Le néocolonialisme des technologies
Les chercheurs Hermann Hauser et Hazem Danny Nakib observent, dans une tribune au « Monde », que l’intensification de la rivalité technologique entre la Chine et les Etats-Unis contraint les pays du monde entier à adopter les normes, les valeurs et les chaînes d’approvisionnement d’un des deux camps. En 1853, sous les ordres du président des Etats-Unis Millard Fillmore (1800-1874), le commodore de la marine américaine Matthew Perry (1794-1858) entra avec quatre navires de guerre dans la baie de Tokyo et lança un ultimatum au shogunat Tokugawa : soit il mettait fin à deux cents ans d’isolationnisme et s’ouvrait au commerce avec les Etats-Unis, soit il subirait les conséquences d’un refus. L’arrivée de ces « navires noirs » (ainsi nommés par les Japonais en raison de la fumée noire de charbon crachée par leurs machines à vapeur) fut un moment charnière.
Face à cette impressionnante démonstration de prouesse technologique – illustrant la puissance industrielle qui avait déjà permis à l’Empire britannique de dominer une grande partie du monde –, le shogunat avait accepté à contrecœur les demandes de Matthew Perry. Ce qui conduisit à la signature du traité de Kanagawa en 1854. Un an plus tard, le shogunat recevait son premier navire de guerre à vapeur, offert par les Hollandais.
par
Hermann Hauser
cofondateur d’Amadeus Capital Partners, membre du Conseil européen de l’innovation
Hazem Danny Nakib
membre du Digital Strategic Advisory Group de la British Standards Institution, chercheur à l’University College London
Si la technologie peut constituer une menace, elle alimente aussi des infrastructures essentielles comme les écoles et les hôpitaux. Au cours du XXe siècle, en particulier, chaque individu est devenu inextricablement lié à un vaste éventail de technologies, notamment des systèmes interconnectés comme les réseaux énergétiques, Internet, les téléphones mobiles et les ordinateurs, et maintenant les chatbots d’intelligence artificielle [IA]. Comme l’a montré l’expédition Perry, la technologie est également l’épine dorsale de la souveraineté militaire des Etats.
La voie à une nouvelle ère de colonialisme technologique
Grâce à leur domination technologique, les Etats-Unis sont devenus la première puissance militaire mondiale, avec plus de 750 bases dans quatre-vingts pays, soit trois fois plus que tous les autres pays réunis. Mais les marqueurs de la souveraineté des Etats évoluent rapidement. Si la souveraineté financière des Etats-Unis, soutenue par le statut du dollar comme monnaie de réserve mondiale, reste intacte, sa souveraineté économique est de plus en plus remise en cause par la montée en puissance de la Chine.
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En termes de parité de pouvoir d’achat, la Chine a dépassé les Etats-Unis en 2014 pour devenir la première économie mondiale. Avec une production manufacturière à peu près égale à celle des Etats-Unis et de l’Union européenne réunis, la Chine est le premier partenaire commercial de plus de cent vingt pays. Les deux superpuissances sont actuellement en compétition pour contrôler la conception, le développement et la production de technologies critiques telles que les semi-conducteurs, l’IA, la biologie synthétique, l’informatique quantique et la blockchain.
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