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Ukraine : la paix négociée ou la fragile victoire?

Ukraine : la paix négociée ou la fragile victoire?

 

La double contre-offensive de l’Ukraine dans le sud et dans le nord-est du pays est pour l’instant un succès. Mais a-t-elle les moyens de remporter une victoire militaire décisive et incontestable ? Par Cyrille Bret, Sciences Po

 

 

Six mois après le déclenchement de l’« opération militaire spéciale » russe en Ukraine, le 24 février 2022, le gouvernement de Kiev a engagé, fin août-début septembre, une contre-offensive dans le sud et le nord du pays. Dans la région méridionale de Kherson et dans la zone nord-orientale de Kharkiv, les soldats ukrainiens ont commencé à reprendre du terrain aux troupes russes. Remarquées pour leur rapidité, leur agilité et leur efficacité, ces deux contre-attaques inquiètent en Russie, rassurent en Occident et suscitent l’espoir en Ukraine.

En effet, les troupes russes ont quitté les villes de Balakliia, Izioum et Koupiansk dans l’est du pays. L’armée ukrainienne semble ainsi inverser la tendance : désormais, les armées russes sont en difficulté dans la région de Donetsk, pourtant sous contrôle des séparatiste pro-russes.

Malgré les succès tactiques qu’elles semblent promettre, ces initiatives suscitent toutefois plusieurs questions : pourquoi maintenant, et pourquoi précisément dans ces zones ? Comment l’Ukraine parvient-elle à bousculer les forces armées russes, en pleine réorganisation ? Surtout, cette contre-attaque présage-t-elle d’une reconquête complète des 20 % du territoire ukrainien occupés par la Russie ?

Saisir l’opportunité de la « rentrée diplomatique »

Les deux mouvements ont été lancés à un moment essentiel du calendrier stratégique international et régional. En effet, l’action sur Kherson a été déclenchée au moment de la commémoration de la fête nationale ukrainienne, le 24 août, et juste avant la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Prague, le 31 août (le fameux Gymnich). L’avancée dans la région de Kharkiv a démarré quelques jours plus tard.

Il était essentiel pour la présidence Zelensky d’éviter l’érosion de son soutien populaire à l’intérieur et de manifester sa détermination à l’extérieur. Élu le 21 avril 2019 pour cinq ans, le président Zelensky aborde en effet le dernier tiers de son mandat : face aux risques d’usure à l’intérieur et de « fatigue » à l’extérieur, il se devait de prendre l’initiative.

Son projet est également de parvenir à des résultats militaires tangibles avant la 77ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations unies, qui aura lieu du 20 au 26 septembre 2022. L’Ukraine veut s’y présenter non seulement comme victime de la Russie mais également comme État souverain capable d’assurer sa sécurité, pour peu qu’il bénéficie des soutiens internationaux nécessaires.

L’enjeu de cette Assemblée générale des Nations unies sera triple pour Kiev :

  • premièrement, rallier des soutiens au-delà du camp occidental, car l’Ukraine dépend très largement des financements extérieurs (Banque mondiale, FMI, Union européenne, États-Unis) pour continuer à fonctionner ;
  • deuxièmement, essayer d’isoler davantage la Fédération de Russie, puisque les politiques de sanctions sont peu suivies en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud ;
  • enfin et surtout, faire reconnaître sa détermination à recouvrer son intégrité territoriale dans le temple des États-nations, l’ONU. En février 2022, le but de la Russie était en effet de faire apparaître l’Ukraine comme un « État failli » à l’identité nationale illusoire et au gouvernement incapable. Les deux contre-offensives qui viennent d’être lancées réduiront la portée de ces éléments de langage de Moscou.

Quels que soient leurs résultats militaires (durables ou fugaces, concrets ou symboliques), ces initiatives militaires démontrent que l’Ukraine a bien survécu, comme État et comme nation, à l’invasion russe. Avec ces contre-attaques, l’Ukraine saisit à pleines mains l’opportunité de la « rentrée diplomatique ». Reste à évaluer les chances de succès et, surtout, la finalité de ces actions.

Un « Valmy ukrainien » ?

Ces opérations ne répondent pas seulement à un timing soigneusement pensé, elles se déploient aussi dans des champs géographiques et à travers des modes d’action hautement symboliques. Dans les deux opérations, c’est en effet le « peuple en armes » (une armée qui compte environ 40 % de conscrits) de l’Ukraine qui reconquiert des régions essentielles du territoire national. À bien des égards, ces batailles sont comparables, dans leur portée politique, avec celle de Valmy où, le 20 septembre 1792, l’armée populaire française avait défait les troupes étrangères.

Dans les deux actions se manifestent les ressorts qui ont permis aux forces armées ukrainiennes de répliquer à la tentative de conquête russe : rapidité, agilité, utilisation des informations de terrain et mobilisation de soldats motivés. Les troupes ukrainiennes tirent en effet parti de leurs blindés pour fondre rapidement sur des nœuds logistiques essentiels de l’armée russe au nord ; pour mener la campagne du Donbass au sud-est de Kharkiv ; et enfin, au sud, près de la Crimée, pour bloquer les troupes russes qui continuent à se diriger vers la région d’Odessa. Encore une fois, les forces armées ukrainiennes ont mis en évidence la fatigue des troupes russes, le niveau discutable de leurs équipements et la qualité médiocre de leurs tactiques.

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Par-delà leur intérêt tactique, les zones dans lesquelles les troupes ukrainiennes agissent ont une valeur politique et symbolique essentielle pour les opinions ukrainienne comme russe. Contre-attaquer dans la région de Kherson, c’est, pour les Ukrainiens, tout à la fois essayer de reprendre une des villes les plus importantes conquises par l’armée russe, bloquer l’avancée russe vers la région essentielle d’Odessa (sud-ouest) et surtout tenter de débloquer un verrou vers la Crimée. Longuement préparée, cette opération n’est pas une « action surprise » à proprement parler car Kiev a toujours affiché son refus d’abandonner le sud du pays.

En revanche, la contre-offensive conduite dans le nord du pays a, quant à elle, fait jouer au maximum l’effet de surprise. Là encore, la zone a une valeur majeure à de multiples points de vue : proche de la Russie, peuplée d’un grand nombre de russophones, capitale économique du nord du pays, la ville de Kharkiv (Kharkov en russe) est un enjeu fondamental pour la Russie : si le gouvernement de Kiev réussit à renforcer ses positions dans cette région, Moscou pourrait devoir se résoudre à abandonner l’idée, sérieusement envisagée, consistant à l’annexer ou à y créer un État fantoche.

Reste à savoir si ces batailles déboucheront sur des victoires (Valmy) ou sur des points de fixation meurtriers (Verdun).

La paix ou la victoire ?

Ces contre-offensives manifestent de façon éclatante la détermination des Ukrainiens à sauver leur État, à défendre leur territoire et à préserver leur souveraineté. Mais elles sont circonscrites dans l’espace et dans leurs résultats. Elles posent donc avec acuité la question de la finalité stratégique que poursuit l’Ukraine.

Dans de nombreux forums politiques, les représentants officiels de l’Ukraine affirment que leur but est la victoire complète contre la Russie. Et ils considèrent tout compromis d’armistice et de paix comme une véritable « trahison » de l’idée nationale ukrainienne.

Autrement dit, leur objectif stratégique est de reconquérir non seulement les zones prises par les Russes depuis le 24 février 2022 mais également les régions sécessionnistes (Républiques autoproclamées de Lougansk et Donetsk) et les zones annexées (Crimée) depuis 2014.

Ces objectifs sont-ils militairement et économiquement réalistes ? L’Ukraine est-elle en capacité de mener une contre-offensive de grande ampleur pour reprendre le cinquième de son territoire actuellement occupé par les troupes de la Fédération de Russie ? Si elle est dans son droit au regard des normes internationales, l’Ukraine doit-elle s’engager résolument dans un conflit nécessairement très long pour reconstituer son territoire ? En conséquence, les soutiens de l’Ukraine doivent-ils également assumer cet objectif de « victoire » ? C’est la position que plusieurs voix influentes défendent aux États-Unis.

L’Ukraine doit-elle plutôt chercher un rapport de force militaire suffisamment favorable pour engager ensuite des négociations ? Doit-elle donc multiplier les contre-offensives pour conduire ensuite une Russie épuisée à la table des négociations ? Et les soutiens de l’Ukraine doivent-ils la soutenir dans cette stratégie comme la France et l’Allemagne l’envisagent mezza voce ?

Si les succès tactiques actuellement constatés se confirment et se multiplient, les autorités ukrainiennes seront placées devant un véritable dilemme : la victoire complète à très long terme ou la paix insatisfaisante à moins longue échéance.

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Par Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

La justice négociée en cause

La justice négociée en cause

 

L’avocat Arthur Dethomas  estime que la justice négociée et mise en cause après le jugement de l’affaire Bolloré ( dans l‘opinion)

En refusant, le 26 février dernier, d’homologuer l’accord conclu entre les dirigeants du Groupe Bolloré et le parquet national financier (PNF), les magistrats du tribunal correctionnel de Paris ont très largement anéanti les efforts du législateur de développer la justice pénale négociée en France. Encouragé depuis deux décennies, le développement de la justice négociée repose sur les aveux de la personne mise en cause et sa coopération. Le principe est simple : le parquet propose une peine au prévenu en l’échange de sa reconnaissance de culpabilité. Si les deux parties s’accordent sur la peine, l’accord n’a – en théorie – plus qu’à être homologué par le tribunal pour éviter la tenue d’un procès.

Dans cette affaire, deux types d’accords avaient été conclus par le PNF : un premier, une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), avec la société Bolloré SE et des accords individuels, des Comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), avec les dirigeants du Groupe Bolloré (dont Vincent Bolloré). Le tribunal correctionnel de Paris n’avait plus qu’à homologuer ces accords ; il a préféré désavouer le parquet national financier.

Alors même que les magistrats du PNF s’étaient déplacés à cette audience pour souligner le succès du consensualisme dans la procédure, la présidente du tribunal a surpris tout le monde en refusant de valider les accords conclus avec les dirigeants personnes physiques du Groupe Bolloré, estimant que les peines convenues étaient inadaptées. Et, par conséquent, qu’il était nécessaire qu’un procès se tienne. Pour les dirigeants du groupe Bolloré, c’est donc un retour à la case départ. La décision de refus d’homologation n’étant pas susceptible de recours, ils seront vraisemblablement renvoyés devant le tribunal pour y être jugés.

Que reste-il des droits de la défense de Vincent Bolloré après qu’il a, lors d’une audience publique amplement relayée dans les médias, répondu par l’affirmative au tribunal qui lui demandait s’il reconnaissait sa culpabilité ?

Au-delà de toute considération propre aux faits du dossier et du cas personnel de Vincent Bolloré, cette décision est un échec de plus pour un PNF déjà passablement éprouvé. Pire, il préjudicie grandement au respect des droits de la défense dont les dirigeants doivent pouvoir bénéficier pour la suite de la procédure. Que reste-il des droits de la défense de Vincent Bolloré après qu’il a, lors d’une audience publique amplement relayée dans les médias, répondu par l’affirmative au tribunal qui lui demandait s’il reconnaissait sa culpabilité ? Quelle valeur faut-il accorder à des aveux donnés publiquement en réponse à une offre de sanction finalement révoquée ?

 

Les options dans la stratégie de défense des dirigeants du Groupe Bolloré pour le procès à venir se sont, de fait, fortement réduites et un choix qui consisterait pour le dirigeant à nier sa responsabilité pénale est plus difficile à envisager. La présomption d’innocence, dont chacun doit pourtant pouvoir bénéficier jusqu’à l’issue de la procédure, apparaît n’être plus qu’un concept juridique auquel on est prié de croire. En attendant de connaître l’issue de ce dossier, en raison de l’atteinte aux droits de la défense qui en résulte, cette décision va nécessairement mettre un coup d’arrêt au développement du consensualisme dans la procédure pénale. Dans ces conditions, quel dirigeant pourrait raisonnablement envisager d’engager une discussion avec le PNF ?

Il est évident que le tribunal doit rester souverain pour décider d’homologuer ou non un accord conclu entre un prévenu et le parquet, mais pour que la justice pénale négociée puisse réellement prospérer, en confiance, le parquet devra impérativement s’assurer de proposer des accords dont l’homologation semble acquise. A défaut, il n’y aura jamais de place pour une vraie justice pénale négociée.

Arthur Dethomas est avocat aux barreaux de Paris et de New York. Il n’intervient pas dans le dossier Bolloré




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