le début des années 2000, le 11 septembre 2001 en particulier, marquent un tournant droitier lourd d’une forte hostilité à l’islam dans de nombreuses démocraties occidentales : gouvernement Bush, montée de l’extrême droite en Europe.

Dans la France de la cohabitation, celle de Chirac et Jospin, les socialistes sont plus lents que la droite à percevoir la montée d’un antisémitisme actif et virulent, souvent le fait de personnes issues de l’immigration récente, projection en hexagone des tensions proche-orientales. Aux marges de la gauche française et de ses partis, lors de manifestations pro-palestiniennes notamment en 2014, des voix se font entendre non seulement visant Israël pour sa politique, mais s’en prenant jusqu’à son existence même. Les Juifs n’auraient pas droit à cet État, pourtant entériné à la naissance par la communauté internationale, y compris par l’Union soviétique.

Une équation élémentaire se confirme alors, héritière du soviétisme : sionisme = Juifs, et symétriquement, antisionisme =antisémitisme, oublieuse qu’il est possible d’être critique voire hostile à Israël sans être antisémite, et qu’il existe des antisémites favorables à son existence.

L’association de l’antisionisme et de l’antisémitisme fonctionne y compris à l’échelle internationale, comme lors de la conférence mondiale de Durban contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance, en 2001. Israël, pourtant seule démocratie au Proche-Orient, serait raciste, pratiquerait l’apartheid, ce qui justifierait un boycott.

La montée de l’islamisme a remis la haine des Juifs au cœur du débat. Le chercheur Marc Sageman en rend compte, en montrant qu’il constitue un ressort puissant pour les auteurs d’attentats djihadistes au début des années 2000. Elle n’a guère de relais politique dans l’opinion et à gauche notamment, mais cela n’empêche pas une critique droitière de se développer, accusant la gauche d’aveuglement, de naïveté ou de complaisance.

Pour rendre compte d’orientations qui conjugueraient soutien à l’islamisme radical et appartenance à la gauche, certains ont trouvé utile de parler d’islamo-gauchisme, une expression en fait doublement malheureuse. Elle confond en effet islam et islamisme (islamo n’est pas islamismo), et gauche et gauchisme, alors que ceux qui y recourent sont eux-mêmes vite dans la dénonciation de toute la gauche, et dans la hantise de l’islam en général.

La gauche de la gauche française, et l’écologie politique n’en sont pas moins parfois pénétrées par un antisémitisme qui ne distingue ni l’existence de l’État d’Israël d’avec la politique de son gouvernement, ni cet État d’avec les juifs de la diaspora.

La guerre en Irak, le conflit au Proche-Orient, ont suscité à plusieurs reprises, outre des attaques et menaces sur des membres de la communauté juive en France, des « dérapages » parmi certaines formations politiques. C’était le cas notamment en 2003 lorsqu’Aurélie Filippetti, alors porte-parole des Verts, décide de prendre ses distances avec son parti à la suite de propos antisémites lors de manifestations.

De là à leur imputer un antisémitisme flagrant et partagé par tous les sympathisants de ces formations, à l’instar aujourd’hui de La France insoumise (LFI), il y a un pas qu’il ne faut pas franchir. Cela ne vaut en effet que dans des cas limités, et en tous cas rarement explicites.

Le phénomène existe, pointe extrême de logiques qui, sans témoigner nécessairement d’une haine proprement antisémite, mais n’en étant pas toujours très éloignées, mettent aujourd’hui sur une même balance la barbarie et les crimes de guerre du Hamas, et la politique du gouvernement israélien, que d’ailleurs critique en Israël même une opposition démocratique.

Il ne doit pas faire oublier l’antisémitisme d’extrême droite, malgré les efforts de dirigeants du Rassemblement national pour s’en démarquer, ni celui qui pénètre certains musulmans avec éventuellement des soutiens idéologiques confusionnistes, d’extrême-gauche comme d’extrême-droite.

Ce « nouvel antisémitisme », dont la dénomination appartient d’ailleurs plutôt au vocabulaire de la droite, est aussi diffus, poreux, flou, et, ainsi que le reflétait une enquête récente parmi les étudiants, il taraude toute la société.

Politique: Algérie, la névrose de l’identité

Politique: Algérie , la névrose de l’identité

Le chercheur Paul Max Morin souligne l’incapacité de la République française à penser le colonialisme et dénonce « l’instrumentalisation de ce passé par des entrepreneurs identitaires . Certes le principe de la colonisation est totalement condamnable mais il y a maintenant 60 ans que l’indépendance de l’Algérie a été déclarée. 60 ans pendant lesquels les ressources ont été pillées par le FLN et ses héritiers,  la démocratie écrasée et dont on ne peut imputer la responsabilité à la France.

Tribune. Tous ceux qui travaillent sur la guerre d’Algérie vous le diront : on ne compte plus les fois où, en soirée, le temps d’une cigarette à la fenêtre, les gens se sont livrés : « Ah mais mon grand-père a fait la guerre d’Algérie ! » ; « Ma grand-mère, elle vient de Constantinople ou Constantine, je sais plus, tu connais ? » Oui, la colonisation de l’Algérie par la France, la guerre d’indépendance et les exils qu’elles ont engendrés ont laissé des traces profondes sur la société française. La démographie parle d’elle-même : 39 % des Français de 18 à 25 ans déclarent aujourd’hui avoir au moins un membre de leur famille affecté par cette histoire.

Dans cette France marquée intimement par l’Algérie, le discours dominant continue d’affirmer que la guerre d’Algérie est oubliée et qu’une « guerre des mémoires » gangrène la société. Pourtant, depuis des décennies, la guerre d’Algérie est largement documentée. Trois générations d’historiens ont fait leur travail. Elle figure dans les programmes scolaires depuis 1983. Des Parapluies de Cherbourg jusqu’aux chansons de Médine, elle infuse notre culture. Mis bout à bout, vingt ans de gestes mémoriels, de Lionel Jospin à Emmanuel Macron, démontrent que l’Etat est depuis longtemps sorti du silence.

Pour beaucoup de jeunes Français, l’Algérie est un héritage intime : c’est ce qui explique la tristesse dans le regard suspendu d’un grand-père un soir d’été, ce sont les bricks à l’œuf ou le couscous partagés chaque vendredi, les insultes en langue arabe ou… sur les Arabes. Ces traces font souvent l’objet de questionnements sur leurs origines familiales, sur leurs identités et parfois sur l’état de la société française. Mais elles sont rarement source d’animosité.

Des masques et des euphémismes

Que masque alors cette obsession autour de la guerre d’Algérie ? Une incapacité de la République à penser le colonialisme et ses traces, mais aussi une instrumentalisation de ce passé par des entrepreneurs identitaires. Il y a d’abord une difficulté à nommer les choses. La République ne s’est jamais dotée de mots pour dire la complexité du système colonial qu’elle instaurait en Algérie tout en se construisant elle-même. Le colonialisme fonctionne avec des masques et des euphémismes. Il est indicible tant il remet en cause le principe d’égalité qui constitue le fondement de l’idéologie républicaine. Cette aporie du vocabulaire est un lourd héritage nous empêchant de comprendre le caractère nécessairement structurel du système colonial en Algérie et de ce qu’il a produit en termes de subjectivités et de démographie.

Algérie : la névrose de l’identité

Algérie : la névrose de l’identité

Le chercheur Paul Max Morin souligne l’incapacité de la République française à penser le colonialisme et dénonce « l’instrumentalisation de ce passé par des entrepreneurs identitaires . Certes le principe de la colonisation est totalement condamnable mais il y a maintenant 60 ans que l’indépendance de l’Algérie a été déclarée. 60 ans pendant lesquels les ressources ont été pillées par le FLN et ses héritiers,  la démocratie écrasée et dont on ne peut imputer la responsabilité à la France.

Tribune. Tous ceux qui travaillent sur la guerre d’Algérie vous le diront : on ne compte plus les fois où, en soirée, le temps d’une cigarette à la fenêtre, les gens se sont livrés : « Ah mais mon grand-père a fait la guerre d’Algérie ! » ; « Ma grand-mère, elle vient de Constantinople ou Constantine, je sais plus, tu connais ? » Oui, la colonisation de l’Algérie par la France, la guerre d’indépendance et les exils qu’elles ont engendrés ont laissé des traces profondes sur la société française. La démographie parle d’elle-même : 39 % des Français de 18 à 25 ans déclarent aujourd’hui avoir au moins un membre de leur famille affecté par cette histoire.

Dans cette France marquée intimement par l’Algérie, le discours dominant continue d’affirmer que la guerre d’Algérie est oubliée et qu’une « guerre des mémoires » gangrène la société. Pourtant, depuis des décennies, la guerre d’Algérie est largement documentée. Trois générations d’historiens ont fait leur travail. Elle figure dans les programmes scolaires depuis 1983. Des Parapluies de Cherbourg jusqu’aux chansons de Médine, elle infuse notre culture. Mis bout à bout, vingt ans de gestes mémoriels, de Lionel Jospin à Emmanuel Macron, démontrent que l’Etat est depuis longtemps sorti du silence.

Pour beaucoup de jeunes Français, l’Algérie est un héritage intime : c’est ce qui explique la tristesse dans le regard suspendu d’un grand-père un soir d’été, ce sont les bricks à l’œuf ou le couscous partagés chaque vendredi, les insultes en langue arabe ou… sur les Arabes. Ces traces font souvent l’objet de questionnements sur leurs origines familiales, sur leurs identités et parfois sur l’état de la société française. Mais elles sont rarement source d’animosité.

Des masques et des euphémismes

Que masque alors cette obsession autour de la guerre d’Algérie ? Une incapacité de la République à penser le colonialisme et ses traces, mais aussi une instrumentalisation de ce passé par des entrepreneurs identitaires. Il y a d’abord une difficulté à nommer les choses. La République ne s’est jamais dotée de mots pour dire la complexité du système colonial qu’elle instaurait en Algérie tout en se construisant elle-même. Le colonialisme fonctionne avec des masques et des euphémismes. Il est indicible tant il remet en cause le principe d’égalité qui constitue le fondement de l’idéologie républicaine. Cette aporie du vocabulaire est un lourd héritage nous empêchant de comprendre le caractère nécessairement structurel du système colonial en Algérie et de ce qu’il a produit en termes de subjectivités et de démographie.




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